Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C...A...D...a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite née le 2 janvier 2017 par laquelle le préfet de la Manche a rejeté la demande indemnitaire qu'il a formée par courrier du 2 novembre 2016 et de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 25 193,66 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de la restitution de son passeport déclaré volé.
Par un jugement n° 1700303 du 24 novembre 2017, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision implicite du 2 janvier 2017 et mis à la charge de l'Etat le versement à M. A...D...d'une indemnité de 2 244,60 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2018, et un mémoire, enregistré le 4 décembre 2018, M. A...D..., représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 24 novembre 2017 en tant qu'il a limité l'indemnité allouée à la somme de 2 244,60 euros ;
2°) d'annuler la décision implicite du 2 janvier 2017 par laquelle le préfet de la Manche a rejeté sa demande indemnitaire ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 21 893,66 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de la restitution de son passeport déclaré volé.
4°) de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement d'une somme de 4 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, et de condamner l'Etat aux entiers dépens.
M. A...D...soutient que :
- le tribunal a retenu à bon droit la responsabilité de l'Etat du fait de la faute commise par ses services à lui avoir restitué son passeport déclaré volé et invalidé ;
- cette faute est en lien direct avec les préjudices qu'il a subis et dont il demande réparation ;
- il est bien fondé à obtenir réparation des divers préjudices qu'il a subis, liés à l'impossibilité d'effectuer le voyage qu'il avait réservé et aux frais engagés à ce titre, et à la perte de bénéfices subie dans le cadre de l'exploitation du restaurant dont il est propriétaire ; il a en outre subi un préjudice moral dont la réparation ne saurait être limité à 1 500 euros d'indemnité ;
- les conclusions présentées par le ministre de l'intérieur, qui se borne à s'en remettre aux écritures de première instance du préfet de la Manche, sont irrecevables tant en ce qu'elles tendent au rejet de la requête d'appel qu'à l'annulation, par la voie de l'appel incident, du jugement du 24 novembre 2017.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande l'annulation du jugement du 24 novembre 2017 en tant qu'il a condamné l'Etat à verser une indemnité à M. A... D....
Le ministre soutient que :
- le requérant n'est pas fondé à obtenir l'indemnisation des préjudices liés, d'une part à l'impossibilité pour lui d'effectuer le voyage qu'il avait réservé et aux frais engagés à ce titre, dès lors qu'il a pu en définitive effectuer ce voyage, et d'autre part, à la perte de chiffre de bénéfice dont il se prévaut, dès lors que le lien de causalité entre cette prétendue perte et la faute de l'État ne présente pas un caractère direct et certain ;
- la responsabilité de l'Etat doit être écartée en raison de l'imprudence fautive dont a fait preuve le requérant, qui ne pouvait ignorer que la déclaration de vol de son passeport entraînerait son invalidation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Besse, rapporteur ;
- et les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,
Considérant ce qui suit :
1. A la suite du vol de son passeport le 9 mai 2016, M. A...D...s'est rendu au commissariat de police de Coutances pour porter plainte. A cette occasion, les agents de police lui ont alors restitué ce document qui avait été retrouvé par un tiers et rapporté au commissariat. Le 11 octobre 2016, soit cinq mois plus tard, M. A...D...se présentant avec sa compagne à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle pour partir en voyage à l'étranger, s'est vu refuser l'embarquement par la compagnie aérienne au motif que son passeport, déclaré volé, avait été invalidé. Le 2 novembre 2016, M. A...D...a saisi le préfet de la Manche d'une demande préalable tendant à obtenir une indemnité en réparation des préjudices résultant pour lui de la restitution de son passeport invalidé par les services de police le 9 mai 2016, liés notamment à l'impossibilité d'effectuer le voyage qu'il avait réservé et à la perte de chiffre d'affaires subie dans le cadre de l'exploitation du restaurant dont il est propriétaire. Le préfet de la Manche a implicitement rejeté cette demande le 2 janvier 2017. Par un jugement du 24 novembre 2017, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision implicite du préfet de la Manche, mis à la charge de l'Etat le versement à M. A...D...d'une indemnité de 2 244,60 euros et rejeté le surplus des conclusions de la demande. M. A...D...relève appel de ce jugement en tant qu'il a limité l'indemnité qui lui a été allouée à la somme de 2 244,60 euros, et conclut à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 21 893,66 euros.
Sur la fin de non recevoir opposée par M. A...D...aux écritures du préfet :
2. Contrairement à ce que soutient M. A...D..., le ministre de l'intérieur ne s'est pas borné, pour motiver ses conclusions d'appel incident formées contre le jugement du tribunal administratif de Nantes du 24 novembre 2017, à se réapproprier les observations présentées en première instance par le préfet de la Manche, dont il a au demeurant joint une copie dans le cadre de la présente instance d'appel, mais a développé des moyens propres tendant à obtenir l'annulation du jugement attaqué. Par suite, la fin de non recevoir opposée par le requérant, tirée de l'irrecevabilité des écritures du ministre de l'intérieur doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :
3. En premier lieu, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il résulte de l'instruction et n'est d'ailleurs pas contesté par le ministre de l'intérieur que les services de police du commissariat de Coutances ont restitué à tort à M. A...D...son passeport invalidé à la suite de la plainte qu'il avait déposé auparavant. L'intéressé est ainsi fondé à soutenir que les services de police ont commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
4. En second lieu, il n'est pas démontré que M. A...D...aurait reçu, à l'occasion de la restitution de son passeport par les services du commissariat de Coutances, la moindre information quant à l'invalidation de ce document. Le requérant était ainsi en situation de croire légitimement que son passeport demeurait valide et lui permettait, sans avoir à accomplir de démarche préalable, d'effectuer un déplacement à l'étranger. En conséquence, le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que M. A...D...aurait fait preuve d'une imprudence fautive de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité.
5. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a retenu sa responsabilité.
En ce qui concerne les préjudices :
6. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'après avoir été placé dans l'impossibilité de réaliser le voyage à l'étranger qu'il avait prévu d'effectuer, avec sa compagne, du 11 au 26 octobre 2016, M. A...D...a pu effectuer le même voyage, avec sa compagne, du 11 au 26 janvier 2017, mais moyennant un surcoût de 1 650 euros correspondant à un supplément de prix du séjour d'un montant de 125 euros, aux frais d'annulation du premier voyage pour 591 euros, et aux frais de modification et de report du voyage d'un montant de 934 euros. Ce surcoût, que M. A... D...justifie avoir supporté, présente un lien direct avec la faute commise par les services de police qui l'a empêché d'effectuer son voyage aux dates initialement prévues. Par suite, M. A... D...est fondé à obtenir réparation du préjudice financier qui en est résulté.
7. En deuxième lieu, comme l'a admis le tribunal administratif, il résulte de l'instruction que le requérant justifie avoir exposé en pure perte des frais de déplacement avec son véhicule et en taxi pour se rendre de son domicile situé à Coutances jusqu'à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, et effectuer le trajet retour. Ces frais, qui présentent un lien direct avec la faute commise, sont également de nature à ouvrir droit à indemnisation à hauteur de 744,60 euros, correspondant aux frais de taxis dont il est justifié pour un montant de 280,50 euros et aux frais de route évalués à 464,10 euros sur la base du barème fiscal pour un véhicule de plus de 7 CV dont le requérant justifie être propriétaire.
8. En revanche, et en troisième lieu, M. A...D...ne saurait prétendre à obtenir réparation du préjudice correspondant à la perte de bénéfices liée à la fermeture du restaurant qu'il exploite, qui ne peut être considérée comme présentant un lien direct avec l'annulation du voyage. En effet, la fermeture du restaurant exploité par le requérant du 11 au 26 octobre 2016 au cours de laquelle il aurait dû effectuer initialement son séjour à l'étranger, résulte du choix de M. A...D...de prendre des congés et de consentir à une telle perte de bénéfices indépendamment de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé d'effectuer son voyage. Il en est de même s'agissant de la fermeture de son restaurant pendant la période du 11 au 26 janvier 2017 au cours de laquelle il a effectué ce voyage. Par ailleurs, et en toute hypothèse, les documents produits par le requérant, qui ne font état que d'estimations de chiffre d'affaires, ne permettent de démontrer ni le caractère certain ni l'étendue de la perte de bénéfice indemnisable.
9. En quatrième et dernier lieu, le tribunal administratif a fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. A...D..., du fait de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de réaliser son voyage aux dates qu'il avait projetées, en fixant à 1 500 euros le montant de l'indemnité devant lui être allouée à ce titre.
10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 9 du présent arrêt qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A...D...d'une indemnité 3 894,60 euros.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...D...est seulement fondé à soutenir qu'il y a lieu de réformer le jugement du 24 novembre 2017 en tant qu'il a limité à 2 244,60 euros le montant de l'indemnité qui lui a été allouée par le tribunal administratif de Caen et à obtenir la condamnation de l'Etat à lui verser une d'une indemnité 3 894,60 euros.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat (ministère de l'intérieur), la somme de 1 500 euros à verser à M. A...D...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'indemnité que l'Etat (ministère de l'intérieur) a été condamné à verser à M. A...D...est portée à la somme de 3 894,60 euros (trois mille huit cent quatre-vingt quatorze euros et soixante centimes).
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 24 novembre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat (ministère de l'intérieur) versera à M. A...D...la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par les parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A...D...et au ministre de l'intérieur.
Une copie en en sera transmise au préfet de la Manche.
Délibéré après l'audience du 22 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,
- M. Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 février 2019.
Le rapporteur,
P. BesseLe président,
L. Lainé
Le greffier,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT00196