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08/02/2019 | FRANCE | N°17NT02420

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 08 février 2019, 17NT02420


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département du Loiret a demandé au tribunal administratif d'Orléans, à titre principal sur le fondement de la responsabilité décennale, de condamner solidairement, en premier lieu, les sociétés Abraysienne, H4 Valorisation, Lehoux-Phily, Projetud et Me J...ès qualités de liquidateur de la société Projetud à lui payer la somme de 13 207,03 euros TTC correspondant au coût de mise en place du dispositif d'optimisation-régulation de la température intérieure du collège Victor Hugo à Puiseaux et la

somme de 12 984 euros TTC correspondant aux travaux de mise en place d'une produ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département du Loiret a demandé au tribunal administratif d'Orléans, à titre principal sur le fondement de la responsabilité décennale, de condamner solidairement, en premier lieu, les sociétés Abraysienne, H4 Valorisation, Lehoux-Phily, Projetud et Me J...ès qualités de liquidateur de la société Projetud à lui payer la somme de 13 207,03 euros TTC correspondant au coût de mise en place du dispositif d'optimisation-régulation de la température intérieure du collège Victor Hugo à Puiseaux et la somme de 12 984 euros TTC correspondant aux travaux de mise en place d'une production indépendante d'eau chaude sanitaire, en deuxième lieu, les sociétés Sorecob, H4 Valorisation, Lehoux-Phily, Projetud et Me J...ès qualités de liquidateur de la société Projetud à lui payer la somme de 27 306 euros TTC correspondant au coût des travaux de reprise de l'ensemble des défauts d'isolation, en troisième lieu, les sociétés H4 Valorisation, Lehoux-Phily, Projetud et Me J...en sa qualité de liquidateur de la société Projetud à lui payer la somme de 7 142,40 euros TTC correspondant au coût des travaux de mise en place d'une hotte au dessus du point de puisage d'eau chaude dans le local laverie, en quatrième lieu, les sociétés Sorecob, Abraysienne, H4 Valorisation, Lehoux-Phily, Projetud et MeJ..., ès qualités de liquidateur de la société Projetud à lui payer les sommes de 9 096 euros, de 606,40 euros et de 606,40 euros au titre des honoraires de maîtrise d'oeuvre, de contrôle technique et de coordonnateur SPS à exposer pour les travaux de reprise des désordres, à titre subsidiaire sur le fondement de la responsabilité contractuelle, de condamner in solidum les sociétés H4 Valorisation, Lehoux-Phily, Projetud et Me J...en qualité de liquidateur de la société Projetud à lui payer les mêmes sommes, d'assortir les montants sollicités de la révision en fonction des variations de l'indice du coût de la construction à la date d'exécution des travaux, de la taxe sur la valeur ajoutée au taux applicable à la date du jugement à intervenir et des intérêts au taux légal à compter de la date d'introduction de la requête et de la capitalisation des intérêts et de mettre les dépens, d'un montant de 32 396,42 euros, à la charge solidaire des sociétés Sorecob, Abraysienne, H4 Valorisation, Lehoux-Phily, Projetud et Me J...en sa qualité de liquidateur de la société Projetud ainsi que la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1602459 du 24 mai 2017, le tribunal administratif d'Orléans, par un article 1, a condamné solidairement la société Lehoux-Phily et MeJ..., ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Projetud à verser au département du Loiret la somme de 38 702,90 euros en réparation des désordres affectant le collège Victor Hugo à Puiseaux, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2016, par un article 2, a mis solidairement à la charge de la société Lehoux-Phily et MeJ..., ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Projetud le versement de la somme de 1 000 euros au département du Loiret au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, par un article 3, a donné acte à la SAS Tunzini Centre Val de Loire de son désistement de ses conclusions d'appel en garantie dirigées contre la compagnie Groupama Paris Val de Loire, par un article 4, a rejeté les conclusions d'appel en garantie présentées par la Crama Paris Val de Loire contre la société Sorecob, la Sarl Lehoux-Phily et par MeJ..., ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Projetud contre la société Hydraéco, par un article 5, a rejeté le surplus des conclusions de la requête du département du Loiret et les conclusions de la SAS Tunzini Centre Val de Loire, de la Crama Paris Val de Loire et de MeJ..., ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Projetud tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er août 2017 et le 10 octobre 2018, la société Lehoux-Phily, représentée par MeG..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 24 mai 2017 ;

2°) de rejeter la demande présentée par le département du Loiret devant le tribunal administratif d'Orléans ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner la société H4 Valorisation, la société Tunzini, la société Sorecob et Me J...à indemniser le département du Loiret à hauteur de 68 702,90 euros ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner la société H4 Valorisation, la société Tunzini, la société Sorecob et Me J...à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

5°) de mettre à la charge du département du Loiret une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa responsabilité contractuelle ne pouvait être mise en jeu ; s'agissant du chauffage, le désordre est du à l'exploitant ; en tout état de cause c'est uniquement la société Projetud qui a assuré la mission de maitrise d'oeuvre de ce lot ;

- aucun manquement ne saurait lui être reproché dès lors qu'elle n'a pas assuré les missions dévolues à la maîtrise d'oeuvre concernant les lots fluides, dont ventilation - chauffage - plomberie ;

- sur l'isolation thermique du plancher bas du logement de fonction, il s'agit d'un oubli dans la rédaction du CCTP du lot isolation, et de la non reprise des préconisations des calculs thermiques ; le manquement qui pourrait être retenu devra être partagé entre les membres de l'équipe de maîtrise d'oeuvre ;

- sur l'isolation thermique au-dessus du faux plafond du hall du préau, le rapport d'expertise fait état de déstructuration de la laine de verre installée, qui est sans conteste le fruit d'interventions postérieures ;

- le CCTP prévoyait bien la mise en oeuvre d'un calorifugeage sur les tuyaux de raccordement hydraulique de la CTA ; le défaut de mise en oeuvre, s'il devait exister au jour de la réception, relève d'un défaut d'exécution de l'entreprise Tunzini Centre Val de Loire ;

- les travaux de chauffage et ventilation relevaient de la responsabilité de la société Projetud ; la laine de verre a été " destructurée " par des interventions postérieures à la réception ;

- aucun manquement contractuel ne saurait être reproché à l'architecte au titre de l'humidité dans le local laverie ;

- la responsabilité contractuelle de la société H4 valorisation doit être engagée pour ne pas avoir averti le maitre d'ouvrage des désordres apparents ;

- elle est fondée à demander la condamnation des sociétés Bernisol et Abraysienne aux droits de laquelle vient la société Tunzini Centre Val de Loire à la garantir :

- il convient d'opérer un partage de responsabilité au sein de l'équipe de maîtrise d'oeuvre et de considérer que le société Projetud est seul responsable des désordres affectant la régulation du chauffage, la mise en oeuvre des réseaux de CTA et de chauffage, le calorifugeage des tuyaux et l'humidité du local laverie.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 octobre 2017, le 31 janvier 2018 et le 12 octobre 2018, le département du Loiret, représenté par MeI..., conclut au rejet de la requête et demande en outre :

1°) à titre principal, par la voie de l'appel incident et provoqué, de condamner solidairement sur le fondement de la garantie décennale :

- les sociétés Lehoux-Phily, Tunzini aux droits de la société Abraysienne, H4 Valorisation et Me J...ès qualités de liquidateur de la société Projetud à lui payer la somme de 13 207,03 euros TTC, correspondant au coût des travaux de mise en place du dispositif d'optimisation-régulation de la température intérieure prévu au CCTP du lot " chauffage-ventilation " ;

- les sociétés Lehoux-Phily, Tunzini aux droits de la société Abraysienne, H4 Valorisation et Me J...ès qualités de liquidateur de la société Projetud à lui payer la somme de 12 984 euros TTC, correspondant au coût des travaux de mise en place d'une production indépendante d'eau chaude sanitaire au moyen d'un dispositif autonome, sans lien hydraulique avec l'installation de chauffage existante, à réviser en fonction des variations de l'indice du coût de la construction à la date de l'exécution des travaux, et auquel devra être ajoutée la TVA applicable ;

- les sociétés Lehoux-Phily, Sorecob, Tunzini aux droits de la société Abraysienne, H4 Valorisation et Me J...ès qualités de liquidateur de la société Projetud à lui payer la somme de 27 306 euros TTC, correspondant au coût des travaux de reprise de l'ensemble des défauts d'isolation, montant à réviser en fonction des variations de l'indice du coût de la construction à la date de l'exécution des travaux, et auquel devra être ajoutée la TVA applicable ;

- les sociétés Lehoux-Phily, H4 Valorisation, et Me J...ès qualités de liquidateur de la société Projetud à lui payer la somme de 7 142,40 euros TTC, correspondant au coût des travaux de mise en place d'une hotte au-dessus du point de puisage d'eau chaude dans le local laverie, montant à réviser en fonction des variations de l'indice du coût de la construction à la date de l'exécution des travaux, et auquel devra être ajoutée la TVA applicable ;

- les sociétés Lehoux-Phily, Sorecob, Tunzini aux droits de la société Abraysienne, H4 Valorisation, le bureau d'études Projetud et Me J...ès qualités de liquidateur de la société Projetud à lui payer la somme de 9 096 euros, correspondant au montant des honoraires de maîtrise d'oeuvre pour l'ensemble des travaux de reprise des désordres, montant à réviser en fonction des variations de l'indice du coût de la construction à la date de l'exécution des travaux, et auquel devra être ajoutée la TVA applicable ;

- les sociétés Lehoux-Phily, Sorecob, Tunzini aux droits de la société Abraysienne, H4 Valorisation, et Me J...ès qualités de liquidateur de la société Projetud à lui payer la somme de 606,40 euros correspondant au montant des honoraires de contrôleur technique pour l'ensemble des travaux de reprise des désordres et la somme de 606,40 euros correspondant au montant des honoraires de coordonnateur SPS pour l'ensemble des travaux de reprise des désordres, montants à réviser en fonction des variations de l'indice du coût de la construction à la date de l'exécution des travaux, et auxquels devra être ajoutée la TVA applicable ;

2°) à titre subsidiaire, par la voie de l'appel incident et provoqué, de condamner solidairement sur le fondement de la responsabilité contractuelle les sociétés Lehoux-Phily, H4 Valorisation et Me J...ès qualités de liquidateur de la société Projetud à lui payer les mêmes sommes ;

3°) en tout état de cause, d'assortir ces montants de l'intérêt au taux légal à compter de la date d'introduction de la requête et de la capitalisation de ces intérêts ;

4°) de mettre solidairement à la charge des sociétés Lehoux-Phily, Sorecob, Tunzini aux droits de la société Abraysienne, H4 Valorisation, et Me J...ès qualités de liquidateur de la société Projetud une somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les désordres constatés au sein du collège relèvent de la garantie décennale ;

- ils sont imputables à la société Tunzini, venant aux droits de la société Abraysienne en ce qui concerne l'absence de dispositif de régulation-optimisation de la température et l'impossibilité d'arrêter le circulateur du réseau CTA ;

- les défauts d'isolation sont donc bien susceptibles d'être rattachés à la sphère d'intervention de la société Batisol à laquelle la société Sorecob a sous-traité les travaux d'isolation ;

- le groupement de maîtrise d'oeuvre a donc contribué à la survenance de l'ensemble des désordres, qui ont rendu l'immeuble impropre à sa destination ;

- la société H4 Valorisation, maître d'ouvrage délégué, était notamment tenue d'une obligation d'assistance technique à maîtrise d'ouvrage lors du chantier, selon le CCTP du contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée de sorte que sa responsabilité doit être recherchée au même titre que celle de la maitrise d'oeuvre ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité contractuelle du groupement de maîtrise d'oeuvre et du maître d'ouvrage délégué doit être engagée solidairement pour les désordres constatés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 novembre 2017, la société Tunzini Centre Val de Loire, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et de l'appel incident et provoqué du département du Loiret et demande en outre qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Leroux-Phily au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par la société Leroux-Phily et par le département du Loiret n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 novembre 2017, MeJ..., ès qualités de mandataire liquidateur de la société Projetud, représentée par MeF..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 24 mai 2017 du tribunal administratif d'Orléans ;

2°) de rejeter les conclusions de la société Leroux-Phily en ce qu'elle sollicite que la réparation des dommages résultant de la régulation du chauffage, de la mise en oeuvre des réseaux de CTA et de chauffage, du calorifugeage des tuyaux et de l'humidité du local laverie, ainsi que 50% des désordres liés à l'isolation soient mis à sa charge et en ce qu'elle sollicite sa condamnation à la garantir de toute condamnation ;

3°) de rejeter les conclusions du département du Loiret tendant à ce que soit mis à sa charge la somme globale de 70 948,23 euros TTC ainsi que les 20 000 euros au titre des frais irrépétibles et la prise en charge des frais d'expertise ;

4°) de rejeter les conclusions de la société Tunzini Centre Val de Loire ;

5°) de mettre à la charge du département du Loiret une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de 1'article L 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- s'agissant des travaux qui ont fait l'objet de réserves les maitres d'oeuvre ont alerté le maitre d'ouvrage des difficultés affectant ces travaux ; en ce qui concerne la régulation du chauffage, dès lors que les réserves portant sur ces travaux n'ont jamais été expressément levées, et en ce qui concerne le fonctionnement anormal du CTA, désordre apparent lors de la réception des travaux, la société Abraysienne, titulaire de ce lot, devra se voir imputer la charge de ses erreurs dans 1'exécution des travaux qui lui ont été confiés ;

- s'agissant du défaut d'isolation du plancher du logement de fonction, la responsabilité de l'entreprise en charge des travaux est susceptible d'être recherchée ;

- s'agissant de l'isolation thermique du faux plafond, aucun défaut de conseil ne peut lui être imputé ;

- s'agissant du calorifugeage des tuyaux du réseau de la CTA, de l'isolation des combles, et de l'humidité de la laverie, il n'est pas établi que ces désordres étaient apparents lors de la réception des travaux ;

- le maître d'ouvrage a participé à son propre dommage en n'actionnant pas la garantie de parfait achèvement ;

- la responsabilité du maître d'ouvrage délégué doit être engagée ;

- la société Leroux-Phily a délivré l'attestation de conformité RT 2000 de sorte que la société Projetud ne peut se voir imputer la responsabilité des défauts d'isolation ;

- la réparation de la plupart des préjudices dont le département sollicite 1'indemnisation ne saurait être mise à la charge de la société Projetud dès lors qu'aucun défaut de conseil ne saurait lui être valablement imputé.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 novembre 2017 et le 8 octobre 2018, la société Valorisation H4, représentée par MeD..., conclut dans le dernier état de ses écritures au rejet de la requête et des appels incidents et provoqués du département du Loiret et de MeJ..., ès qualités de mandataire liquidateur de la société Projetud, et demande en outre qu'une somme de 10 000 euros soit à mise à la charge du département du Loiret et de toute autre partie perdante en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par la société Leroux-Phily et par le département du Loiret n'est fondé.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 18 décembre 2017 et le 9 mars 2018, la société Sorecob, représentée par MeH..., conclut au rejet de la requête et des appels incidents et provoqués du département du Loiret et demande en outre qu'une somme de 8 000 euros soit mise solidairement à la charge de la société Leroux-Phily et du département du Loiret en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par la société Leroux-Phily et par le département du Loiret n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Allio-Rousseau,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., représentant la société Lehoux-Phily, et celles de MeB..., représentant le département du Loiret.

Considérant ce qui suit :

1. En 2006, le département du Loiret a, en qualité de maître de l'ouvrage, entrepris des travaux de restructuration et d'extension de l'ensemble immobilier constituant le collège Victor Hugo à Puiseaux. Par un marché conclu le 9 septembre 2003, il a délégué la maîtrise d'ouvrage à la société H4 Valorisation. Par un acte d'engagement du 18 mars 2004, la maîtrise d'oeuvre complète de l'opération a été confiée à un groupement conjoint composé notamment de la société Lehoux-Phily, architecte et également mandataire du groupement, et du bureau d'études fluides Projetud, représenté désormais par son mandataire liquidateur MeJ.... Le lot n°16 " chauffage - VMC" a été attribué à la société Abraysienne, aux droits de laquelle vient la société Tunzini Centre Val de Loire, par un marché de travaux du 5 janvier 2006. Les travaux du lot n° 4 " étanchéité-couverture " ont été confiés à la société Sorecob. Les travaux de restructuration et d'extension du collège ont été réceptionnés le 9 octobre 2007, avec réserves. Après la réception des travaux, ont été constatés des dysfonctionnements du système de chauffage, des défauts d'isolation thermique de certaines parties du bâtiment et une humidité anormale dans le local-laverie. Le 22 juillet 2013, le département du Loiret a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Orléans de prescrire une mesure d'expertise aux fins d'examen des désordres affectant le collège Victor Hugo à Puiseaux. Par ordonnance du 5 septembre 2013, ce juge a désigné un expert qui a rendu son rapport le 10 mai 2016. Le département du Loiret a demandé alors au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs et subsidiairement sur la responsabilité contractuelle, les sociétés Sorecob, Abraysienne, H4 Valorisation, Lehoux-Phily, Projetud et Me J...en sa qualité de liquidateur de la société Projetud à lui payer diverses sommes en réparation des désordres affectant le système de chauffage, l'isolation thermique dans certaines parties des bâtiments et le local laverie du collège. Par un jugement du 24 mai 2017, rectifié par une ordonnance du 12 juin 2017, le tribunal administratif d'Orléans a condamné solidairement, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la société Lehoux-Phily et MeJ..., en qualité de mandataire-liquidateur de la société Projetud, à verser au département du Loiret la somme de 68 702,90 euros au titre du coût de la réparation des désordres, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2016, la somme de 32 396,42 euros TTC au titre des frais et honoraires de l'expertise et la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La société Leroux-Phily fait appel de ce jugement et en demande, à titre principal, l'annulation, à titre subsidiaire la réformation. Le département du Loiret conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident et provoqué, demande la condamnation des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale au versement des mêmes sommes, à titre subsidiaire et par la voie de l'appel incident et provoqué, la condamnation solidaire sur le fondement de la responsabilité contractuelle du groupement de maitrise d'oeuvre et de la société H4 Valorisation à lui payer les mêmes sommes. Les sociétés Tunzini Centre Val de Loire, Sorecob et H4 Valorisation concluent au rejet de la requête et des appels incidents et provoqués dirigés contre elles.

Sur la responsabilité des constructeurs :

En ce qui concerne la responsabilité décennale :

2. La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve et elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. En l'absence de stipulations particulières prévues par les documents contractuels, lorsque la réception est prononcée avec réserves, les rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs ne se poursuivent qu'au titre des travaux ou des parties de l'ouvrage ayant fait l'objet des réserves. En ce qui concerne les ouvrages ou parties d'ouvrages ayant fait l'objet d'une réception sans réserve ou de réserves finalement levées, il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.

3. Il résulte de l'instruction que les désordres affectant le collège Victor Hugo sont constitués par des températures intérieures inférieures aux températures contractuelles définies avec les constructeurs, l'absence du dispositif d'optimisation-régulation de la température intérieure pourtant prévu au cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du lot " chauffage-ventilation ", l'impossibilité d'arrêter le circulateur du réseau central de traitement d'air (CTA) hors saison de chauffe, alors que le CCTP du lot " chauffage-ventilation " prévoyait une telle possibilité, des défauts d'isolation, les surconsommations d'énergie et l'humidité anormale dans le local laverie due à l'absence de hotte au-dessus du point de puisage d'eau chaude.

4. En premier lieu, depuis la réception des travaux, une insuffisance de mise en température du système de chauffage s'est révélée dès lors que ce système même poussé au maximum ne parvient pas ou difficilement à fournir les températures fixées contractuellement en période hivernale à 16° dans le hall d'accueil et 19° dans le réfectoire. En effet, il a été constaté au cours de l'expertise judiciaire, grâce à la pose de sondes d'enregistrement, certes au cours d'une période hivernale clémente, que durant les périodes de non-occupation des locaux, la température ambiante descendait excessivement. Or, selon l'expert, le dispositif de régulation ne comporte pas de système d'optimisation permettant d'enclencher la remise en route du chauffage " au bon moment " et, en tous cas, suffisamment tôt en tenant compte des conditions climatiques, de telle sorte que le niveau de confort soit atteint au moment de l'occupation des lieux. Il ajoute que le matériel de gestion du chauffage mis en oeuvre ne correspond pas à la définition prévue au CCTP du lot chauffage. Toutefois, s'agissant particulièrement du lot " chauffage VMC " des réserves ont été posées sur le fonctionnement du chauffage en réfectoire ainsi que sur les dysfonctionnements du CTA et du logiciel de régulation du chauffage. La société Abraysienne devait ainsi régler le fonctionnement du CTA et faire réaliser des essais contractuels de chauffage. Il ne résulte pas de l'instruction que ces réserves ont été levées. Par ailleurs, l'expert a indiqué que les difficultés liées à la régulation-programmation ont occasionné à certains moments des insuffisances de températures par rapport aux données contractuelles sans toutefois rendre impossible l'usage des lieux et exiger la mise en place ou l'usage de systèmes de substitution pour pallier les insuffisances. Les parties ne contestent pas sérieusement ce constat. Il en résulte que le département du Loiret n'est pas fondé à soutenir que la réparation de ce désordre relève du champ d'application de la garantie décennale.

5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, d'une part, que l'isolation thermique au dessus du faux-plafond du hall du préau n'a pas été correctement mise en place et que certaines zones ne comportent pas d'isolation. D'autre part, une partie des tuyaux du réseau CTA ne comporte pas de calorifugeage. Enfin, le plancher bas du logement de fonction situé au dessus du rez-de-chaussée à usage de garage ou de remise de matériels ne comporte pas d'isolation thermique, contrairement à ce que prévoyaient les stipulations contractuelles. Toutefois, compte tenu de leur nature et de leur faible étendue, il ne résulte pas de l'instruction que ces désordres compromettent la solidité de l'immeuble ou qu'ils rendent l'ouvrage impropre à sa destination.

6. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que le taux d'humidité dans le local laverie est anormalement élevé, ce qui provoque un phénomène de condensation sur les parois carrelées du local et déforme en partie le bâti de la porte. Ce phénomène de condensation ne résulte pas du fonctionnement de la machine à laver la vaisselle mais est lié à la présence d'un point de puisage d'eau chaude fortement sollicité qui n'est pas situé, au contraire de la machine à laver la vaisselle, sous la hotte d'extraction des buées de lavage alors que ce point de puisage est fort producteur de buées et de condensation. Toutefois, il résulte de l'instruction que ce désordre, d'étendue limitée, n'est pas de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination.

7. Enfin, il résulte notamment du rapport d'expertise que le réseau de chauffage à deux tubes pour le départ et le retour est commun à la centrale de traitement d'air et au producteur d'eau chaude sanitaire alors que, selon les articles 4.5.5 et 4.5.6 du cahier des clauses techniques particulières du lot chauffage ventilation, les deux réseaux devaient être séparés et non communs. L'expert a cependant constaté que l'absence d'un circuit primaire de réchauffage de l'eau chaude sanitaire depuis la chaufferie était facilement constatable en chaufferie par comparaison avec le cahier des clauses techniques particulières du lot chauffage. Ainsi ce désordre était apparent au moment des opérations de réception des travaux.

8. Il résulte des points 2 à 7 que le département du Loiret n'est pas fondé à soutenir que la réparation des désordres affectant le collège Victor Hugo de Puiseaux relèverait du champ d'application de la garantie décennale des constructeurs.

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle :

9. D'une part, la responsabilité des maîtres d'oeuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée lorsqu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître de l'ouvrage sur des désordres, même n'entrant pas dans le champ de la garantie décennale, affectant 1'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves.

10. Il ressort des points 2 à 7 que les désordres pour lesquels le département du Loiret a demandé réparation, soit étaient apparents, soit avaient fait l'objet de réserves de sorte que les maître d'oeuvre étaient avertis de leur existence et de leur étendue. En outre, les maîtres d'oeuvre n'ont pas signalé au département 1'absence du dispositif d'optimisation-régulation du chauffage du hall et du réfectoire. Par suite, les maîtres d'oeuvre, comprenant la société Lehoux-Phily, mandataire du groupement conjoint, et la société Projetud, bureau d'études techniques, qui aux termes du tableau de répartition financière participaient toutes deux aux opérations de réception, ont manqué à leur devoir de conseil envers le département du Loiret en n'appelant pas son attention sur ces désordres même si ceux-ci n'entraient pas dans le champ de la garantie décennale. Leurs fautes respectives ont concouru à l'ensemble des mêmes manquements et désordres. Par suite, le département du Loiret est fondé à demander, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, leur condamnation solidaire à raison des désordres affectant le collège.

11. D'autre part, contrairement à ce que prétendent le département du Loiret et les maîtres d'oeuvre, la société H4 Valorisation n'a jamais été tenue d'une obligation d'assistance technique mais, comme cela ressort clairement de l'article 3 du CCTP de la convention de mandat de maîtrise d'ouvrage déléguée, d'une mission d'assistance et de gestion administrative et financière, exclusive de tout rôle technique comme d'une mission de maîtrise d'oeuvre. Il en résulte que les désordres ne lui sont pas imputables.

Sur la réparation des préjudices :

12. Il n'est pas contesté par les parties que le montant des travaux de réparation des désordres sus-énumérés s'élève à la somme fixée par les premiers juges à hauteur de 68 702,90 euros TTC.

Sur les conclusions d'appels en garantie :

En ce qui concerne les appels en garantie croisés entre les membres du groupement de maîtrise d'oeuvre :

13. En premier lieu, lorsque le juge administratif est saisi d'un litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics opposant le maître d'ouvrage à des constructeurs qui ont constitué un groupement pour exécuter le marché, il est compétent pour connaître des actions en garantie engagées par les constructeurs les uns envers les autres si le marché indique la répartition des prestations entre les membres du groupement. Si tel n'est pas le cas, le juge administratif est également compétent pour connaître des actions en garantie entre les constructeurs, quand bien même la répartition des prestations résulterait d'un contrat de droit privé conclu entre eux, hormis le cas où la validité ou l'interprétation de ce contrat soulèverait une difficulté sérieuse.

14. En l'espèce, ne figure en annexe à l'acte d'engagement du marché de maîtrise d'oeuvre du 18 mars 2004 qu'un tableau de " répartition des honoraires par phases et entre concepteurs " qui, eu égard à son contenu, ne vaut pas répartition des travaux. Ainsi, la seule annexe à l'acte d'engagement du marché de maîtrise d'oeuvre fixant une répartition des honoraires entre les membres du groupement solidaire ne peut fonder les conclusions de la société Lehoux-Phily et celles de MeJ..., mandataire liquidateur de la société Projetud, tendant à être respectivement garanties de toutes condamnations prononcées contre elles dès lors que ce document ne vaut pas répartition des travaux.

15. En deuxième lieu, le préjudice subi par le maître d'ouvrage qui a été privé de la possibilité de refuser la réception des ouvrages ou d'assortir cette réception de réserves, du fait d'un manquement du maître d'oeuvre à son obligation de conseil, et dont ce dernier doit réparer les conséquences financières, n'est pas directement imputable aux manquements aux règles de l'art commis par les entreprises en cours de chantier. Il suit de là que les appels en garantie formulés par les maîtres d'oeuvre à l'encontre des entreprises chargées de la réalisation des travaux doivent être rejetés.

16. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été énoncé au point 8 que les conclusions d'appels provoqués du département du Loiret sur le fondement de la garantie décennale à l'encontre des sociétés Tunzini Centre Val de Loire, Sorecob et H4 Valorisation ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Lehoux-Phily est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel incident et provoqué des parties et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Lehoux-Phily, au département du Loiret, à la société H4 valorisation, à MeJ..., ès qualités de mandataire liquidateur de la société Projetud, à la société Sorecob et à la société Tunzini Centre Val de Loire.

Délibéré après l'audience du 22 janvier 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 8 février 2019.

Le rapporteur,

M-P. Allio-RousseauLe président,

L. Lainé

Le greffier,

M. E...

La République mande et ordonne au préfet du Loiret en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17NT02420


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT02420
Date de la décision : 08/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie-Paule ALLIO-ROUSSEAU
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : JOYEUX

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-02-08;17nt02420 ?
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