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04/01/2019 | FRANCE | N°18NT00668

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 04 janvier 2019, 18NT00668


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation des arrêtés du 27 décembre 2017 par lesquels le préfet de la Loire-Atlantique, d'une part, a prononcé sa remise aux autorités italiennes, d'autre part, l'a assigné à résidence.

Par un jugement 1711448 du 29 décembre 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 février 2018 et

le 21 novembre 2018, M. B..., représenté par MeD..., demande à la cour, dans le dernier état de ses...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation des arrêtés du 27 décembre 2017 par lesquels le préfet de la Loire-Atlantique, d'une part, a prononcé sa remise aux autorités italiennes, d'autre part, l'a assigné à résidence.

Par un jugement 1711448 du 29 décembre 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 février 2018 et le 21 novembre 2018, M. B..., représenté par MeD..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 29 décembre 2017 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 27 décembre 2017 du préfet de la Loire-Atlantique ;

3°) d'enjoindre à titre principal au préfet de la Loire-Atlantique de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'une omission à statuer ; il n'est pas répondu au moyen tiré du défaut d'indication de la base légale de l'arrêté de transfert en Italie ;

en ce qui concerne la décision de réadmission en Italie :

- la décision est insuffisamment motivée ;

- les dispositions de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; il n'est pas démontré que l'entretien a été conduit par une personne qualifiée en droit national ;

- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article 10 du règlement (UE) n° 118/2014 du 30 janvier 2014 ;

- cette décision est entachée d'un défaut de base légale ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen détaillé de sa situation personnelle au regard de son état de santé et de son jeune âge ; il est particulièrement vulnérable puisqu'il souffre de graves problèmes de santé et que la continuité des soins ne pourra pas être assurée en Italie ;

- en cas de renvoi en Italie il y a un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les dispositions de l'article 17-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ;

en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :

- la décision n'est pas suffisamment motivée ;

- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant réadmission en Italie ;

- elle méconnait les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle le prive d'un droit au recours effectif.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2018, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. B...n'est fondé.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 27 février 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 118/2014 de la commission du 30 janvier 2014 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Allio-Rousseau ;

- les observations de MeD..., représentant M.B....

Un mémoire de pièces présenté pour M. B...a été enregistré le 18 décembre 2018.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant guinéen né le 1er janvier 1999, est entré irrégulièrement sur le territoire français le 7 septembre 2017 et y a sollicité l'asile, le 20 novembre 2017, auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Italie le 28 mars 2017 puis le 15 avril 2017 pour y déposer une demande d'asile et enfin en Allemagne le 1er mai 2017. Par deux arrêtés du 27 décembre 2017, le préfet de la Loire-Atlantique a ordonné sa remise aux autorités italiennes, qui avaient accepté implicitement sa reprise en charge le 6 décembre 2017, et son assignation à résidence. M. B... relève appel du jugement du 29 décembre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...) La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. ". Par ailleurs, l'article 17 du même règlement dispose que : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit en principe dans le paragraphe 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre par l'article 17 de ce règlement est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

3. Il ressort des pièces du dossier que M.B..., qui indique avoir quitté son pays alors qu'il était mineur et déclare être entré irrégulièrement en France le 7 septembre 2017, après être passé par la Lybie, où il a été victime de mauvais traitements, et par l'Italie, a fait état lors de l'entretien mené le 20 novembre 2017 dans le cadre de sa demande d'asile de ses problèmes médicaux et notamment de ce qu'il est atteint de l'hépatite B. Il fait également l'objet d'une surveillance particulière en raison d'une suspicion de tuberculose et doit suivre en France un traitement contre ces deux maladies qui ont déjà nécessité un suivi comportant des analyses et bilans depuis leur détection en septembre 2017. Il justifie en outre être soigné pour une infection bactérienne gastrique. Or, les documents produits, notamment les rapports établis par Amnesty International et Médecins sans Frontière, font état de ce que, au moment de l'arrêté contesté, l'Italie, qui est confrontée à un afflux massif de réfugiés, ne peut assurer correctement aux personnes vulnérables la prise en charge, les soins ou le suivi médical que requiert leur état spécifique. D'ailleurs, en l'absence de toute réponse expresse aux demandes de reprise en charge formulées par l'administration française, il n'existe aucune garantie que les autorités italiennes aient effectivement pris en compte l'état de santé du requérant et le suivi médical qu'il requiert. Par suite, dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la particulière vulnérabilité de M. B...et aux risques personnels en résultant pour sa santé, ainsi qu'à son très jeune âge, la préfète de la Loire-Atlantique a entaché la décision de transfert en Italie prise le 27 décembre 2017 d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de l'intéressé en ne faisant pas usage de la faculté d'instruire sa demande d'asile en France en application des dispositions précitées du 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 décembre 2017 par lequel la préfète de la Loire-Atlantique a décidé sa remise aux autorités italiennes. Il y a lieu, par voie de conséquence, d'annuler l'arrêté du même jour par lequel la préfète de la Loire-Atlantique a décidé de l'assigner à résidence.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

6. Le présent arrêt, qui annule l'arrêté du 27 décembre 2017 par lequel la préfète de la Loire-Atlantique a décidé la remise de M. B...aux autorités italiennes, implique nécessairement, compte tenu du motif d'annulation, qu'il soit enjoint au préfet de délivrer à ce dernier une attestation de demande d'asile en procédure normale, lui permettant de séjourner provisoirement en France durant l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dans un délai de deux semaines à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

7. M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Neraudaudans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 29 décembre 2017 et les arrêtés du préfet de la Loire-Atlantique du 27 décembre 2017 portant transfert de M. B...en Italie et assignation à résidence sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Loire-Atlantique de délivrer à M. B...une attestation de demandeur d'asile suivant la procédure normale valant autorisation provisoire de séjour en France, dans un délai de deux semaines à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le versement de la somme de 1 500 euros à Me Neraudauest mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 18 décembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller,

- M. Besse, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 janvier 2019.

Le rapporteur,

M-P. Allio-RousseauLe président,

L. Lainé

Le greffier,

M. Guérin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT00668


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT00668
Date de la décision : 04/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie-Paule ALLIO-ROUSSEAU
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : NERAUDAU

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-01-04;18nt00668 ?
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