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26/12/2018 | FRANCE | N°18NT02640

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 26 décembre 2018, 18NT02640


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté son recours formé contre le refus opposé le 10 mars 2016 par les services de l'ambassade de France en Afghanistan à sa demande de délivrance de visas pour lui-même, son épouse et leurs quatre enfants mineurs.

Par un jugement n° 1607554 du 16 mai 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décis

ion de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté son recours formé contre le refus opposé le 10 mars 2016 par les services de l'ambassade de France en Afghanistan à sa demande de délivrance de visas pour lui-même, son épouse et leurs quatre enfants mineurs.

Par un jugement n° 1607554 du 16 mai 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2018, sous le n° 18NT02640, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'annuler le jugement du 16 mai 2018 et de rejeter la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que M. B...n'est pas exposé à une menace particulière.

Par un mémoire, enregistré le 6 décembre 2018, M.B..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 2000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir que :

- il remplit les critères pour bénéficier du dispositif de relocalisation de sorte que le jugement attaqué doit être confirmé ;

- subsidiairement, les visas sollicités devaient être délivrés, d'une part, afin de lui permettre de demander en France une protection internationale ainsi qu'au regard des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, d'autre part, compte tenu de la protection fonctionnelle qu'il est en droit d'exiger.

II - Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2018, sous le n° 18NT02641, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement attaqué.

Il soutient que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que M. B...n'est pas exposé à une menace particulière.

La clôture de l'instruction a été fixée au 1er octobre 2018 par une ordonnance du 12 septembre 2018.

M. B...a présenté un mémoire enregistré le 6 décembre 2018.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Constitution ;

­ la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

­ la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

­ le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M.B..., ressortissant afghan né en 1980, a été employé en qualité d'interprète par les forces françaises armées déployées en Afghanistan entre le 10 janvier 2008 et le 1er décembre 2012. Il a déposé en 2015 une demande de visas, pour lui-même, son épouse et leurs quatre enfants mineurs, auprès de l'ambassade de France en Afghanistan. Un refus ayant été opposé à sa demande le 10 mars 2016, il a saisi le 11 mai 2016 la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Cette dernière a implicitement rejeté son recours. Par une requête, enregistrée sous le n° 18NT02640, le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 16 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Nantes a, à la demande de M. B..., annulé la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités. Par une seconde requête, enregistrée sous le n° 18NT02641, le ministre de l'intérieur demande le sursis à exécution de ce même jugement. Les deux requêtes présentées par le ministre de l'intérieur sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, M. B...a servi, durant près de cinq années, en qualité d'interprète-traducteur auprès des forces françaises au sein d'une équipe de liaison et de tutorat opérationnel (OMLT) affectée notamment à Naghlu. Dans le cadre de cette activité, il a concouru à la mission d'accompagnement, de conseil et de formation des forces de l'armée nationale afghane et a, par ailleurs, constitué un relais auprès d'autres interprètes afghans. Si la majorité des contrats de travail conclus avec l'armée française prévoit, parmi les éléments de sa rémunération, une " indemnité d'activité opérationnelle " puis une " prime d'affectation auprès d'une OMLT ", lesquelles sont destinées aux interprètes participant à des activités à caractère opérationnel, il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment pas des deux " fiches de salaire permanent " établies au titre du mois de septembre 2011 et du mois de mai 2012, dont il ressort qu'aucune indemnité d'activité opérationnelle n'a alors été versée, que M. B...aurait effectivement pris part à des opérations de terrain l'exposant à la vue du public. En outre, M. B...se borne, premièrement, à faire valoir qu'il est ostracisé par ses voisins et contraint de changer de domicile régulièrement sans apporter le moindre commencement de preuve ni aucune précision à l'appui de ses affirmations et, deuxièmement, à faire état de la situation particulièrement dégradée en Afghanistan ainsi que des risques élevés auxquels sont exposés, de manière générale, les ressortissants afghans ayant apporté leur concours aux forces armées étrangères. Dans ces conditions, ni l'existence ni la gravité des menaces qui pèseraient personnellement sur M. B...et sa famille ne peuvent être regardées comme établies. Par suite, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont, pour annuler les refus de visa en litige, accueilli le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de ces refus, eu égard aux risques encourus par l'intéressé et sa famille du fait des missions accomplies.

3. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M.B....

4. En premier lieu, les moyens, soulevés à l'appui des conclusions dirigées contre la décision implicite née le 11 juillet 2011 du silence de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, tirés de l'incompétence du signataire et de l'insuffisance de motivation de la décision du 10 mars 2016 doivent être écartés comme inopérants.

5. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'administration n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation.

6. En troisième lieu, dans les cas où l'administration peut légalement disposer d'un large pouvoir d'appréciation pour prendre une mesure au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit, il est loisible à l'autorité compétente de définir des orientations générales pour l'octroi de ce type de mesures sans que l'intéressé puisse se prévaloir de telles orientations à l'appui d'un recours formé devant le juge administratif. Il s'ensuit que les orientations générales arrêtées par les autorités françaises en vue de l'accueil en France de certains personnels civils recrutés localement pour servir auprès des forces françaises en Afghanistan ne peuvent être invoquées à l'appui d'un recours devant le juge administratif contre un refus de visa. Par suite, le moyen tiré de ce que M. B...satisferait aux critères définis pour la mise en oeuvre du dispositif dit de relocalisation mis en place en 2015 par les autorités françaises doit être écarté.

7. En quatrième lieu, aux termes du quatrième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel renvoie le Préambule de la Constitution : " Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ". Si le droit constitutionnel d'asile a pour corollaire le droit de solliciter en France la qualité de réfugié, les garanties attachées à ce droit reconnu aux étrangers se trouvant sur le territoire de la République n'emportent aucun droit à la délivrance d'un visa en vue de déposer une demande d'asile en France ou pour y demander le bénéfice de la protection subsidiaire prévue à l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. De même, l'invocation des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à raison de menaces susceptibles d'être encourues à l'étranger ne saurait impliquer de droit à la délivrance d'un visa d'entrée en France. Les moyens tirés de la méconnaissance du droit d'asile et des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent, dès lors, qu'être écartés.

8. En dernier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 2 du présent arrêt, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B...et sa famille seraient personnellement exposés à un risque pour leur sécurité du fait du concours apporté par le requérant aux forces armées françaises. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des obligations qui incombent à l'Etat au titre de la protection qu'il doit à ses agents doit être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer les visas sollicités par M.B....

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :

10. La cour statue par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du ministre de l'intérieur tendant à l'annulation du jugement attaqué. Sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement est, en conséquence, devenue sans objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, lequel n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais de procès.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête du ministre de l'intérieur enregistrée sous le n° 18NT02641.

Article 2 : Le jugement n° 1607554 du tribunal administratif de Nantes du 16 mai 2018 est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Nantes et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié au ministre de l'intérieur et à M.B....

Délibéré après l'audience du 11 décembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme Brisson, président-assesseur,

- Mme Bougrine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 26 décembre 2018.

Le rapporteur,

K. BOUGRINELe président,

A. PEREZ Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT02640, 18NT02641


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT02640
Date de la décision : 26/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: M. DERLANGE
Avocat(s) : ATY AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-12-26;18nt02640 ?
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