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26/12/2018 | FRANCE | N°16NT03865

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 26 décembre 2018, 16NT03865


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...F...et Mme E...G...épouse F...ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer à M. F...un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française ainsi que la décision du 22 septembre 2014 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté la demande de délivrance d'un visa de long séjour présentée par M.F....

Par un jugem

ent n° 1404407 du 11 octobre 2016, le tribunal administratif de Nantes a annulé la déc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...F...et Mme E...G...épouse F...ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer à M. F...un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française ainsi que la décision du 22 septembre 2014 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté la demande de délivrance d'un visa de long séjour présentée par M.F....

Par un jugement n° 1404407 du 11 octobre 2016, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et la décision du ministre de l'intérieur du 22 septembre 2014 refusant de délivrer un visa à M. F....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 décembre 2016, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 octobre 2016 ;

2°) de rejeter la demande de première instance des requérants.

Il soutient que la présence possible de M. F...est susceptible de constituer un trouble à l'ordre public.

Par des mémoires en défense enregistrés le 14 février 2017 et le 18 mai 2018, M. et MmeF..., représentés par MeB..., concluent au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- la convention internationale de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;

- la résolution 955 (1994) du 8 novembre 1994 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations-Unies ;

- le statut du tribunal pénal international pour le Rwanda ;

- la résolution 2029 (2011) adoptée par le Conseil de sécurité le 21 décembre 2011 ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dussuet, président-rapporteur ;

- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions à fin d'annulation :

1. M.F..., ressortissant rwandais né en 1957, a épousé en 1984 une compatriote, MmeG..., avec laquelle il a eu quatre enfants. Cette dernière a obtenu le statut de réfugiée en France le 24 juin 2002. Elle a acquis la nationalité française, ainsi que ses quatre enfants, par décret du 29 juin 2005. Le 30 avril 2013, M. F...a sollicité auprès du consul général de France à Dar-es-Salam la délivrance d'un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française. M. et Mme F...ont déposé un recours préalable, le 30 décembre 2013, devant la Commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France qui l'a rejeté par décision implicite. Les intéressés ont alors saisi, le 26 juin 2014, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes d'une demande de suspension des effets de cette décision implicite de rejet. Par ordonnance du 21 juillet 2014, le juge des référés a suspendu l'exécution de la décision implicite de rejet et a enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer dans un délai d'un mois la demande de visa présentée par M.F.... En exécution de cette injonction, le ministre de l'intérieur, par une décision du 22 septembre 2014, a refusé de délivrer le visa de long séjour sollicité au motif que l'entrée et la présence de M. F...sur le territoire français seraient susceptibles de troubler l'ordre public. Les époux F...ont demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de la décision implicite de rejet de la commission de recours ainsi que celle de la décision du ministre de l'intérieur du 22 septembre 2014. Le tribunal a fait droit à leur demande par un jugement du 11 octobre 2016 dont le ministre de l'intérieur relève appel.

2. Aux termes du 4ème alinéa de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " (...) le visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public ". Par ailleurs, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale. Elles ne peuvent opposer un refus à une telle demande que pour un motif d'ordre public. Elles peuvent, sur un tel fondement, opposer un refus aux demandeurs ayant été impliqués dans la commission de crimes graves contre les personnes et dont la venue en France, eu égard aux principes qu'elle mettrait en cause ou au retentissement de leur présence sur le territoire national, serait de nature à porter atteinte à l'ordre public.

3. Il ressort des pièces du dossier que pour rejeter la demande de M.F..., l'administration s'est fondée sur la circonstance que sa venue en France serait de nature à porter atteinte à l'ordre public eu égard à sa participation au gouvernement de ce pays en qualité de ministre de la fonction publique pendant toute la durée des massacres perpétrés au Rwanda d'avril à juillet 1994.

4. Il est constant que M.F..., après avoir été condamné en premier instance, a été acquitté au bénéfice du doute par la chambre d'appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda des crimes d'entente en vue de commettre le génocide et d'incitation directe et publique à commettre le génocide. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, qu'après avoir exercé, en 1990 les fonctions de secrétaire général du ministère de la justice et occupé des fonctions importantes au sein du mouvement républicain national pour la démocratie et le développement alors que ce parti se radicalisait et organisait des milices armées en vue de la préparation du génocide, il a exercé des fonctions gouvernementales au Rwanda de décembre 1991 à juillet 1994, dont celles de ministre de la fonction publique, pendant toute la durée des massacres d'avril à juillet 1994, dans le gouvernement dirigé par M. A...D..., condamné quant à lui pour génocide par le Tribunal pénal international pour le Rwanda. M. F...a ainsi continué à exercer d'importantes fonctions ministérielles, ce qu'il ne contestait pas, jusqu'à la chute du gouvernement responsable de ces massacres.

5. Les premiers juges ont estimé, en dépit des faits qui viennent d'être rappelés, que les motifs d'ordre public qui fondent la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et la décision ministérielle n'étaient pas d'une gravité telle que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'avait pu refuser de lui délivrer le visa sollicité sans porter à son droit au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, eu égard aux faits précités, et alors même que le conseil de sécurité des Nations Unies a demandé aux Etats membres de faciliter la réinstallation des personnes acquittées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, c'est à tort que les premiers juges ont retenu ce motif pour annuler la décision contestée.

6. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme F...tant devant le tribunal administratif de Nantes que devant la cour.

7. En premier lieu, eu égard au motif d'ordre public évoqué ci-dessus, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas, par sa décision contestée refusant de délivrer à M. F...un visa en qualité de conjoint d'une ressortissante française, porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, elle n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 qui prévoient que : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

8. En deuxième lieu, si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction administrative.

9. Eu égard aux faits rappelés au point 3 du présent arrêt et au principe énoncé au point précédent, M. F...n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France méconnaîtrait l'autorité de la chose jugée par la chambre d'appel du tribunal pénal international pour le Rwanda, serait contraire à la résolution 955 (1994) du 8 novembre 1994 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations-Unies et à l'article 8 du statut du tribunal pénal international pour le Rwanda. L'intéressé, qui ne peut utilement soutenir que la décision contestée serait contraire à la résolution 2029 (2011) adoptée par le Conseil de sécurité le 21 décembre 2011 qui se borne à remercier les États qui ont accepté d'accueillir sur leur territoire les personnes acquittées et les condamnés ayant purgé leur peine, et à demander aux autres États qui sont en mesure de le faire de coopérer avec le tribunal dans ce domaine et de lui prêter tout le concours dont il a besoin pour pourvoir à la réinstallation des personnes en question, n'établit pas au vu de l'ensemble de ces éléments que la décision contestée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

10. En troisième lieu, M. F...ne peut utilement invoquer les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui prévoient que : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " et pas davantage les stipulations des articles 1er et 3 du 12ème protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. S'il fait valoir que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France emporte une rupture d'égalité, compte-tenu de la présence en France d'anciens ministres ou responsables rwandais, il ne l'établit pas.

11. En quatrième lieu, les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont applicables qu'aux procédures contentieuses suivies devant les juridictions lorsqu'elles statuent sur des droits ou obligations de caractère civil ou sur des accusations en matière pénale et non aux procédures administratives. Ainsi le moyen tiré de leur méconnaissance par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France qui n'est pas une juridiction, ne saurait être utilement invoqué. Par suite, M. F...n'est pas fondé à soutenir qu'en s'opposant au rapprochement familial sur des allégations non démontrées, la décision contestée aurait porté une atteinte manifeste aux principes du procès équitable et méconnaîtrait les stipulations de l'article 6§2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

12. Enfin, ainsi qu'il l'a été précisé ci-dessus, le refus de visa long séjour peut être opposé au conjoint d'un ressortissant français pour un motif d'ordre public tenant à l'exercice de fonctions de responsabilité au sein d'institutions ou de groupements ayant planifié ou mis en oeuvre le génocide des opposants et des civils victimes des crimes commis au Rwanda en 1994. Par suite, la circonstance que M. F...a fait l'objet d'un acquittement dans les conditions rappelées au point 7 des condamnations prononcées à son encontre par la chambre de première instance du tribunal pénal international pour le Rwanda à raison de son rôle dans ces crimes est sans influence sur le bien-fondé de la décision de refus de délivrance du visa de long séjour sollicité, la simple appartenance à ces institutions ou groupements criminels suffisant à justifier celle-ci sans que puisse être invoquée la présomption d'innocence applicable en matière pénale ou la méconnaissance des stipulations de l'article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France refusant de délivrer à M. F...un visa de long séjour

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

14. Le présent arrêt, qui annule le jugement du tribunal administratif de Nantes et qui rejette la demande de M.F..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressé tendant à ce qu'il soit enjoint, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de faire droit à sa demande de visa long séjour doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente affaire, verse à M. et Mme F... la somme qu'ils réclament au titre des frais exposés par eux non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal Administratif de Nantes du 11 octobre 2016 est annulé.

Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Nantes par M. et Mme F... ainsi que leurs conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. et Mme C...F....

Délibéré après l'audience du 21 décembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Dussuet, président de chambre,

- M. Degommier, président-assesseur,

- M. Mony, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 26 décembre 2018.

Le président-assesseur,

S. DEGOMMIERLe président-rapporteur,

J-P. DUSSUET

Le greffier,

C. POPSE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16NT03865


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT03865
Date de la décision : 26/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DUSSUET
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre DUSSUET
Rapporteur public ?: M. SACHER
Avocat(s) : POULAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-12-26;16nt03865 ?
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