Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 26 janvier 2016 par laquelle le ministre de la défense a refusé de reconnaître ses années d'exposition à l'amiante comme années de travaux insalubres au sens du décret du 5 octobre 2004.
Par un jugement n° 1601376 du 15 décembre 2016, le tribunal administratif de Rennes a fait droit à cette demande et a enjoint au ministre de procéder à un réexamen de la situation de M. D..." au vu des états annuels existants ou à faire établir éventuellement au titre des travaux insalubres accomplis par celui-ci au cours de sa carrière ".
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 février 2017, le ministre des armées demande à la cour d'annuler ce jugement du 15 décembre 2016.
Le ministre soutient que :
- l'administration a établi les états annuels d'heures de travaux insalubres de M.D... ;
- M. D...ne remplissait pas, à la date où il a été placé en cessation anticipée d'activité au titre de l'amiante, la condition de 17 années de service dans un emploi comportant des risques d'insalubrité lui permettant de bénéficier d'un départ anticipé à la retraite ;
- les années d'exposition à l'amiante de M. D...ne peuvent pas s'ajouter aux années de travaux insalubres figurant sur son relevé de carrière ;
- l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité et le départ en retraite pour travaux insalubres constituent deux dispositifs spécifiques ;
- la décision de refus de départ en retraite anticipé est justifiée par la prise en compte des heures de travail insalubre de M.D....
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2018, M. D..., représenté par MeB..., conclut :
- au rejet de la requête,
- à ce qu'il soit enjoint au ministre de reconnaître, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, les années 1978 à 1985 comme des années de travaux insalubres et à titre subsidiaire de procéder dans le même délai au réexamen de sa situation au vu d'états de service de travaux insalubres et d'exposition aux poussières d'amiante complets, ceci sous astreinte de 500 euros par jour de retard,
- à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. D...fait valoir que :
- les pièces produites par l'administration dans le cadre du recours en exécution formé contre le jugement attaqué par le ministre démontre le caractère incomplet des éléments sur lesquels s'est basée l'administration pour instruire sa demande ;
- les périodes d'exposition à des travaux insalubres figurant sur les états annuels produits par l'administration ne concernent pas l'exposition à l'amiante ;
- aucun état annuel récapitulatif de l'exposition à la poussière d'amiante n'a été établi en temps utile ;
- le ministre n'a pas fait appel du jugement n°1503487 par lequel le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à l'indemniser du préjudice résultant de sa carence fautive à ne pas avoir mis en place des mesures de protection particulières contre les poussières d'amiante ;
- l'annexe au décret du 18 août 1967 énumérant les travaux et emplois comportant des risques particuliers d'insalubrité inclut, en son point XVI, les travaux exposant à l'inhalation de poussières susceptibles d'entraîner des pneumoconioses, en l'absence de ventilation artificielle ;
- cette mention est de nature à démontrer que l'exposition à l'amiante constitue un risque d'insalubrité pouvant être pris en compte pour le bénéfice d'une retraite anticipée ;
- l'administration a reconnu elle-même qu'il a été exposé aux poussières d'amiante pendant 5 841 jours entre 1978 et 1999 et 2498 jours entre 1999 et 2005 ;
- c'est à juste titre que le tribunal administratif a relevé que le ministre, pour écarter sa demande, s'est limité à faire valoir que l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité était régie par des dispositions différentes de celles régissant les heures de travail insalubres.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, et en particulier son article 41 ;
- le décret n° 67-711 du 18 août 1967 ;
- le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 ;
- le décret n° 2004-1056 du 5 octobre 2004 modifié ;
- l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mony,
- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., substituant MeB..., représentant M.D....
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., ancien ouvrier de l'armement, bénéficiaire du dispositif de cessation anticipée d'activité depuis le 1er novembre 2013, a demandé le 17 août 2015 à son employeur la reconnaissance de ses années de travail passées sous exposition à l'amiante comme années de travaux insalubres au sens des dispositions de l'article 21 du décret n° 2004-1056 du 5 octobre 2004. Le ministre de la défense, par une décision du 28 janvier 2016, a refusé de faire droit à cette demande. Le tribunal administratif de Rennes, suite au recours contentieux formé par M.D..., a annulé cette décision par un jugement du 15 décembre 2016, dont le ministre relève appel.
Sur les conclusions en annulation :
2. Pour annuler le refus opposé par le ministre à la demande de M. D...de pouvoir bénéficier du dispositif de départ anticipé à la retraite au titre des travaux insalubres prévu par le décret n° 2004-1056 du 5 octobre 2004, le tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance que le ministre aurait dû, pour pouvoir instruire une telle demande, se référer à l'ensemble des états annuels d'heures de travaux insalubres accomplis par M. D...jusqu'à son départ du service, intervenu le 1er novembre 2013, date à laquelle il a commencé à percevoir l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (ASCAA), et que, faute de l'avoir fait, il n'avait pas pu se livrer à un examen complet de la carrière de l'intéressé, cette carence justifiant à elle seule qu'il soit fait droit à la demande de l'intéressé. Le tribunal a enjoint en outre au ministre de procéder à un nouvel examen de la situation de M. D..." au vu des états annuels existants ou à faire établir éventuellement, au titre des travaux insalubres accomplis par l'intéressé au cours de sa carrière ".
3. Le ministre, en appel, se limite à faire valoir que la décision litigieuse a été prise au vu d'un relevé de situation de la carrière de M.D..., établi le 22 décembre 2011, devant tenir lieu de récapitulatif des divers états annuels d'heures de travaux insalubres faisant apparaître que l'intéressé ne justifiait pas des 17 années de service dans un emploi comportant des risques d'insalubrité qui lui auraient permis de bénéficier d'un départ anticipé à la retraite, et qu'ainsi il ne pouvait valablement lui être reproché d'avoir pris une telle décision.
4. En premier lieu, le décret n° 67-711 du 18 août 1967 fixant les conditions d'application du régime des pensions des ouvriers de l'Etat fait figurer en annexe au titre des travaux et emplois comportant des risques particuliers d'insalubrité, en son point XVI, les " Travaux exposant à l'inhalation de poussières susceptibles d'entraîner des pneumoconioses, en l'absence de ventilation artificielle efficace ". Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que la période d'exposition à l'amiante reconnue à M. D...au titre de l'ASCAA ne peut être également décomptée en tant que travaux insalubres pour l'application des dispositions du décret n° 2004-1056 du 5 octobre 2004 relatif au dispositif de départ anticipé à la retraite au titre des travaux insalubres.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment des pièces produites par M. D... suite au recours en exécution de jugement formé par celui-ci, que si l'administration a communiqué différents états annuels, intitulés " Etat de services insalubres ", ceux-ci ne couvrent, que les seules années 1979 à 1985, 1987 à 1989, 1997, 2007, 2008 et 2011 à 2013, soit 16 années, alors que M. D...a commencé sa carrière, en 1976 et que celle-ci couvre, selon le relevé précédemment mentionné, une période totale de 33 ans, 5 mois et 19 jours. Selon ces états annuels, seules les années 1981, 1983 et 1988 font apparaître plus de 300 heures sous travaux insalubres et devaient ainsi, selon le ministre, être décomptées au titre des travaux insalubres permettant de bénéficier du dispositif de liquidation de pension à cinquante-sept ans prévu par l'article 21 du décret du 5 octobre 2004.
6. Toutefois, il ressort également des pièces du dossier que, pour admettre M. D...au bénéfice de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (ASCAA), le ministre s'est fondé sur deux relevés de carrière " amiante " préparés en 2012. Le premier, établi par la DCNS de Lorient, fait apparaître que l'intéressé a exercé pendant 5 841 jours, lors de sa période d'affectation à la direction des chantiers navals de Lorient, une profession dans des établissements ou parties d'établissements figurant sur la liste prévue par l'article 1er du décret du 21 décembre 2001. Le second relevé, établi par la DGA, montre que M. D...a travaillé dans les mêmes conditions pendant 2 498 jours lorsqu'il était affecté au site de Gâvres. Au total, ces périodes d'emplois ou de fonctions, " au cours desquelles étaient traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ", selon les termes du 1° de l'article 1 du décret du 21 décembre 2001, représentent l'équivalent d'environ 23 années de travail, au titre desquelles M. D...a finalement bénéficié d'une bonification de 7 ans et six mois permettant de déterminer l'âge où il pouvait bénéficier de l'ASCAA.
7. Au-delà de la carence du ministre à produire l'ensemble des états annuels de services insalubres de M.D..., alors que, dès le 29 juin 2007, le ministère avait invité ses différents services et directions à procéder à une régularisation d'ensemble des travaux insalubres réalisés avant 2005, précisément dans la perspective de faire bénéficier les ouvriers de l'armement d'une liquidation anticipée de pension après accomplissement d'une période minimum de services dans des travaux ou emplois comportant des risques particuliers d'insalubrité, le relevé de carrière de M. D...fait apparaître de graves incohérences, tenant en particulier au fait que seules les années 1981 et 1983 ont été identifiées comme années d'exposition à des travaux insalubres alors que l'intéressé est resté pendant plusieurs années dans des fonctions identiques, entre le 19 mars 1979 et le 19 décembre 1982, puis entre 1983 et 1988. Le total de trois années d'exposition à des travaux insalubres retenu par l'administration n'apparaît pas en cohérence avec la période pendant laquelle l'administration a admis que l'intéressé avait travaillé dans des fonctions, lieux et périodes " au cours desquelles était traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ".
8. Le ministre n'apporte aucune explication sur les raisons qui feraient obstacle à ce que puissent être produits l'intégralité des relevés annuels d'heures de travaux insalubres accomplies par M. D...sur l'ensemble de sa carrière alors que l'intéressé, par les éléments qu'il apporte, notamment les témoignages variés et circonstanciés d'anciens collègues de la DCN de Lorient et plusieurs comptes-rendus de CHSCT, peut, de son côté, être regardé comme établissant qu'il a été amené à travailler, pendant plusieurs années, dans un environnement amianté. L'administration a, au surplus, expressément accepté de prendre en charge le suivi médical post-professionnel de M. D...pour une exposition aux poussières d'amiante.
9. Compte tenu de ce qui précède, le ministre, qui ne peut sérieusement soutenir avoir justifié de manière suffisamment précise et documentée son refus de faire bénéficier M. D... du dispositif permettant d'obtenir une liquidation anticipée de pension n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a fait droit à la demande d'annulation de sa décision du 28 janvier 2016 concernant M.D....
Sur les conclusions en injonction sous astreinte présentées par M.D... :
10. Le présent arrêt n'implique pas le prononcé d'une injonction autre que celle déjà prononcée par les premiers juges, dès lors qu'il appartient au ministre de procéder à un réexamen de la situation de M. D..." au vu des états annuels existants ou à faire établir éventuellement au titre des travaux insalubres accomplis par celui-ci au cours de sa carrière ". Les conclusions présentées en appel par M.D..., alors même qu'il appartient ainsi toujours au ministre de prendre en compte ou de produire, au besoin en les faisant établir à titre de régularisation, l'ensemble des états annuels de travaux insalubres couvrant le déroulement de la carrière de l'intéressé, et en particulier les états annuels n'ayant pas été produits dans le cadre de la requête en exécution formée par M.D..., doivent dès lors être rejetées. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il y a toutefois lieu d'assortir l'injonction prononcée par le tribunal d'une astreinte de cinq cent euros (500 euros) par jour de retard au-delà d'un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au profit de M. D...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la ministre des armées est rejetée.
Article 2 : L'injonction prononcée par le tribunal administratif de Rennes dans son jugement du 15 décembre 2016 est assortie d'une astreinte d'une astreinte de 500 euros (cinq cent euros) par jour de retard au-delà d'un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à M. D...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. A... D....
Délibéré après l'audience du 23 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président,
- M. Degommier, président assesseur,
- M. Mony, premier conseiller,
Lu en audience publique le 10 décembre 2018.
Le rapporteur,
A. MONY
Le président,
J-P. DUSSUETLe greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT00732