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23/11/2018 | FRANCE | N°17NT03467

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 23 novembre 2018, 17NT03467


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Quelin Nord Ouest, mandataire du groupement solidaire Quelin-Pavy, et Mes Franck D...et JulienA..., en leur qualité d'administrateurs judiciaires de la société Quelin Nord Ouest ont demandé au tribunal administratif de Caen à titre principal, de condamner in solidum la commune de Caen et la société Lefevre Architectes à lui verser la somme de 674 851,93 euros TTC en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation du marché portant sur le lot n° 1 " maçonnerie - pierres de taille -

échafaudages - laboratoire " des travaux de nettoyage et restauration de 1'égl...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Quelin Nord Ouest, mandataire du groupement solidaire Quelin-Pavy, et Mes Franck D...et JulienA..., en leur qualité d'administrateurs judiciaires de la société Quelin Nord Ouest ont demandé au tribunal administratif de Caen à titre principal, de condamner in solidum la commune de Caen et la société Lefevre Architectes à lui verser la somme de 674 851,93 euros TTC en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation du marché portant sur le lot n° 1 " maçonnerie - pierres de taille - échafaudages - laboratoire " des travaux de nettoyage et restauration de 1'église Saint-Pierre de Caen, de mettre à la charge in solidum de la commune de Caen et de la société Lefevre Architectes la somme de 970,80 euros TTC au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative et la somme de 10 000 euros au titre de 1'article L. 761-1 du code de justice administrative, à titre subsidiaire de condamner la commune de Caen à verser les mêmes sommes, à titre plus subsidiaire, de condamner la société Lefevre Architectes à verser les mêmes sommes, en tout état de cause, d'annuler la délibération du conseil municipal de Caen du 11 février 2013 prononçant la résiliation du marché dont le groupement Quelin-Pavy était titulaire, d'ordonner, en tant que de besoin, un complément d'expertise sur les incompatibilités entre la note de calcul d'exécution du titulaire du marché de substitution et le cahier des clauses techniques particulières du marché qui lui était attribué et enfin d'enjoindre à la commune de Caen de libérer la caution fournie par la société Quelin Nord Ouest, dans un délai de 15 jours à compter du jugement à intervenir.

Par un jugement n°1300784 du 22 septembre 2017, le tribunal administratif de Caen a, par un article 1er, condamné la commune de Caen et la société Lefevre Architectes in solidum à verser à la société Quelin Nord Ouest la somme de 144 180,07 euros, par un article 2, enjoint à la commune de Caen de libérer la caution bancaire constituée dans le cadre du marché résilié, dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement, par un article 3, mis à la charge in solidum de la commune de Caen et de la société Lefevre Architectes les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 4 315,02 euros TTC par une ordonnance du président du tribunal du 6 octobre 2016, par un article 4, condamné la commune de Caen et la société Lefevre Architectes in solidum à verser à la société Quelin Nord Ouest la somme de 970,80 euros au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, par un article 5, mis à la charge de la commune de Caen et la société Lefevre Architectes in solidum le versement de la somme de 2 500 euros à la société Quelin Nord Ouest au titre de 1'article L. 761-1 du code de justice administrative, et par des articles 6, 7 et 8, rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le numéro 17NT03467 le 21 novembre 2017 et le 18 juillet 2018, la société Lefevre Architectes, représentée par MeF..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 22 septembre 2017 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société Quelin Nord Ouest, Me D...et Me A...devant le tribunal administratif de Caen ;

3°) de rejeter toutes les demandes formulées à son encontre ;

4°) à titre subsidiaire, et par la voie de l'appel provoqué, de condamner la commune de Caen à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

5°) de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Caen du 22 septembre 2017 ;

6°) de mettre à la charge in solidum de la société Quelin Nord Ouest, Me D...et de Me A...une somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de première instance était irrecevable, faute d'avoir été précédée d'un mémoire en réclamation, conformément aux stipulations de l'article 50.1 du CCAG applicable aux marchés de travaux ;

- seule la commune de Caen peut justifier de la régularité de la délibération du conseil municipal du 11 février 2013 portant résiliation du marché conclu avec l'entreprise Quelin ;

- la résiliation du marché aux torts du titulaire est fondée ;

- la difficulté ne relève pas de la conception, mais réside dans le défaut de compétences d'exécution ;

- 1'ouvrage était réalisable selon les conditions prévues au CCTP ;

- la société Quelin Nord Ouest s'est engagée sans s'assurer des compétences dont elle disposait pour réaliser les travaux attendus ;

- la demande d'une nouvelle expertise est infondée ;

- sa responsabilité quasi délictuelle ne peut être mise en cause, dès lors qu'elle n'a commis aucune faute ;

- la somme demandée à titre de réparation du manque à gagner n'est pas justifiée et le lien de causalité entre la résiliation du marché et les autres chefs de préjudice dont l'indemnisation est demandée n'est pas établi ;

- les premiers juges ne pouvaient prononcer des condamnations solidaires sans caractériser une faute de la maitrise d'oeuvre et sans établir un lien de causalité.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 juin 2018 et le 1er octobre 2018, la commune de Caen, représentée par MeC..., conclut :

1°) à titre principal à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Caen du 22 septembre 2017 et au rejet de la demande présentée par la société Quelin Nord Ouest, Me A...et Me D...devant le tribunal administratif de Caen ;

2°) à titre subsidiaire au rejet de l'appel en garantie formulé par la société Lefevre Architectes et, par la voie de l'appel provoqué, à ce que cette société, en qualité de mandataire du groupement de maîtrise d'oeuvre, la garantisse de toute condamnation prononcée à son encontre ;

3°) en tout état de cause, à ce que soit mis à la charge de la société Quelin Nord Ouest une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de première instance était irrecevable, faute d'avoir été précédée d'un mémoire en réclamation, conformément aux stipulations de l'article 50.1 du CCAG applicable aux marchés de travaux ;

- la délibération du 11 février 2013 a été adoptée conformément aux dispositions de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales ; les conseillers municipaux ont eu une information adaptée et adéquate ;

- l'échafaudage auto-stable autour de la flèche de la cathédrale était parfaitement réalisable dans les conditions prévues par le CCTP ;

- le montant indemnitaire demandé n'est pas justifié au regard des différents exercices comptables de la société ; le lien de causalité entre la résiliation du marché et les autres chefs de préjudice dont l'indemnisation est demandée n'est pas établi ;

- à titre subsidiaire, la mission de maitrise d'oeuvre a été confiée par un acte d'engagement du 4 juillet 2011 qui stipule que le mandataire du groupement, à savoir la société Lefevre Architectes, est solidaire pour l'exécution du marché des membres du groupement pour ses obligations contractuelles à l'égard du pouvoir adjudicateur ; elle peut donc, à titre subsidiaire, rechercher sa responsabilité dans l'hypothèse où l'irrégularité des prescriptions techniques contenues dans le CCTP serait établie ;

- à titre infiniment subsidiaire, l'infaisabilité de l'échafaudage conformément aux prescriptions du CCTP trouve son fondement dans une faute commise par la maitrise d'oeuvre dans la rédaction de CCTP.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 juin 2018, la société Quelin Nord Ouest, Me A...et MeD..., représentés par MeE..., concluent au rejet de la requête et demandent en outre qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge respective de la commune de Caen et de la société Lefevre Architectes en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les conclusions de la requête sont irrecevables en ce qu'elle vise Me D...es qualités d'administrateur judiciaire de la société Quelin Nord Ouest ; il n'exerce plus cette mission depuis l'arrêt du plan de redressement prononcé par un jugement du tribunal de commerce du 24 mai 2017 ;

- les autres moyens soulevés par la société Lefevre Architectes ne sont pas fondés.

II. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le numéro 17NT03468 le 21 novembre 2017, la société Lefevre Architectes, représentée par MeF..., demande à la cour :

1°) de surseoir à l'exécution de ce jugement du tribunal administratif de Caen du 22 septembre 2017 ;

2°) de mettre à la charge in solidum de la société Quelin Nord Ouest, Me D...et de Me A...une somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le sursis à exécution du jugement doit être prononcé sur le fondement de l'article R. 811-16 du code de justice administrative car, eu égard à la situation financière dégradée de la société Quelin Nord Ouest, l'exécution du jugement, qui encourt l'annulation, l'expose à la perte définitive de la somme que le jugement la condamne à verser à cette société.

Par des mémoires, enregistrés le 20 avril 2018 et le 1er octobre 2018, la commune de Caen, représentée par MeC..., conclut :

1°) au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Caen du 22 septembre 2017 ;

2°) à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge solidaire de la société Quelin Nord Ouest, de Me D...et de Me A...en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le sursis à exécution du jugement doit être prononcé sur le fondement de l'article R. 811-16 du code de justice administrative car, eu égard à la situation financière dégradée de la société Quelin Nord Ouest, l'exécution du jugement, qui encourt l'annulation, l'expose à la perte définitive de la somme que le jugement la condamne à verser à cette société.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 avril 2018 et le 8 octobre 2018, la société Quelin Nord Ouest, Me A...et MeD..., représentés par MeE..., concluent au rejet de la requête et demandent en outre qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge respective de la commune de Caen et de la société Lefevre Architectes en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les conclusions de la requête sont irrecevables en ce qu'elles visent Me D...es qualité d'administrateur judiciaire de la société Quelin Nord Ouest ; il n'exerce plus cette mission depuis l'arrêt du plan de redressement prononcé par un jugement du tribunal de commerce du 24 mai 2017 ;

- les autres moyens soulevés par la société Lefevre Architectes ne sont pas fondés.

L'instruction a été close au 8 octobre 2018, date d'émission d'une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire a été présenté pour la société Lefevre Architectes, enregistré le 9 octobre 2018, après la clôture de l'instruction.

III. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le numéro 17NT03484 le 22 novembre 2017 et le 1er octobre 2018, la commune de Caen, représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 22 septembre 2017 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société Quelin Nord Ouest, Me D...et Me A... devant le tribunal administratif de Caen ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner la société Lefevre Architectes, en qualité de mandataire du groupement de maîtrise d'oeuvre, à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

4°) de mettre à la charge de la société Quelin Nord Ouest une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de première instance était irrecevable, faute d'avoir été précédée d'un mémoire en réclamation, conformément aux stipulations de l'article 50.1 du CCAG applicable aux marchés de travaux ;

- la délibération du 11 février 2013 a été adoptée conformément aux dispositions de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales ; les conseillers municipaux ont eu une information adaptée et adéquate ;

- l'échafaudage auto-stable autour de la flèche de la cathédrale était parfaitement réalisable dans les conditions prévues par le CCTP ;

- le montant indemnitaire demandé n'est pas justifié au regard des différents exercices comptables de la société ; le lien de causalité entre la résiliation du marché et les autres chefs de préjudice dont l'indemnisation est demandée n'est pas établi ;

- à titre subsidiaire, la mission de maitrise d'oeuvre a été confiée par un acte d'engagement du 4 juillet 2011 qui stipule que le mandataire du groupement, à savoir la société Lefevre Architectes, est solidaire pour l'exécution du marché des membres du groupement pour ses obligations contractuelles à l'égard du pouvoir adjudicateur ; elle peut donc, à titre subsidiaire, rechercher sa responsabilité dans l'hypothèse où l'irrégularité des prescriptions techniques contenues dans le CCTP serait établie ;

- à titre infiniment subsidiaire, l'infaisabilité de l'échafaudage conformément aux prescriptions du CCTP trouve son fondement dans une faute commise par la maitrise d'oeuvre dans la rédaction de CCTP.

Par des mémoires, enregistrés le 28 mai 2018 et le 18 juillet 2018, la société Lefevre Architectes, représentée par MeF..., conclut :

1°) à titre principal à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Caen du 22 septembre 2017 et au rejet de la demande présentée par la société Quelin Nord Ouest, Me A... et Me D...devant le tribunal administratif de Caen ;

2°) au rejet de toutes les demandes formulées à son encontre ;

4°) à titre subsidiaire, et par la voie de l'appel provoqué, à la condamnation de la commune de Caen à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

5°) au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Caen du 22 septembre 2017 ;

6°) à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge solidaire de la société Quelin Nord Ouest, de Me D...et de Me A...en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de première instance était irrecevable, faute d'avoir été précédée d'un mémoire en réclamation, conformément aux stipulations de l'article 50.1 du CCAG applicable aux marchés de travaux ;

- seule la commune de Caen peut justifier de la régularité de la délibération du conseil municipal du 11 février 2013 portant résiliation du marché conclu avec l'entreprise Quelin ;

- la résiliation du marché aux torts du titulaire est fondée ;

- la difficulté ne relève pas de la conception, mais réside dans le défaut de compétences d'exécution ;

- 1'ouvrage était réalisable selon les conditions prévues au CCTP ;

- la société Quelin Nord Ouest s'est engagée sans s'assurer des compétences dont elle disposait pour réaliser les travaux attendus ;

- la demande d'une nouvelle expertise est infondée ;

- sa responsabilité quasi délictuelle ne peut être mise en cause, dès lors qu'elle n'a commis aucune faute ;

- la somme demandée à titre de réparation du manque à gagner n'est pas justifiée et le lien de causalité entre la résiliation du marché et les autres chefs de préjudice dont l'indemnisation est demandée n'est pas établi ;

- les premiers juges ne pouvaient prononcer des condamnations solidaires sans caractériser une faute de la maitrise d'oeuvre et sans établir un lien de causalité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 juin 2018, la société Quelin Nord Ouest, Me A...et MeD..., représentés par MeE..., concluent au rejet de la requête et demandent en outre qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge respective de la commune de Caen et de la société Lefevre Architectes en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les conclusions présentées par la société Lefevre Architecte sont irrecevables en ce qu'elle vise Me D...es qualité d'administrateur judiciaire de la société Quelin Nord Ouest ; il n'exerce plus cette mission depuis l'arrêt du plan de redressement prononcé par un jugement du tribunal de commerce du 24 mai 2017 ;

- les autres moyens soulevés par la commune de Caen ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Allio-Rousseau,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., représentant la commune de Caen et celles de MeB..., représentant la société Quelin Nord Ouest, Me D...et MeA....

Deux notes en délibéré présentées pour la société Quelin Nord Ouest, Me A...et Me D...ont été enregistrées dans les instances 17NT03467 et 17NT03484 le 6 novembre 2018.

Considérant ce qui suit :

1. La ville de Caen a décidé de faire procéder aux opérations de nettoyage et de restauration du clocher de l'église Saint-Pierre, classée monument historique. Par délibération en date du 16 mai 2011, le conseil municipal a autorisé la signature du marché de maîtrise d'oeuvre avec le groupement de maîtrise d'oeuvre Lefevre, groupement conjoint et solidaire dont la société Lefevre Architectes est le mandataire. La commune de Caen a, par un acte d'engagement du 10 août 2012, confié au groupement solidaire constitué des sociétés Quelin Nord Ouest et Pavy, que la société Quelin Nord Ouest représente, le lot n°1 " maçonnerie - pierres de taille - échafaudages - laboratoire ". Par ordre de service n°1 du 7 septembre 2012, le maître de l'ouvrage et le maître d'oeuvre ont donné ordre à l'attributaire de démarrer les travaux de la tranche ferme pour une durée de 7 mois. A la suite de cet ordre de service, la société Quelin Nord Ouest a informé le maître de l'ouvrage et le maître d'oeuvre des difficultés rencontrées de mise en oeuvre des prescriptions techniques figurant à l'article III.02.2 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP), soit la réalisation d'un échafaudage autoportant sans appui sur la flèche de l'église. Par une lettre du 6 décembre 2012 et compte tenu de l'absence d'exécution des travaux, la commune de Caen a adressé au groupement une mise en demeure sous peine de résiliation à ses torts du marché de travaux. La société Quelin Nord Ouest a, par lettre du 21 décembre 2012, présenté ses observations techniques. Par une lettre du 25 février 2013, la commune de Caen a notifié à la société Quelin Nord Ouest la délibération du 11 février 2013 du conseil municipal décidant la résiliation du marché pour faute aux frais et risques du groupement attributaire. Saisi d'une demande de la société Quelin Nord Ouest tendant à l'annulation de cette délibération ainsi qu'à l'indemnisation, par la commune et la société Lefevre Architectes, en sa qualité de maître d'oeuvre, du préjudice qu'elle a subi du fait de cette résiliation, le tribunal administratif de Caen a, par un article 1er, condamné la commune de Caen et la société Lefevre Architectes in solidum à verser à la société Quelin Nord Ouest la somme de 144 180,07 euros, par un article 2, enjoint à la commune de Caen de libérer la caution bancaire constituée dans le cadre du marché résilié, dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement, par un article 3, mis à la charge solidaire de la commune de Caen et de la société Lefevre Architectes les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 4 315,02 euros TTC par une ordonnance du président du tribunal du 6 octobre 2016, par un article 4, condamné la commune de Caen et la société Lefevre Architectes in solidum à verser à la société Quelin Nord Ouest la somme de 970,80 euros au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, par un article 5, mis à la charge de la commune de Caen et la société Lefevre Architectes in solidum le versement de la somme de 2 500 euros à la société Quelin Nord Ouest au titre de 1'article L. 761-1 du code de justice administrative, et par des articles, 6, 7 et 8, rejeté le surplus des conclusions des parties. La société Lefevre Architectes et la commune de Caen relèvent appel de ce jugement. La société Lefevre Architectes demande également qu'il soit sursis à son exécution.

2. Les trois requêtes visées ci-dessus présentent à juger des questions analogues et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.

3. Le juge du contrat, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité. Toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles.

4. Il incombe dès lors au juge du contrat, saisi par une partie d'un recours de plein contentieux contestant la validité d'une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, lorsqu'il constate que cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé, de déterminer s'il y a lieu de faire droit, dans la mesure où elle n'est pas sans objet, à la demande de reprise des relations contractuelles, à compter d'une date qu'il fixe, ou de rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d'ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité. Pour déterminer s'il y a lieu de faire droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il incombe au juge du contrat d'apprécier, eu égard à la gravité des vices constatés et, le cas échéant, à celle des manquements du requérant à ses obligations contractuelles, ainsi qu'aux motifs de la résiliation, si une telle reprise n'est pas de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse.

Sur la décision de résiliation du marché :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales : " Toute convocation est faite par le maire. Elle indique les questions portées à l'ordre du jour. Elle est mentionnée au registre des délibérations, affichée ou publiée. Elle est adressée par écrit, au domicile des conseillers municipaux ou, s'ils en font la demande, envoyée à une autre adresse ou transmise de manière dématérialisée ". L'article L. 2121-12 du même code prévoit que : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal. / (...) Le délai de convocation est fixé à cinq jours francs (...) ".

6. Il résulte de ces dispositions que la convocation aux réunions d'un conseil municipal doit être accompagnée d'une note explicative de synthèse portant sur chacun des points de l'ordre du jour. Le défaut de note explicative lors de l'envoi de la convocation aux conseillers communautaires entache alors d'irrégularité les délibérations prises, à moins que le président du conseil communautaire n'ait fait parvenir aux intéressés, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d'une information adéquate pour exercer utilement leur mandat. Cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l'importance des affaires, doit permettre aux intéressés d'appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et d'apprécier les implications de leurs décisions. Elle n'impose pas, toutefois, de joindre à la convocation adressée aux intéressés, à qui il est au demeurant loisible de solliciter des précisions ou explications conformément à l'article L. 2121-13 du même code, une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises.

7. Il résulte de l'instruction que le projet de délibération résiliant le marché confié au groupement Quelin- Pavy a été adressé aux membres du conseil municipal de la commune de Caen, qui compte plus de 3 500 habitants, le 4 février 2013, en même temps que les convocations, soit plus de cinq jours francs avant la séance du 11 février 2013. Il est constant qu'à cet envoi n'était pas jointe une note explicative de synthèse telle que prévue à l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales. Toutefois, le projet de délibération adressé aux élus municipaux comportait un rappel des faits et de la procédure de mise en demeure adressée à la société Quelin Nord Ouest, les prescriptions du CCTP du marché de travaux et notamment la citation intégrale des prescriptions relatives aux échafaudages, les conséquences juridiques de la résiliation aux frais et risques de l'entrepreneur, la teneur du courrier de la société Quelin Nord Ouest du 21 décembre 2012 valant réponse à la mise en demeure, et notamment le motif tiré de l'impossibilité technique de mettre en place selon cette société un échafaudage autoportant pour la flèche de l'église conforme aux prescriptions du point III-02.2 du CCTP et la confirmation de la faisabilité technique par le maître d'oeuvre de cet échafaudage. Ce projet indiquait en outre que face au retard considérable que l'absence d'installation de l'échafaudage entrainait dans l'exécution du chantier les relations contractuelles ne pouvaient être poursuivies sauf à compromettre la réalisation des travaux. Il était proposé en conséquence de résilier pour faute aux frais et risques de l'entrepreneur le marché conclu avec le groupement Quelin-Pavy. Enfin, ce projet contenait le planning de lancement d'un nouvel appel d'offres sur la base du dossier de consultation initial. En conséquence, alors même que ce projet ne visait pas les notes de calcul produites par l'entreprise attributaire, le document joint à la convocation comportait une information précise et adéquate sur l'impossibilité pour la société Quelin Nord Ouest de réaliser les travaux inclus dans le marché conclu avec la commune de Caen conformément aux dispositions du CCTP, permettant aux élus de comprendre les motifs de fait et de droit justifiant le projet de résiliation et d'en apprécier la portée. Dans ces conditions, les exigences d'information résultant de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales sont satisfaites. Ainsi, le moyen tiré de ce que la résiliation du contrat serait intervenue au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté.

8. En deuxième lieu, l'article III.02.2 du CCTP, qui est relatif aux seuls échafaudages extérieurs de la flèche de l'église Saint-Pierre, prévoit notamment que l'ensemble de l'échafaudage " devra être autoportant en appui sur les (autres) échafaudages (...) et en aucun cas les reports de charges et accroches ne devront reposer sur les parements de la flèche ".

9. En cours d'exécution du marché et après la réalisation des études contractuellement mises à sa charge, la société Quelin Nord Ouest a estimé que le CCTP prévoyait une prescription technique irréalisable en ce qui concerne les échafaudages extérieurs de la flèche de l'église. Pour justifier sa position elle a produit les notes de calcul réalisées en exécution de 1''ordre de service n° 1 par la société Altrad Plettac qui détaillent les différentes options techniques qu'elle a soumises au maître d'oeuvre. Cette note élaborée en octobre 2012 conclut qu'en l'absence d'appui sur la flèche, l'échafaudage ne serait possible qu'avec un ajout de matériel tel qu'il rend le projet irréaliste en raison de la masse représentée par 1'échafaudage et de 1'absence de place pour l'implanter. Il ressort par ailleurs d'un courrier électronique du 24 octobre 2012 que d'autres fabricants d'échafaudages, sollicités par la société Quelin Nord Ouest, ont conclu à la faisabilité d'un ouvrage autoportant, mais uniquement sur les 25 derniers mètres de la flèche. Une seconde étude réalisée par un bureau d'études et une correspondance de la société Layher confirment ce constat. A ces différentes études techniques produites par la société Quelin Nord Ouest, la société Lefevre Architectes, maître d'oeuvre des travaux, a rappelé, par des courriers des 2 et 19 octobre 2012, le principe d'un échafaudage au niveau de la flèche qui soit autoportant, sans aucun report de charge sur le monument et notamment pas de charge horizontale due au vent. Par une note du 6 août 2013, l'organisme de contrôle Apave a confirmé l'existence de solutions d'échafaudage autoportant sur la hauteur de la flèche, sous réserve toutefois de vérification de la capacité de résistance de la maçonnerie de la base du clocher sur laquelle étaient renvoyés les efforts.

10. D'une part, il résulte clairement du rapport de l'expert judiciaire désigné par le président du tribunal administratif de Caen à la demande de la société Quelin Nord Ouest, qu'il a examiné l'intégralité des documents contractuels et notamment le CCTP du lot n°1, la note de calcul établie par la société Altrad Plettac ainsi que les courriels adressés par la société Quelin Nord Ouest, le rapport complet du bureau de contrôle Apave établi le 6 août 2013, ainsi que les offres des sociétés candidates au marché de substitution, et notamment la pré-étude établie par l'entreprise Europe Echafaudage. Il en a déduit que " les éléments reçus et l'examen des mémoires techniques, des notes de calcul et pièces diverses " démontrent que les échafaudages extérieurs de la flèche de l'église sont réalisables dans les conditions prévues par le CCTP, notamment son article III-02.2.

11. D'autre part, bien qu'informées du litige technique opposant la société Quelin Nord Ouest à la commune de Caen et à la société Lefevre Architectes, trois autres sociétés ont présenté une offre dans le cadre de la procédure de passation du marché de substitution, qui comporte un engagement de réalisation d'un échafaudage autoportant pour la flèche de l'église conforme aux prescriptions du CCTP du lot n°1.

12. Enfin, le marché de substitution, attribué à la société Lefevre sur la base du même CCTP, prend appui sur une note de calcul rédigée en novembre 2016 par la société Stecop en vue de l'installation d'un échafaudage, conçu pour être indépendant de la flèche maçonnée, et validée par le bureau de contrôle Apave le 16 novembre 2016. Le calcul a été effectué sans bâche ni filet, en application des dispositions de l'article III-02.7 du CCTP qui indique, en ce qui concerne les filets de protection, qu'ils sont présents en règle générale sur l'ensemble des échafaudages extérieurs et sur la sapine mais " hors flèche " et des prescriptions de l'article III-02.8 qui précise que la bâche imprimée de 160 m² est apposée sur la façade sud-ouest sur la hauteur du 1er niveau, ce qui n'inclut pas la flèche de l'église. Si la société Layher a, à la demande de la société Quelin Nord Ouest, estimé que les efforts de vent ont été sous-évalués, elle ne l'établit pas. Par ailleurs, si le procès-verbal de réception et de vérification avant mise en service des échafaudages, dressé le 17 mars 2017, fait état d'une charge uniformément répartie sur les planchers de 600 kg/m² au maximum, il résulte de l'instruction que ce constat porte sur l'intégralité des ouvrages et non spécifiquement sur l'échafaudage autoportant. Aucune autre pièce du dossier ne permet de tenir pour établi que la charge plancher de l'échafaudage autoportant, prévue par le marché de substitution à hauteur de 200 kg/m², aurait été dépassée. Enfin, si le constat d'huissier dressé le 4 avril 2017 à l'initiative de la société Quelin Nord Ouest fait mention " d'un ancrage de l'échafaudage dans les maçonneries à la base de la flèche, d'une absence de filet de protection à ce niveau et de sapine de levage ainsi que, en particulier, de la présence d'un échafaudage toute hauteur installé à l'intérieur de la flèche, lequel est butonné sur la flèche en pierre sur trois niveaux ", il résulte de l'instruction, et notamment des photographies produites, que cet ancrage a été réalisé dans le fût du clocher et que l'échafaudage butonné sur la flèche en pierre est intérieur, et n'est donc pas concerné par les prescriptions de l'article III.02.2 du CCTP. En outre, ce constat d'huissier n'établit pas que l'échafaudage extérieur de la flèche serait lui-même butonné sur la flèche.

13. Il résulte des points 5 à 12, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise complémentaire, que la commune de Caen pouvait résilier le contrat portant sur le lot n°1 lot " maçonnerie - pierres de taille - échafaudages - laboratoire " conclu avec le groupement Quelin-Pavy aux frais et risques de ce groupement.

14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande de première instance et sur les conclusions présentées à titre subsidiaire, que la commune de Caen et la société Lefevre Architectes sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a fait droit à la demande de la société Quelin Nord Ouest, de Me A...et de MeD....

Sur les frais d'expertise et les dépens :

15. Il y a lieu de mettre les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 4 315,02 euros TTC par ordonnance du président du tribunal administratif de Caen du 6 octobre 2016, à la charge de la société Quelin Nord Ouest.

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :

16. La cour se prononçant par le présent arrêt sur le bien fondé du jugement du 22 septembre 2017, les conclusions présentées par la société Lefevre Architectes tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet. Il n'y a donc plus lieu d'y statuer.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce qu'une somme soit versée à ce titre à la société Quelin Nord Ouest, partie perdante. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de cette société le versement à la commune de Caen et à la société Lefevre Architectes d'une somme de 1 500 euros chacune au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen en date du 22 septembre 2017 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Quelin Nord Ouest, Me A...et Me D...devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.

Article 3 : Les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 4 315,02 euros TTC par ordonnance n° 1300688 du président du tribunal administratif de Caen du 6 octobre 2016, sont mis à la charge de la société Quelin Nord Ouest.

Article 4 : La société Quelin Nord Ouest versera une somme de 1 500 euros à la commune de Caen et une somme de 1 500 euros à la société Lefevre Architectes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 17NT03468 tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Caen du 22 septembre 2017.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Lefevre Architectes, à la société Quelin Nord Ouest, à MeD..., à Me A...et à la commune de Caen.

Délibéré après l'audience du 6 novembre 2018, à laquelle siégeaient :

- Mme Tiger-Winterhalter, présidente,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller,

- M. Besse, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 23 novembre 2018.

Le rapporteur,

M-P. Allio-RousseauLa présidente,

N. Tiger-Winterhalter Le greffier,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17NT03467, 17NT03468, 17NT03484


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT03467
Date de la décision : 23/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme TIGER-WINTERHALTER
Rapporteur ?: Mme Marie-Paule ALLIO-ROUSSEAU
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : SELARL WALTER et GARANCE (TOURS)

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-11-23;17nt03467 ?
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