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19/10/2018 | FRANCE | N°17NT03127

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 19 octobre 2018, 17NT03127


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A...ont demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation des arrêtés du 16 août 2017 par lesquels le préfet de la Mayenne, d'une part, a prononcé leur remise aux autorités hongroises, d'autre part, les a assignés à résidence.

Par un jugement 1708141-1708143 du 15 septembre 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé ces arrêtés et a enjoint au préfet de la Mayenne de délivrer une attestation de demande d'asile à M. A...et Mme A

...durant le temps de l'examen de leur demande d'asile, dans un délai de quinze jours à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A...ont demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation des arrêtés du 16 août 2017 par lesquels le préfet de la Mayenne, d'une part, a prononcé leur remise aux autorités hongroises, d'autre part, les a assignés à résidence.

Par un jugement 1708141-1708143 du 15 septembre 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé ces arrêtés et a enjoint au préfet de la Mayenne de délivrer une attestation de demande d'asile à M. A...et Mme A...durant le temps de l'examen de leur demande d'asile, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de ce jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 octobre 2017, le préfet de la Mayenne demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 septembre 2017 ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. et Mme A...devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation : l'état de santé du fils de M. et Mme A...n'a jamais été porté à sa connaissance ; la nécessité d'un suivi médical de l'enfant apparaît comme un moyen mis en oeuvre pour faire échec à la mesure d'éloignement ;

- les requérants ne démontrent pas que les problèmes de santé de leur fils ne pourraient pas être correctement pris en charge par la Hongrie ;

- à supposer la défaillance systémique en Hongrie démontrée, aucun élément propre à M. et Mme A...ne permet d'établir que la Hongrie n'examinera pas leur demande d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 novembre 2017, M. et MmeA..., représentés par MeB..., concluent au rejet de la requête et demandent en outre qu'une somme de 2 000 euros soit mise la charge de l'Etat en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le préfet de la Mayenne n'est fondé.

M. et Mme A...ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions en date du 3 novembre 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n°603/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Allio-Rousseau a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet de la Mayenne relève appel du jugement du 15 septembre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé ses arrêtés du 16 août 2017 par lesquels, d'une part, il a prononcé la remise de M. et Mme A...aux autorités hongroises, d'autre part, les a assignés à résidence et lui a enjoint de leur délivrer une attestation de demande d'asile durant le temps de l'examen de leur demande d'asile, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". Par ailleurs, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...)". Enfin, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

3. Il résulte des dispositions précitées que la présomption selon laquelle un État membre respecte les obligations découlant de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est renversée lorsqu'il existe de sérieuses raisons de croire qu'il existe, dans l'État membre responsable de la demande d'asile, au sens du règlement précité, des défaillances de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile impliquant pour ces derniers un risque d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants.

4. La Hongrie est un Etat membre de l'Union européenne, partie à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, d'une part, il est constant que, quelques jours avant l'adoption par le Parlement européen, le 16 décembre 2015, d'une résolution faisant état de la situation critique des demandeurs d'asile en Hongrie, la Commission européenne, pour ouvrir le 10 décembre 2015 une procédure d'infraction à l'encontre de ce pays, a relevé notamment que sa procédure d'asile était incompatible sur plusieurs points avec le droit de l'Union européenne, et en particulier avec la directive n° 2013/32/UE relative aux procédures d'asile. Il était notamment souligné que la Hongrie n'applique pas d'effet suspensif à l'introduction des recours, contraignant les demandeurs d'asile à quitter son territoire avant l'expiration du délai de recours ou avant qu'il n'ait été statué sur ce dernier, que leur droit à l'interprétation et à la traduction est méconnu, et que la nouvelle législation hongroise sur le contrôle juridictionnel des décisions de rejet est susceptible de méconnaître le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial. La Commission a également rappelé, en introduisant le 19 juillet 2018 un recours en constatation de manquement contre la Hongrie devant la cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en raison de la non-conformité de sa législation dans le domaine en cause avec le droit de l'Union, que la Hongrie permet uniquement la présentation des demandes d'asile à l'intérieur des zones de transit situées à ses frontières extérieures, dont l'accès n'est accordé qu'à un nombre limité de personnes et après des périodes d'attente excessivement longues, et constate de manière générale que " Sur son territoire, la Hongrie n'assure pas un accès effectif aux procédures d'asile étant donné que les migrants en situation irrégulière sont raccompagnés par-delà la frontière, même s'ils souhaitent introduire une demande d'asile ", ce qui vise également les demandeurs d'asile transférés en application du règlement n° 604/2013 puisque ceux-ci sont la plupart du temps en situation irrégulière sur le territoire de l'Union. La Commission relève également que la rétention illimitée des demandeurs d'asile dans des zones de transit sans respecter les garanties procédurales applicables enfreint les règles de l'Union définies dans la directive sur les conditions d'accueil et que la législation hongroise ne garantit pas que les décisions en matière de retour sont prises sur une base individuelle et contiennent des informations sur les voies de recours, ce qui ouvre le risque pour les migrants d'être renvoyés sans les garanties appropriées et en violation du principe de non-refoulement. Par ailleurs, la Hongrie a adopté une nouvelle législation qui érige en infraction pénale toute assistance offerte par toute personne pour le compte d'organisations nationales, internationales et non gouvernementales à des personnes qui souhaitent introduire une demande d'asile ou de permis de séjour en Hongrie, ce qui enfreint la directive sur les procédures d'asile et la directive sur les conditions d'accueil. De surcroît, la nouvelle législation et une modification constitutionnelle ont instauré de nouveaux motifs pour déclarer une demande d'asile irrecevable, en limitant le droit d'asile aux seules personnes qui arrivent en Hongrie directement depuis un lieu où leur vie ou leur liberté sont menacées, alors que compte-tenu tenu de la faible proportion de demandeurs d'asile qui sont susceptibles de remplir une telle condition ce nouveau motif d'irrecevabilité, s'appliquant aux demandeurs transférés en application du règlement " Dublin III ", n'est pas prévu par le droit de l'Union.

5. D'autre part, se fondant sur les constatations faites en Hongrie à la fin du mois de novembre 2015 par le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, ledit Conseil a relevé, dans un communiqué du 13 janvier 2016, la pratique des autorités hongroises consistant à placer les demandeurs d'asile dans des centres de rétention administrative, où s'applique un régime de détention restrictif, sans réel accès à des recours effectifs contre cette détention. En outre, le haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a, dans un rapport du mois de mai 2016 portant sur les modifications législatives en Hongrie entre les mois de juillet 2015 et mars 2016, déploré la pénalisation des personnes ayant franchi la frontière hongroise sans autorisation, y compris lorsqu'elles l'ont fait pour solliciter l'asile. Enfin, le Haut Commissaire aux Réfugiés pour les Nations Unies a, dans un communiqué de presse du 10 avril 2017, appelé les États membres de l'Union européenne à suspendre les renvois des demandeurs d'asile vers la Hongrie à la suite de l'adoption par le parlement hongrois de la loi du 28 mars 2017 qui impose la détention des demandeurs d'asile, y compris des enfants, dans des conteneurs de transport maritimes entourés de fils barbelés pendant toute la durée de la procédure d'asile, même en cas de recours, lequel n'est en outre pas ouvert contre les décisions de placement dans ces zones. D'ailleurs, le lendemain de ce communiqué, le gouvernement allemand a, notamment pour cette raison, annoncé qu'il mettait fin aux renvois de migrants vers la Hongrie.

6. Dans ces conditions, il est établi qu'il existait, à la date à laquelle sont intervenus les arrêtés de réadmission en litige, des motifs sérieux et avérés de croire que, s'ils étaient effectivement remis aux autorités hongroises, M. et MmeA..., qui sont parents d'un enfant né en 2017 et présentant des troubles de santé, ne bénéficieraient pas personnellement d'un examen de leurs demandes d'asile dans des conditions conformes aux garanties exigées par le respect du droit d'asile et risqueraient ainsi de subir des traitements contraires à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Mayenne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé ses arrêtés du 16 août 2017 par lesquels, d'une part, il a prononcé la remise de M. et Mme A...aux autorités hongroises, d'autre part, les a assignés à résidence et lui a enjoint de leur délivrer une attestation de demande d'asile durant le temps de l'examen de leur demande d'asile, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de ce jugement.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

8. M. et Mme A...ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite leur avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me B...dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de la Mayenne est rejetée.

Article 2 : Le versement de la somme de 1 500 euros à Me B...est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet de la Mayenne.

Délibéré après l'audience du 2 octobre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 octobre 2018.

Le rapporteur,

M-P. Allio-RousseauLe président,

L. Lainé

Le greffier,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 17NT03127


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT03127
Date de la décision : 19/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie-Paule ALLIO-ROUSSEAU
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : GUINEL-JOHNSON

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-10-19;17nt03127 ?
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