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24/09/2018 | FRANCE | N°17NT01083

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 24 septembre 2018, 17NT01083


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ferme Eolienne du Bois Bodin a demandé au tribunal administratif d'Orléans, d'une part, d'annuler l'arrêté du 14 août 2015 par lequel le préfet de la région Centre-Val de Loire a refusé de lui délivrer une autorisation d'exploiter un parc éolien sur les communes de La Chapelle Blanche Saint Martin et de Vou (Indre et Loire) et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de lui délivrer l'autorisation sollicitée ou, à titre subsidiaire, de statuer à nouveau sur sa demande.

Par un jugement

n°1503372 du 31 janvier 2017, le tribunal administratif d'Orléans a annulé l'arrêté ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ferme Eolienne du Bois Bodin a demandé au tribunal administratif d'Orléans, d'une part, d'annuler l'arrêté du 14 août 2015 par lequel le préfet de la région Centre-Val de Loire a refusé de lui délivrer une autorisation d'exploiter un parc éolien sur les communes de La Chapelle Blanche Saint Martin et de Vou (Indre et Loire) et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de lui délivrer l'autorisation sollicitée ou, à titre subsidiaire, de statuer à nouveau sur sa demande.

Par un jugement n°1503372 du 31 janvier 2017, le tribunal administratif d'Orléans a annulé l'arrêté du 14 août 2015 et à enjoint au préfet de procéder à un nouvel examen de la demande de la société pétitionnaire dans un délai de deux mois.

Procédure devant la cour :

Par un recours enregistré le 31 mars 2017, la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 31 janvier 2017 ;

2°) de rejeter la demande de la société Ferme Eolienne du Bois Bodin ;

La ministre soutient que :

- les premiers juges ont commis une erreur de qualification juridique des données de l'espèce dès lors que, contrairement à ce qu'ils ont estimé, le projet objet de la demande d'autorisation était de nature à avoir un impact paysager marqué et à nuire à la qualité et à l'intérêt des lieux ;

- le projet en cause méconnait ainsi les dispositions de l'article L.511-1 du code de l'environnement ;

- les nouveaux éléments fournis démontrent la réalité de la covisibilité et de l'impact du projet éolien sur les nombreux monuments historiques situés à proximité ;

- la circonstance que les deux communes d'implantation du projet sont identifiées par le schéma régional éolien comme des zones favorables à l'éolien n'est pas de nature à faire regarder comme entaché d'erreur manifeste d'appréciation l'arrêté attaqué ou d'une erreur de droit dès lors que ce zonage n'est qu'indicatif ;

- elle s'en réfère, pour le surplus, aux moyens développés par le préfet en première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juin 2017, la société Ferme Eolienne du Bois Bodin conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 4000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la ministre ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées que l'affaire était susceptible, à compter du 1er août 2018, de faire l'objet d'une clôture d'instruction à effet immédiat en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance du 2 août 2018, la clôture d'instruction a été fixée au même jour en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picquet,

- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., substituant MeB..., représentant la société Ferme éolienne de Bois Bodin.

Considérant ce qui suit :

1. La société Ferme Eolienne du Bois Bodin a sollicité, le 28 novembre 2011, l'autorisation requise en application des dispositions de l'article L.511-1 du code de l'environnement en vue d'exploiter un parc éolien de cinq aérogénérateurs et deux postes de livraison, situés sur le territoire des communes de La Chapelle-Blanche-Saint-Martin et de Vou (Indre et Loire). Ces aérogénérateurs, d'une hauteur sommitale de 140 mètres, dont 84 mètres pour le mat et 56 mètres pour la longueur des pales, et d'une puissance individuelle de 3 mégawatts, devaient être implantées sur une ligne de crête à une altitude variant entre 119 et 125 mètres située à l'intersection des trois unités paysagères dénommées plateaux agricoles du Centre Touraine, Boutonnière de Ligueil et Gâtines du Sud et distante de la ville royale de Loches d'une quinzaine de kilomètres. Ces installations sont soumises à autorisation préfectorale au titre de la rubrique 2980 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). A l'issue de l'enquête publique qui s'est déroulée du 26 mai au 27 juin 2014, le commissaire enquêteur a émis un avis défavorable au projet principalement motivé par l'opposition de la population consultée. Par un arrêté du 14 août 2015, le préfet de la région Centre-Val de Loire a refusé de délivrer l'autorisation sollicitée, estimant, d'une part, que l'étude d'impact portée à la connaissance du public était insuffisante en ce qui concerne la description des effets du projet concernant la cigogne noire, espèce protégée dont la présence sur le site d'implantation des éoliennes avait été observée, d'autre part, que les risques de collision de cette espèce avec les éoliennes avaient été incorrectement évalués, et qu'enfin le projet méconnaissait les prescriptions de l'article L.511-1 du code de l'environnement compte tenu de son impact sur les sites et paysages naturels environnants, sur les abords paysagers de nombreux monuments historiques situés à proximité, notamment celui de la cité médiévale de Loches. Par le présent recours, la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer relève appel du jugement du 31 janvier 2017 par lequel le tribunal administratif d'Orléans, saisi par la société Ferme Eolienne du Bois Bodin d'une demande d'annulation de cette décision, a fait droit à cette demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable à la date à laquelle le préfet de la région Centre-Val de Loire a pris l'arrêté attaqué : "Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ". L'article 2980 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement indique qu'est soumise à autorisation, au titre de cette nomenclature " toute installation terrestre de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent et regroupant un ou plusieurs aérogénérateurs comprenant au moins un aérogénérateur dont le mât a une hauteur supérieure ou égale à 50 m ".

S'agissant du caractère suffisant de l'information du public :

3. Conformément aux dispositions des articles R.512-6 et R.512-8, la demande d'autorisation d'une installation classée pour la protection de l'environnement doit être accompagnée d'une étude d'impact dont le contenu doit être en relation avec l'importance de l'environnement de l'installation projetée et avec ses incidences prévisibles sur l'environnement. Cependant, les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une telle étude ne sont susceptibles de vicier la procédure, en particulier s'agissant de la régularité de l'enquête publique, que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.

4. Le préfet de la région Centre-Val de Loire a motivé sa décision par la circonstance que l'étude d'impact portée à la connaissance du public était insuffisamment précise s'agissant de la prise en compte des effets du projet sur la cigogne noire, espèce protégée. Par ailleurs, en première instance, le préfet, auquel se réfère le ministre dans son recours, a également contesté le caractère sincère de l'étude photographique figurant dans le volet paysager de l'étude d'impact.

5. D'une part, s'agissant de la prise en compte des effets du projet sur la cigogne noire, il ressort de la lecture de l'étude d'impact que celle-ci consacre un chapitre particulier aux effets du projet concernant cette espèce, dont la présence est qualifiée d'anecdotique sur le site, en indiquant un risque faible à nul de collision compte tenu des habitudes de cet échassier nichant dans des terrains boisés. Si le préfet a fait valoir que cette appréciation était erronée dès lors qu'il avait été signalé un couple de cigognes ayant établi un nid situé à un kilomètre de distance du projet dans le bois dénommé " Le bois de la Catin ", cette omission de l'étude d'impact n'est pas réellement démontrée dès lors qu'il n'a pas été possible de localiser le nid en question. En tout état de cause, cette éventuelle omission n'a pas été de nature à induire en erreur le public dès lors que le tableau dénommé " synthèse de la sensibilité de l'avifaune vis-à-vis du projet éolien de Vou-La Chapelle Blanche " figurant dans l'étude d'impact, après avoir pris en compte l'existence de passages de cette espèce, qualifiait de faible le risque de collision pendant la phase d'exploitation du site. Il ressort d'ailleurs de la lecture des questions posées au cours de l'enquête, notamment s'agissant du thème 21 consacré à l'avifaune et aux chiroptères, que la question des risques éventuels de collision a été abordée durant l'enquête.

6. D'autre part, le ministre soutient, en produisant de nouveaux photomontages à l'appui de son recours, que l'étude d'impact serait insincère en ce qui concerne la prise en compte des effets du projet sur la qualité des paysages, des sites et l'atteinte portée aux perspectives des nombreux monuments historiques se situant dans un rayon de quinze kilomètres autour du projet. Cependant, les photomontages ainsi produits, qui font, en particulier, apparaître des éoliennes aux proportions manifestement excessives, ne contredisent pas les nombreux photomontages, réalisés selon un procédé qui n'est pas contesté par l'administration, démontrant l'absence d'impact s'agissant de la majeure partie des monuments historiques situés à proximité du projet. L'étude d'impact réalisée par la pétitionnaire a d'ailleurs été reconnue comme étant de bonne qualité par l'autorité environnementale dans son avis émis le 5 mai 2014.

7. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que le public aurait été insuffisamment informé en raison d'une étude d'impact insincère, justifiant ainsi le refus d'autorisation opposé par le préfet de la région Centre-Val de Loire.

S'agissant de l'atteinte portée à la conservation des sites et monuments :

8. Il ressort de la lecture du volet paysager de l'étude d'impact réalisé en 2013, dont la sincérité est établie ainsi qu'il a été précisé au point 6, que, s'agissant de la cinquantaine de monuments historiques et des six sites classés ou inscrits qui y sont recensés, les éoliennes seront en situation de covisibilité avec l'église paroissiale de Vou, monument inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, à 3,5 km de l'éolienne la plus proche, et avec le manoir de la Roche de Gennes, monument inscrit situé dans la commune de Vou, et avec le château du Verger, à 2,9 km du projet. Néanmoins, cette covisibilité n'est pas de nature, compte tenu de la faible perception des éoliennes dans le paysage et du caractère non prépondérant ou même suffisamment marqué de leur présence, à porter une atteinte significative au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants et aux sites et monuments précédemment mentionnés. Par ailleurs, il ne ressort pas de cette étude ni des autres pièces du dossier que les éoliennes en cause seraient en situation de covisibilité, depuis le sommet du donjon de Loches, avec le site d'intérêt majeur que constitue cette cité médiévale. Enfin, il ne ressort pas davantage de ces pièces que la présence des éoliennes serait de nature à porter atteinte au paysage naturel environnant constitué de terres agricoles et de secteurs boisés ne présentant pas d'intérêt particulier et qui avait été, pour cette raison, recensé comme favorable au développement de l'éolien par le schéma régional éolien annexé au schéma régional climat air énergie de la région Centre approuvé par arrêté préfectoral du 28 juin 2012.

S'agissant de l'atteinte portée à l'avifaune :

9. Comme indiqué au point 5, la présence éventuelle d'un couple de cigognes noires n'apparaît pas être, compte tenu du comportement de cet échassier qui n'est pas attiré par les zones de grande culture et dont le régime alimentaire l'oriente vers les cours d'eau ou les étendues d'eau pour se nourrir, de nature à entraîner un risque de collision autre que faible avec les pales des éoliennes. En outre, la société pétitionnaire a indiqué au cours de l'enquête mettre en place, dans l'hypothèse où la présence à proximité du site de cette espèce serait confirmée, un suivi écologique de 3 ans et une vérification de la présence de la cigogne noire. La société a indiqué ultérieurement, dans une étude complémentaire réalisée en février 2015 communiquée au préfet, prévoir, au moyen d'un système de détection spécifique des oiseaux en vol, l'arrêt automatique des éoliennes en cas de passage à proximité de celles-ci. Par suite, les atteintes à l'avifaune alléguées par le préfet pour refuser l'autorisation sollicitée en peuvetn être regardées comme établies.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a annulé l'arrêté du 14 août 2015 du préfet de la région Centre-Val de Loire refusant de délivrer à la société Ferme Eolienne du Bois Bodin une autorisation d'exploiter un parc éolien sur les communes de La Chapelle Blanche Saint Martin et de Vou et, d'autre part, a enjoint au préfet de statuer à nouveau sur la demande de la société.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Ferme Eolienne du Bois Bodin d'une somme de 1500 euros au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer est rejeté.

Article 2 : Il est mis à la charge de l'Etat le versement à la société Ferme Eolienne du Bois Bodin d'une somme de 1500 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, et à la société Ferme Eolienne du Bois Bodin.

Copie sera adressée au préfet de la région Centre Val de Loire.

Délibéré après l'audience du 7 septembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Dussuet, président de chambre,

- M. Degommier, président-assesseur,

- Mme Picquet, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 septembre 2018.

Le rapporteur,

P. PICQUETLe président,

J-P. DUSSUET

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17NT01083


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT01083
Date de la décision : 24/09/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DUSSUET
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: M. SACHER
Avocat(s) : SELARL VOLTA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-09-24;17nt01083 ?
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