Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à lui verser une somme de 172 000 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de l'intervention des forces de police au cours de la manifestation du 27 novembre 2007 à Nantes.
Par un jugement n° 1403983 du 28 novembre 2016, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser à M. C...la somme de 48 000 euros.
Procédure devant la cour :
Par un recours, enregistré le 31 janvier 2017, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 novembre 2016 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C...devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- l'Etat n'a pas commis de faute dans l'organisation de ses services de police ;
- le lien de causalité entre la prétendue faute dans l'organisation du service et les préjudices subis par M. C...n'est pas établi ;
- le comportement de M. C...constitue une faute de nature à l'exonérer totalement, ou à tout le moins à hauteur de 75%, de sa responsabilité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2017, M.C..., représenté par Me Noël, conclut au rejet du recours et, par la voie de l'appel incident, demande que la somme que l'Etat a été condamné à lui verser soit portée à 172 000 euros ; enfin il demande que soient mis à la charge de l'Etat les dépens, ainsi que la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'Etat a commis une faute lors des opérations de maintien de l'ordre le 27 novembre 2007 ;
- il n'a commis aucune faute de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité ;
- le lien de causalité avec les préjudices qu'il a subis est direct et certain ;
- ses préjudices se chiffrent à 172 000 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport Mme Rimeu,
- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,
- et les observations de Me Noël, avocat de M.C....
1. Le 27 novembre 2007, au cours d'une manifestation d'étudiants et de lycéens contre la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, M. C..., alors âgé de seize ans, a été grièvement blessé à l'oeil droit par une balle provenant du tir d'un policier armé d'un lanceur de balles de défense de type " LBD 40x46 mm ". Par un jugement du 28 novembre 2016, le tribunal administratif de Nantes, après avoir retenu une faute de l'Etat dans l'organisation des services de police et une faute de la victime, exonérant partiellement l'Etat de sa responsabilité, a condamné celui-ci à verser à M. C...la somme de 48 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de cette blessure. L'Etat relève appel de ce jugement tandis que, par la voie de l'appel incident, M. C...demande que l'indemnité allouée soit portée à la somme de 172 000 euros.
Sur la responsabilité :
2. Dans le cas où le personnel du service de police fait usage d'armes ou d'engins comportant des risques exceptionnels pour les personnes et les biens, la responsabilité de la puissance publique se trouve engagée, en l'absence même d'une faute, lorsque les dommages subis dans de telles circonstances excèdent, par leur gravité, les charges qui doivent être normalement supportées par les particuliers en contrepartie des avantages résultant de l'existence de ce service public. Il n'en est cependant ainsi que pour les dommages subis par des personnes ou des biens étrangers aux opérations de police qui les ont causés. Lorsque les dommages ont été subis par des personnes ou des biens visés par ces opérations, le service de police ne peut être tenu pour responsable que lorsque le dommage est imputable à une faute commise par les agents de ce service dans l'exercice de leurs fonctions. En raison des dangers inhérents à l'usage des armes ou engins comportant des risques exceptionnels pour les personnes et les biens, il n'est pas nécessaire que cette faute présente le caractère d'une faute lourde.
3. Il résulte de l'instruction que le lanceur de balles de défense de type " LBD 40x46 mm " était à l'époque des faits une arme nouvelle, en cours d'évaluation, qui devait être utilisée par les services de police, ainsi que le prévoyait son " instruction d'emploi provisoire ", pour neutraliser des individus déterminés, auteurs de violences, à une distance comprise entre 10 et 50 mètres. Cette arme, beaucoup plus puissante et précise que les " flash balls " classiques, nécessitait, en raison de sa dangerosité, une précision de tir et donc une formation et un encadrement particuliers, distincts de ceux prévus pour l'utilisation des lanceurs de défense précédents, lesquels, selon les dires du directeur départemental de la sécurité publique de la Loire Atlantique, étaient des armes à forte détonation utilisées pour intimider et non pour neutraliser une personne en particulier en vue de son éventuelle interpellation. Or l'agent de police qui a tiré sur M. C... lors de la manifestation du 27 novembre 2007 n'avait été formé à l'utilisation théorique et pratique du lanceur de type " LBD 40x46 mm " que pendant une demi journée en juin 2007, soit cinq mois auparavant, sur des cibles statiques uniquement et non des cibles en mouvement. En outre, cet agent de police insuffisamment formé a fait usage du lanceur " LBD 40x46 mm " sur M.C..., sans mettre un genou à terre de manière à réduire la hauteur de son tir, à un moment où les manifestants avaient déjà été repoussés hors de l'enceinte du rectorat, où les forces de l'ordre n'étaient plus gravement menacées par les manifestants et où un tir au moyen d'un " flash ball " classique pouvait suffire à intimider les manifestants. De plus, il résulte de l'instruction que l'auteur du tir a déclaré que son supérieur hiérarchique lui avait dit, au cours de la manifestation, à propos d'un manifestant, dont l'agent de police lui-même reconnait qu'il ne s'agissait pas de M. C..., que si ce manifestant continuait à envoyer des projectiles, il faudrait " lui tirer dessus ". Dès lors, l'utilisation dans les conditions précédemment décrites du lanceur " LBD 40x46 ", arme dangereuse comportant des risques exceptionnels pour les personnes, sur un manifestant très jeune qui n'était pas l'auteur des jets de projectiles et qui se trouvait à une distance réduite, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
4. Cette faute est à l'origine de la grave blessure à l'oeil droit dont a été victime M.C.... Il suit de là que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que le lien de causalité entre la faute des services de police et la blessure dont M. C...demande réparation n'est pas direct et certain.
5. Enfin, M. C...participait à la manifestation et se maintenait, avec d'autres manifestants, à proximité de la brèche que les manifestants avaient pratiquée dans le grillage d'enceinte du rectorat, après avoir été repoussés par les forces de police à l'extérieur du parc qui entoure le bâtiment du rectorat. Si certains manifestants ont lancé des projectiles contre les forces de police, il ne résulte de l'instruction ni que M. C...en aurait lui-même envoyé ni qu'il aurait, avant le tir, entendu une sommation lui intimant de s'éloigner. Ainsi, la faute de l'intéressé se borne à s'être maintenu à proximité immédiate des manifestants responsables de jets de projectiles. Compte tenu du caractère minime de la faute ainsi commise par M.C..., celle-ci n'est de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité qu'à hauteur de 10%.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal de grande instance de Nantes, que M. C...a, après la blessure qu'il a reçue à l'oeil droit, poursuivi sa scolarité en terminale L et obtenu son baccalauréat, sans la mention très bien qu'il espérait, mais avec une mention bien. En revanche, il n'a pu intégrer une classe préparatoire aux grandes écoles, ainsi qu'il en avait le projet et les capacités, du fait de son déficit visuel droit et de sa fatigabilité à la fixation, avec perte de vision stéréoscopique de près. Ainsi que l'a retenu le tribunal administratif de Nantes, ce préjudice dans le parcours scolaire et universitaire de M. C...peut être justement évalué à la somme de 10 000 euros.
7. En revanche, il ne ressort pas des pièces du dossier que M.C..., qui ne fait pas état d'un projet professionnel précis qu'il n'aurait pas été en mesure d'accomplir en raison de sa cécité partielle, ne pourrait pas exercer une profession correspondant à ses souhaits et compétences. Il suit de là que le caractère certain du préjudice professionnel invoqué n'est pas plus établi en appel qu'en première instance.
En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :
Quant aux préjudices extrapatrimoniaux temporaires :
S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
8. Il résulte de l'instruction que M. C...a subi, au cours de la période du 27 novembre 2007 au 25 août 2008, date de consolidation de sa blessure, des troubles dans ses conditions d'existence résultant de trois hospitalisations, en novembre 2007, février et mars 2008, pour subir des opérations de la rétine, de son incapacité à pratiquer une activité sportive et à suivre ses cours de dessin aux Beaux-Arts ainsi que de ses difficultés à suivre des conversations ou à regarder des écrans. Dans ces conditions, les premiers juges ont fait une juste appréciation de son déficit fonctionnel temporaire en estimant le préjudice subi par M. C...de ce chef à la somme de 6 000 euros.
S'agissant des souffrances endurées :
9. M. C...a enduré des souffrances physiques et morales estimées par le rapport d'expertise à 5 sur une échelle de 1 à 7. Les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce préjudice en lui allouant à ce titre une somme de 18 000 euros.
S'agissant du préjudice esthétique temporaire :
10. Il résulte de l'instruction que l'oeil droit de M. C...présentait une ecchymose et que sa paupière droite, jusqu'à la date de sa consolidation, soit durant neuf mois, tombait légèrement sur son oeil ce qui créait une dissymétrie de son visage et du regard. Il y a lieu de confirmer la juste appréciation faite par le tribunal administratif de Nantes de ce chef de préjudice en le fixant à la somme de 1 000 euros.
Quant aux préjudices extrapatrimoniaux permanents :
S'agissant du déficit fonctionnel permanent :
11. L'expert a retenu un taux d'incapacité permanente de 23 % intégrant les séquelles physiques et psychiques dont souffre M. C...compte tenu de son jeune âge au moment des faits. Les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'estimant à la somme de 50 000 euros.
S'agissant du préjudice esthétique permanent :
12. L'expert a estimé le préjudice esthétique permanent de M. C... à 1 sur une échelle de 1 à 7. Le tribunal a fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'estimant à la somme de 1 000 euros.
S'agissant du préjudice d'agrément :
13. Il résulte de l'instruction qu'en raison de la perte de vision stéréoscopique, M. C... n'a pas pu continuer ses cours aux Beaux-Arts et ne peut plus pratiquer le vélocyclisme. Il y a lieu de confirmer la somme de 10 000 euros retenue par les premiers juges pour indemniser le préjudice d'agrément subi par l'intéressé, évalué à 3, sur une échelle de 0 à 7.
14. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le tribunal administratif de Nantes a évalué le préjudice subi par M. C...à la somme totale de 96 000 euros. Dès lors, compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 5 ci-dessus, le montant du préjudice à la charge de l'Etat s'élève à la somme de 86 400 euros.
15. Il résulte de tout ce qui précède que l'Etat n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 28 novembre 2016, le tribunal administratif de Nantes l'a condamné à indemniser M. C...des préjudices subis en conséquence de la faute commise par les services de police. En revanche, eu égard aux parts de responsabilités respectives de
l'Etat et de M. C..., ce dernier est fondé, par la voie de l'appel incident, à demander que le montant de l'indemnisatioon de 48 000 euros soit porté à la somme de 86 400 euros.
Sur les frais d'expertise :
16. Ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Nantes, les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal de grande instance de Nantes, arrêtés à la somme de 600 euros, doivent être mis à la charge définitive de l'Etat.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C...et non compris dans les dépens en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le recours du ministre de l'intérieur est rejeté.
Article 2 : La somme que l'Etat a été condamné à payer à M. C...par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 novembre 2016 est portée à 86 400 euros.
Article 3 : L'Etat versera à M. C...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. C...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à M. B... C....
Copie en sera adressée au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 5 juin 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente,
- Mme Rimeu, premier conseiller,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 juillet 2018.
Le rapporteur,
S. RimeuLa présidente,
N. Tiger-Winterhalter
Le greffier,
M. A...
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT00411