Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'Earl de la Jarrière a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, le courrier du 29 juin 2012 par lequel le préfet de la Mayenne l'a invitée à retirer les buses installées sur la parcelle cadastrée C n° 296, située au lieu-dit " Malabry ", sur le territoire de la commune de Commer ou à déposer une demande de régularisation des travaux réalisés, d'autre part, l'arrêté du 3 juillet 2013 par lequel le préfet de la Mayenne l'a mise en demeure de procéder au retrait des buses installées par ses soins sur cette parcelle ou de déposer, dans un délai de 6 mois, un dossier de demande d'autorisation de busage.
Par un jugement n° 1302570-1306954 du 9 février 2016, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 avril 2016, l'Earl de la Jarrière, représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 9 février 2016 ;
2°) d'annuler le courrier du 29 juin 2012 ainsi que l'arrêté du 3 juillet 2013 du préfet de la Mayenne ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a insuffisamment motivé son jugement, notamment sa réponse au moyen tiré de l'incompétence du préfet et de la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée s'attachant au jugement du 19 janvier 2012 du tribunal correctionnel de Laval ;
- l'arrêté du 3 juillet 2013 a été signé par MmeD..., alors que celle-ci avait quitté ses fonctions de préfet de la Mayenne à la suite de sa nomination le 19 juin 2013 comme préfet de la Manche ; il est donc entaché d'incompétence ;
- le tribunal correctionnel n'a retenu l'existence d'un busage que sur une longueur de 42 mètres, et a jugé prescrits les travaux de busage sur 150 mètres ; ce jugement est revêtu de l'autorité absolue de la chose jugée ;
- l'écoulement sur lequel ont été exécutés les travaux de busage litigieux était un fossé et non un ruisseau, ainsi que l'établissent les travaux de drainage et de busage entrepris antérieurement sous le contrôle de l'association syndicale autorisée de drainage de Mayenne-Est ; le tribunal correctionnel a en outre relevé le comportement respectueux de l'environnement de M.B... ; la mise en demeure est donc entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par une ordonnance du 24 novembre 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 26 décembre 2017.
Un mémoire en défense présenté par le ministre de la transition écologique et solidaire , a été enregistré le 15 mars 2018, postérieurement à la clôture.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Degommier,
- et les conclusions de M. Derlange, rapporteur public.
1. Considérant qu'à la suite d'un procès-verbal dressé par l'office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) le 28 octobre 2009, constatant la réalisation de travaux de busage du ruisseau dit de Malabry, sur la parcelle cadastrée C n° 296 sur le territoire de la commune de Commer, réalisés selon ce procès-verbal par l'Earl de la Jarrière, le préfet de la Mayenne, par courrier du 29 juin 2012, a invité l'Earl de la Jarrière à retirer les buses installées sur cette parcelle ou à déposer une demande de régularisation des travaux réalisés ; que par arrêté du 3 juillet 2013, le préfet de la Mayenne l'a mise en demeure de procéder au retrait des buses installées par ses soins sur cette parcelle ou de déposer, dans un délai de 6 mois, un dossier de demande d'autorisation de busage ; que l'Earl de la Jarrière interjette appel du jugement n° 1302570-1306954 du 9 février 2016 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation du courrier du 29 juin 2012 et de l'arrêté préfectoral du 3 juillet 2013 ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés " ; que le jugement attaqué indique les motifs de droit et de fait pour lesquels il a écarté les moyens invoqués devant lui par l'Earl de la Jarrière ; qu'en particulier, il a suffisamment répondu au moyen tiré de l'incompétence invoqué à l'encontre de la mise en demeure du 3 juillet 2013, compte tenu du caractère succinct de l'argumentation développée à l'appui de ce moyen devant le tribunal ; qu'enfin, en réponse au moyen tiré du non-respect de l'autorité de la chose jugée s'attachant au jugement du 19 janvier 2012 du tribunal correctionnel de Laval, le tribunal, après avoir rappelé le caractère de mesure de police administrative des décisions prises en vertu de l'article L. 216-1 du code de l'environnement, a indiqué que la requérante n'était pas fondée à se prévaloir de la prescription de l'action publique retenue par le juge pénal ; que le jugement attaqué satisfait ainsi aux exigences de motivation posées par l'article L. 9 du code de justice administrative ;
Sur les conclusions dirigées contre le courrier du 29 juin 2012 du préfet de la Mayenne :
3. Considérant qu'il n'appartient pas au juge d'appel, devant lequel l'appelant ne conteste pas la fin de non-recevoir opposée à ses conclusions par le juge de premier ressort, de rechercher d'office si cette fin de non-recevoir a été soulevée à bon droit ; que le tribunal administratif a rejeté comme irrecevables les conclusions de l'Earl de la Jarrière dirigées contre le courrier du 29 juin 2012 du préfet de la Mayenne, au motif que ce courrier ne constitue pas une décision susceptible de faire l'objet d'un recours ; que l'Earl de la Jarrière ne conteste pas l'irrecevabilité qui lui a été ainsi opposée ; qu'elle n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté ses conclusions sur ce point ;
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté préfectoral du 3 juillet 2013 :
En ce qui concerne l'incompétence :
4. Considérant que l'arrêté contesté a été signé par MmeD..., alors préfète de la Mayenne ; que si l'Earl de la Jarrière soutient que Mme D...n'était plus en fonctions le 19 juin 2013, il ne résulte pas de l'instruction que l'arrêté préfectoral du 3 juillet 2013 contesté aurait été signé après l'installation effective de son successeur, laquelle est intervenue, d'après les pièces produites par la requérante elle-même devant le tribunal administratif, après le 3 juillet 2013 ; qu'ainsi le moyen tiré de l'incompétence doit être écarté ;
En ce qui concerne le bien-fondé de la mise en demeure :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 215-7 du code de l'environnement : " L'autorité administrative est chargée de la conservation et de la police des cours d'eau non domaniaux. Elle prend toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux (...) " ; que, d'autre part, aux termes de l'article L. 214-3 du code de l'environnement : " I.- Sont soumis à autorisation de l'autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles (...) II.- Sont soumis à déclaration les installations, ouvrages, travaux et activités qui, n'étant pas susceptibles de présenter de tels dangers, doivent néanmoins respecter les prescriptions édictées en application des articles L. 211-2 et L. 211-3 (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 216-1-1 de ce code, alors applicable et repris à l'article L. 171-7 du même code : " Lorsque des installations ou ouvrages sont exploités ou que des travaux ou activités sont réalisés sans avoir fait l'objet de l'autorisation ou de la déclaration requise par l'article L. 214-3, l'autorité administrative met en demeure l'exploitant ou, à défaut, le propriétaire de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine en déposant, suivant le cas, une demande d'autorisation ou une déclaration. Elle peut, par arrêté motivé, édicter des mesures conservatoires et, après avoir invité l'intéressé à faire connaître ses observations, suspendre l'exploitation des installations ou ouvrages ou la réalisation des travaux ou activités jusqu'au dépôt de la déclaration ou jusqu'à la décision relative à la demande d'autorisation. Si l'exploitant ou, à défaut, le propriétaire ne défère pas à la mise en demeure de régulariser sa situation ou si sa demande d'autorisation est rejetée, l'autorité compétente ordonne la fermeture ou la suppression des installations ou ouvrages, la cessation définitive des travaux ou activités. Si l'exploitant ou, à défaut, le propriétaire n'a pas obtempéré dans le délai imparti, l'autorité compétente fait application des procédures prévues aux 1° et 2° de l'article L. 216-1 (...) " ; qu'en vertu de l'article R. 214-1 du code de l'environnement, sont soumis à autorisation les installations, ouvrages, travaux ou activités conduisant à modifier le profil en long ou le profil en travers du lit mineur d'un cours d'eau ou conduisant à la dérivation d'un cours d'eau, lorsque le linéaire du cours d'eau concerné est supérieur ou égal à cent mètres, tandis que sont soumis à autorisation les installations ou ouvrages ayant un impact sensible sur la luminosité nécessaire au maintien de la vie et de la circulation aquatique dans un cours d'eau, sur une longueur supérieure ou égale à 100 mètres :
6. Considérant, en premier lieu, que si, en principe, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose aux autorités et juridictions administratives qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire de leurs décisions, il en est autrement lorsque la légalité d'une décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale ; que, dans cette dernière hypothèse, l'autorité de la chose jugée s'étend exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal ;
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par jugement du 19 janvier 2012, le tribunal correctionnel de Laval a constaté que la prescription était acquise pour les travaux de busage réalisés en 2004 et en 2005 et a condamné M. B...pour les seuls travaux de busage réalisés en 2009, sur une longueur comprise entre 40 et 50 mètres ; que la prescription ainsi retenue par le juge pénal pour les travaux effectués en 2004 et en 2005 ne peut être regardée comme une constatation de fait et ne s'impose pas, par suite, au juge administratif ; qu'une telle prescription ne s'impose pas davantage à l'autorité préfectorale faisant application des dispositions précitées de l'article L. 216-1-1 du code de l'environnement, qui instituent des mesures de police dont la légalité n'est pas subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement constituent une infraction pénale ; qu'ainsi l'Earl de la Jarrière n'est pas fondée à invoquer l'autorité de la chose jugée au pénal ;
8. Considérant, en deuxième lieu, que pour l'application des dispositions précitées, constitue un cours d'eau un écoulement d'eaux courantes dans un lit naturel à l'origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l'année ;
9. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du procès-verbal dressé par l'ONEMA en septembre 2009, que le ruisseau dit de Malabry, qui apparaît en trait bleu discontinu sur la carte IGN au 1/25000è, n° 1517 Ouest, prend ses sources dans le talweg situé entre les lieux-dits Huet et Malabry, sur le territoire de la commune de Commer, présente un débit permanent, avec un débit d'étiage faible évalué en septembre 2009 à environ 1 litre par seconde et ce alors qu'il n'avait pas plu depuis plusieurs jours, ainsi qu'un lit marqué et une granulométrie différenciée ; que la présence d'une faune aquatique caractéristique des cours d'eau a été constatée avec des macro-invertébrés, des fourreaux de trichoptères et des gammares ; que l'écoulement libre, visible en aval des travaux de busage litigieux, apparaît bien situé dans le talweg ; qu'il résulte de ce qui précède que l'écoulement d'eau situé sur la parcelle cadastrée C n °296 doit être qualifié de cours d'eau non domanial, et non de simple fossé ; qu'ainsi le préfet de la Mayenne était fondé à faire usage des pouvoirs de police qu'il tient des dispositions précitées du code de l'environnement ;
10. Considérant, en dernier lieu, qu'il résulte du même procès-verbal ainsi que des constatations de fait du juge pénal que sur la parcelle cadastrée C n° 296, en aval immédiat du collecteur de drains implanté précédemment, le ruisseau dit de Malabry a fait l'objet d'un busage sur une longueur d'environ 200 mètres ; que l'Earl de la Jarrière ne conteste pas sérieusement avoir réalisé ces travaux de busage sans autorisation ; que le préfet était tenu, en application des dispositions précitées du code de l'environnement, de mettre en demeure l'Earl de la Jarrière de régulariser sa situation, soit en procédant au retrait des buses installées, soit en déposant un dossier d'autorisation ; qu'il suit de là que l'Earl de la Jarrière ne peut utilement se prévaloir des travaux de drainage et de busage entrepris à proximité antérieurement sous le contrôle de l'association syndicale autorisée de drainage de Mayenne-Est, ni invoquer l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'Earl de la Jarrière n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;
Sur les frais liés au litige :
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'Earl de la Jarrière demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l'Earl de la Jarrière est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à l'Earl de la Jarrière et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.
Une copie sera en outre adressée au préfet de la Mayenne.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président,
- M. Degommier, président assesseur,
- M.A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique le 24 avril 2018.
Le rapporteur,
S. DEGOMMIER
Le président,
A. PEREZLe greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16NT01183