Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'EARL des Landes a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 64 718,70 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la non intégration de cette somme dans le cadre du calcul des droits à paiement unique au titre de 2010.
Par un jugement n° 1105658 du 13 juin 2014, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 14NT02336 du 12 novembre 2015, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel de l'EARL des Landes contre ce jugement.
Par une décision n° 396070 du 19 juin 2017 le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 12 novembre 2015 de la cour administrative d'appel de Nantes et renvoyé l'affaire devant cette juridiction.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 3 septembre 2014 et 12 octobre 2015, puis, après renvoi de l'affaire, les 4 septembre, 23 octobre et 7 novembre 2017 et 22 février 2018 l'Earl des Landes, représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 13 juin 2014 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 187 280,96 € euros avec intérêts de droit et capitalisation des intérêts à compter du 15 décembre 2010 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, dans le dernier état de ses éritures, la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à l'époque où l'intégralité des droits aurait dû être versée, elle n'a été bénéficiaire d'aucune attribution alors pourtant qu'elle satisfaisait aux deux conditions cumulatives posées à l'article D. 615-69 du code rural ;
- le refus du versement des aides litigieuses est motivé par le non respect de ces conditions et non, comme l'ont indiqué à tort les premiers juges, par l'absence de demande de sa part de l'attribution de son montant de référence au titre du découplage des aides 2010 ;
- l'administration, qui a méconnu le règlement 73/2009 du 19 janvier 2009 et son règlement d'application n°1120/2009 du 29 octobre 2009, a commis une faute ; si le GAEC des Landes est devenu l'Earl des Landes, l'agriculteur assurant la gestion, les bénéfices et les risques financiers est toujours M.A... ; par application des dispositions de l'article 4 du règlement n°1120/2009 du 29 octobre 2009, elle était parfaitement en droit d'accéder au régime de paiement unique dans les mêmes conditions que celles prises en compte antérieurement ;
- à supposer qu'il continue à s'appliquer en dépit de l'entrée en vigueur du règlement précité 73/2009, l'administration qui a méconnu l'article D. 615-69 du code rural a commis une autre faute ; le non respect de la seconde condition tenant à l'importance de la surface agricole utile ne pouvait conduire, ainsi qu'il a été fait, à une suppression totale du montant des DPU mais à un prélèvement au profit de la réserve nationale ;
- l'administration ne saurait justifier la suppression pure et simple de ses droits par la mise en place du nouveau dispositif d'aide aux éleveurs de veaux de boucherie.
Par des mémoires en défense enregistrés le 10 septembre 2015, puis, après renvoi de l'affaire, le 23 octobre 2017, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation s'en remet, dans le dernier état de ses écritures, à la sagesse de la cour.
Par lettre du 12 février 2018 les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires de la requête en tant qu'elles portent sur un montant excédant la somme demandée en première instance, dès lors qu'elles mettent en cause la régularité de décisions annuelles d'attribution des primes PAC au titre des années postérieures à 2010, décisions qui, d'une part, constituent des faits générateurs distincts et, d'autre part, en ce qui concerne les années 2011 à 2014, se rapportent à des circonstances antérieures au jugement attaqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil du 19 janvier 2009 établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs ;
- le règlement (CE) n° 1120/2009 portant modalités d'application du régime de paiement unique prévu par le titre III du règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Francfort, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Durup de Baleine, rapporteur public.
1. Considérant que le Gaec des Landes, qui exploitait une surface de 25 ha jusqu'au 31 décembre 2009, a, à la suite du départ à la retraite de Mme C...A..., membre associé, fait l'objet d'un changement de statut et est devenu l'Earl des Landes ; que l'administration a notifié le 30 décembre 2010 à l'Earl des Landes le montant des droits à paiement unique (DPU) au paiement desquels elle pouvait prétendre sur le fondement du règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil du 19 janvier 2009 visé ci-dessus, aux termes d'une décision relative au portefeuille final des droits à paiement unique 2010, qui intégrait la prise en compte du découplage des aides, mais ne faisait plus mention de la prime d'abattage pour un montant de 64 718,70 euros qui avait été précédemment indiquée au Gaec des Landes ; que, par un courrier du 10 mars 2011 adressé à la direction départementale des territoires, l'Earl des Landes, exposant les difficultés qu'elle rencontrait dans le cadre du découplage des aides PAC 2010, a mis en demeure l'administration de lui verser cette somme de 64 718,70 euros ; qu'en raison du refus qui lui a été opposé, l'Earl des Landes a sollicité du tribunal administratif de Nantes la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 64 718,70 euros en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi ; qu'elle relève appel du jugement du 13 juin 2014 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande, en réévaluant le montant de son préjudice, dans le dernier état de ses écritures, à la somme de 187 280,96 euros ;
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne la faute commise par l'Etat :
S'agissant du motif du refus opposé par le préfet de Maine-et-Loire :
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que pour refuser à l'EARL l'attribution des DPU liquidés au bénéfice du GAEC dont il a pris la suite, le préfet de Maine-et-Loire s'est fondé sur la circonstance que la transformation du GAEC en EARL s'était accompagnée d'une augmentation de surface mise en culture supérieure à 5 % ;
3. Considérant qu'aux termes des dispositions alors en vigueur de l'article D. 615-68 du code rural et de la pêche maritime : " 1° Afin de constituer une réserve nationale des droits à paiement unique, conformément au 1 de l'article 42 du règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 susmentionné, le ministre chargé de l'agriculture détermine par arrêté la réduction linéaire appliquée sur le montant unitaire des droits à paiement unique, dans la limite de 3 % de ces montants.(...) " ; et qu'aux termes des dispositions alors applicables l'article D. 615-69 du même code : " (...) IV.-Aucun prélèvement n'est effectué sur les droits à paiement unique transférés à l'occasion d'un changement de dénomination ou de statut juridique de l'exploitation si, à l'issue de cette opération, les deux conditions cumulatives suivantes sont réunies : 1° Au moins l'une des personnes qui assurait les fonctions de chef d'exploitation, d'associé, d'associé gérant ou d'associé exploitant au sein de l'exploitation avant le changement continue d'assurer l'une ou l'autre de ces fonctions par la suite ; 2° L'augmentation ou la diminution de la surface agricole utile de l'exploitation entre le 15 mai précédant le changement et le 15 mai suivant n'excède pas 5 %. " ;
4. Considérant qu'au regard de ces dispositions, pour bénéficier de l'exemption de prélèvement des droits à paiement unique au bénéfice de la réserve nationale à l'occasion d'un changement de statut juridique de l'exploitation, les deux conditions mentionnées à l'article D. 615-69 du code rural doivent être cumulativement réunies à l'issue de cette opération ; que pour ne pas attribuer à l'Earl de la Lande la prime d'abattage pour un montant de 64 718,64 euros, le préfet s'est fondé sur la circonstance que le requérant, s'il remplissait la première condition, ne satisfaisait pas à la seconde dès lors que l'accroissement des surfaces exploitées à la suite de la constitution de l'EARL était de 72 % ; que, toutefois, ces dispositions, ainsi qu'il vient d'être dit, ne visent que les prélèvements sur les droits à paiement unique institués au bénéfice de la réserve nationale dans le cadre fixé par le règlement n° 73/2009 CE, et non l'attribution de ces aides ; que, dès lors, en estimant, par les motifs qui viennent d'être rappelés, que la requérante ne remplissait pas les conditions pour bénéficier des droits à paiement unique à la suite de la transformation du GAEC en EARL, le préfet a méconnu les dispositions de l'article D. 615-69 du code rural et de la pêche maritime ;
S'agissant du motif tiré par voie de substitution de la méconnaissance par l'EARL de ses obligations déclaratives :
5. Considérant, en premier lieu, que le ministre chargé de l'agriculture, a exposé en cours d'instance qu'il ne pouvait accéder à la demande d'attribution formée par l'EARL dès lors qu'en l'absence d'automaticité dans le transfert des DPU, chaque demandeur est tenu, en cas d'événement survenus sur une exploitation, et notamment en cas de transfert de DPU, de déclarer à l'administration, dans un document distinct de la déclaration de changement de statut, les DPU correspondants aux aides découplées détenus par le Gaec qui lui avaient été transférés par ce dernier, afin de permettre l'activation des droits ainsi transférés ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 12 du règlement (CE) n° 1122/2009 de la Commission du 30 novembre 2009 : " 1- La demande unique contient toutes les informations nécessaires pour décider de l'admissibilité à l'aide, en particulier : a) l'identité de l'agriculteur ; b) le régime ou les régimes concernés ; c) l'identification des droits au paiement conformément au système d'identification et d'enregistrement prévu à l'article 7 aux fins de l'application du régime de paiement unique ; d) les éléments permettant l'identification de toutes les parcelles agricoles de l'exploitation, (...) " ; qu'aux termes de l'article 63 du règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil du 19 janvier 2009 : " À partir de 2010, les États membres intègrent, conformément aux règles établies aux articles 64, 65, 66 et 67, dans le régime de paiement unique les aides disponibles au titre des régimes de soutien couplé visés à l'annexe XI (...) " ; qu'aux termes de l'article 64 du même règlement : " 1. Les montants figurant à l'annexe XII qui étaient disponibles pour les aides couplées dans le cadre des régimes visés à l'annexe XI, points 1 et 2, sont répartis par les États membres entre les agriculteurs des secteurs concernés, selon des critères objectifs et non discriminatoires, tenant compte, notamment, du soutien dont ces agriculteurs ont bénéficié, directement ou indirectement, au titre des régimes considérés au cours d'une ou de plusieurs années de la période 2005-2008. (...) / 2. Les États membres augmentent la valeur des droits au paiement détenus par les agriculteurs concernés sur la base des montants résultants de l'application du paragraphe 1 (...) " ; et qu'aux termes de l'article 4 du règlement (CE) n° 1120/2009 du 29 octobre 2009 de la Commission : " En cas de changement de statut ou de dénomination juridique, l'agriculteur a accès au régime de paiement unique dans les mêmes conditions que l'agriculteur qui gérait initialement l'exploitation, dans la limite des droits au paiement détenus par l'exploitation d'origine, ou, en cas d'octroi des droits au paiement ou d'une augmentation de leur valeur, dans les limites applicables pour l'attribution des droits à l'exploitation d'origine. " ; qu'enfin aux termes de l'article D. 615-62-1 du code rural dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Pour l'application de l'article 63 du règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil du 19 janvier 2009 susmentionné, le montant final à découpler est établi, pour chaque agriculteur, selon les modalités précisées au présent article (...) V. - Le montant final à découpler correspond à la somme des montants annuels de l'année de référence de l'agriculteur, après prise en compte des événements intervenus entre le 1er janvier 2005 et le 15 mai 2010 (...) " ;
7. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que, alors même que l'administration a été informée d'un changement de statut ou de dénomination de l'exploitation agricole, l'agriculteur doit également déclarer à l'administration, pour prétendre au versement d'aides dites découplées, les droits à paiement unique qui lui ont été ainsi attribués ou transférés au titre de la nouvelle exploitation agricole ; que toutefois, s'agissant du montant de référence des nouveaux droits à paiement unique ouverts par le découplage supplémentaire intervenu en 2010, l'agriculteur qui assure le contrôle de la nouvelle exploitation après son changement de statut ou de dénomination intervenu entre le 1er janvier 2005 et le 15 mai 2010, a accès au régime de ces nouveaux droits à paiement unique dans les mêmes conditions que la personne qui gérait initialement l'exploitation et dans les limites applicables pour l'attribution des droits à l'exploitation d'origine, sans qu'il ait à déclarer qu'un tel changement emporte transfert du montant de référence en cause, dès lors que l'administration a été informée de ce changement de statut ou de dénomination ; que dès lors le préfet de Maine-et-Loire n'est pas fondé à soutenir que l'EARL des Landes, qui avait transmis le formulaire diffusé par circulaire relatif à son changement de statut juridique, était, en outre, tenue de demander, dans un document distinct, les droits à paiement unique ouverts par le découplage supplémentaire intervenu en 2010 ;
8. Considérant, enfin, que la circonstance, à la supposer avérée, que l'Earl des Landes aurait été susceptible de bénéficier d'un programme national " veau de boucherie " destiné à aider les exploitations exposées à une baisse d'activité en 2008/2009, ou celles affectés par un changement de statut sans avoir pu bénéficier de transfert de DPU, est insusceptible d'affecter les conditions dans lesquelles doivent être réparés les préjudices subis par l'entreprise requérante du fait du refus de lui verser la prime en cause ;
En ce qui concerne le préjudice indemnisable :
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de Maine-et-Loire ne pouvait refuser d'intégrer le montant de 64 718,70 euros correspondant à la prime d'abattage précédemment indiquée au Gaec des Landes dans la somme dans le calcul des droits à paiement unique au titre des droits à paiement unique 2010 dus à l'Earl des Landes ; que ce dernier est dès lors fondé à réclamer la condamnation de l'Etat à lui verser cette somme ; que cette somme portera intérêts à compter du 16 mars 2011, date de réception de la demande indemnitaire de l'EARL par le préfet de Maine-et-Loire, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés ;
10. Considérant, en revanche, que le surplus des conclusions indemnitaires présentées par l'EARL, qui portent sur un montant excédant celui demandé en première instance, mettent en cause la régularité de décisions annuelles d'attribution des primes PAC au titre des années postérieures à 2010, alors que ces décisions, d'une part, constituent des faits générateurs distincts et, d 'autre part, en ce qui concerne les années 2011 à 2014, se rapportent à des circonstances antérieures au jugement attaqué ; que ces conclusions, nouvelles en appel, sont dès lors irrecevables ;
11. Considérant qu'il résulte de ce tout qui précède que l'Earl des Landes est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 64 718,70 euros ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'Earl des Landes d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 juin 2014 est annulé.
Article 2 : L'Etat versera à l'Earl des Landes la somme de 64 718,70 euros. Cette somme portera intérêt à compter du 16 mars 2011, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par l'Earl des Landes est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à l'Earl des Landes une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'Earl des Landes et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- M. Mony, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 avril 2018.
Le rapporteur,
J. FRANCFORTLe président,
H. LENOIR
Le greffier,
F. PERSEHAYE
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT01866