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30/03/2018 | FRANCE | N°16NT01236

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 30 mars 2018, 16NT01236


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Eurovia Bretagne a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, de condamner la communauté de communes du Val d'Ille à lui verser la somme de 22 514,84 euros HT au titre des sujétions imprévues, la somme de 24 643,60 euros HT correspondant à la " perte d'industrie " et la somme de 73 368,31 euros HT au titre de la révision des prix, et d'autre part, de fixer le montant du décompte général et définitif du marché à la somme de 1 100 506,72 euros HT, augmentée des intérêts mora

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La communauté de communes du Val d'Ille a demandé, par la voie de concl...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Eurovia Bretagne a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, de condamner la communauté de communes du Val d'Ille à lui verser la somme de 22 514,84 euros HT au titre des sujétions imprévues, la somme de 24 643,60 euros HT correspondant à la " perte d'industrie " et la somme de 73 368,31 euros HT au titre de la révision des prix, et d'autre part, de fixer le montant du décompte général et définitif du marché à la somme de 1 100 506,72 euros HT, augmentée des intérêts moratoires.

La communauté de communes du Val d'Ille a demandé, par la voie de conclusions reconventionnelles, la condamnation de la société Eurovia Bretagne à lui verser la somme de 19 400 euros au titre des pénalités de retard dans la remise du dossier des ouvrages exécutés.

Par un jugement n° 1204902 du 25 février 2016, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de la société Eurovia Bretagne et celle présentée par la communauté de communes du Val d'Ille.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 avril 2016, la société Eurovia Bretagne, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 25 février 2016 en tant qu'il a rejeté sa demande ;

2°) de condamner la communauté de communes du Val d'Ille à lui verser la somme de 22 514,84 euros HT au titre des sujétions imprévues, la somme de 24 643,60 euros HT correspondant à la " perte d'industrie " et la somme de 73 368,31 euros HT au titre de la révision des prix ;

3°) de fixer le montant du décompte général et définitif du marché à la somme de 1 100 506,72 euros HT, augmentée des intérêts moratoires ;

4°) de mettre à la charge de la communauté de communes du Val d'Ille la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, la communauté de communes du Val d'Ille a commis des fautes qui sont exclusivement à l'origine de l'allongement du délai d'exécution des travaux ; en effet, le projet n'était pas suffisamment défini avant la passation du marché, de sorte que des travaux modificatifs se sont révélés nécessaires ; la désorganisation du chantier résulte également d'une faute dans l'exercice par la communauté de communes du Val d'Ille de son pouvoir de contrôle et de direction à l'égard de son maître d'oeuvre ;

- en application des dispositions de l'article 19.21 du cahier des clauses administrative générale applicable aux marchés de travaux, elle est donc parfaitement recevable à demander l'indemnisation des conséquences liées aux prolongations de chantier ;

- l'allongement du délai d'exécution des travaux a généré un bouleversement économique du contrat, lequel justifie le versement d'une somme de 22 514,84 euros HT au titre des sujétions imprévues, d'une somme de 24 643,60 euros HT correspondant à la perte d'industrie, et d'une somme de 73 368,31 euros HT au titre de la révision des prix.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er août 2017, la communauté de communes du Val d'Ille conclut au rejet de la requête et demande la réformation du jugement du tribunal administratif de Rennes du 25 février 2016 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de la société Eurovia Bretagne à lui verser la somme de 19 400 euros. Elle demande également que soient mis à la charge de la société Eurovia Bretagne les dépens ainsi que la somme de 4 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête de la société Eurovia Bretagne est irrecevable ;

- sa demande reconventionnelle est recevable dès lors qu'elle n'a pas simultanément saisi le juge et émis un titre de recette, pour le recouvrement des pénalités de retard ;

- les moyens soulevés par la société Eurovia Bretagne ne sont pas fondés dès lors que le retard d'exécution des travaux lui est imputable.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Rimeu,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,

- et les observations de Me Fekri, avocat de la communauté de communes du Val d'Ille.

1. Considérant que, par un contrat signé le 1er avril 2004, la communauté de communes du Val d'Ille a confié à un groupement d'entreprises, dont la société Eurovia Bretagne était mandataire, les travaux de viabilisation de la zone artisanale de Beauséjour, sur le territoire de la commune de La Mézière ; que la maîtrise d'oeuvre de l'opération était assurée par la direction départementale de l'équipement d'Ille-et-Vilaine ; que le projet de décompte général du marché notifié à la société Eurovia Bretagne le 19 avril 2012 établissait son montant total à 961 142,90 euros HT avec un solde négatif de 19 400 euros à la charge du titulaire du marché ; qu'après un mémoire en réclamation demeuré sans effet, la société Eurovia Bretagne a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à ce que le montant du décompte soit fixé à la somme de 1 100 506,72 euros HT et à ce que la communauté de communes du Val d'Ille soit condamnée à lui verser la somme totale de 120 526,75 euros HT au titre du solde du marché ; que la communauté de communes du Val d'Ille a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la société Eurovia Bretagne à lui verser la somme de 19 400 euros, correspondant à des pénalités pour retard dans la remise des documents des ouvrages exécutés, au titre du solde du marché ; que, par jugement du 25 février 2016, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de la société Eurovia Bretagne et celle de la communauté de communes du Val d'Ille ; que la société Eurovia Bretagne relève appel de ce jugement ; que la communauté de communes du Val d'Ille, par la voie de l'appel incident, reprend ses conclusions tendant à la condamnation de la société Eurovia Bretagne à lui verser 19 400 euros ;

Sur la recevabilité de la demande reconventionnelle de première instance de la communauté de communes du Val d'Ille :

2. Considérant que si une collectivité publique, qui peut émettre des titres exécutoires à l'encontre de ses débiteurs, ne peut saisir directement le juge d'une demande tendant au recouvrement de ses créances, cette règle ne trouve toutefois pas à s'appliquer lorsque l'action engagée par la collectivité publique a pour objet d'obtenir le paiement de créances qui trouvent leur origine dans un contrat ; qu'en l'espèce, si la communauté de communes du Val d'Ille a émis à l'encontre de la société Eurovia Bretagne, le 18 janvier 2011, soit avant la procédure d'établissement du décompte, un titre exécutoire d'un montant de 19 400 euros pour le recouvrement des pénalités de retard qu'elle estimait lui être dues en application du contrat signé le 1er avril 2004, ce titre exécutoire a été retiré et la société Eurovia Bretagne s'est désistée de l'instance qu'elle avait introduit à l'encontre de ce titre devant le tribunal administratif de Rennes ; que le maître d'ouvrage a ensuite, comme il lui appartenait de le faire, intégré ces pénalités de retard, auxquelles il n'a jamais entendu renoncer, dans le décompte général du marché ; que ce décompte, contesté dans la présente instance par la société Eurovia Bretagne, fait apparaître un solde en faveur de la communauté de communes de 19 400 euros correspondant au montant de ces pénalités de retard ; qu'il est constant que le maître d'ouvrage n'a pas émis de nouveau titre exécutoire pour recouvrer le solde du marché ; que, par suite, il était recevable, dans le cadre du litige introduit par la société Eurovia Bretagne pour contester le solde du marché, à présenter des conclusions reconventionnelles tendant au paiement dudit solde ;

3. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le jugement du tribunal administratif de Rennes du 25 février 2016 doit, en tant qu'il rejette comme irrecevables les conclusions reconventionnelles de la communauté de communes du Val d'Ille, être annulé ; que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer par le présent arrêt sur ces conclusions reconventionnelles ;

Sur le décompte général du marché, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des demandes de première instance :

4. Considérant, d'une part, que les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en oeuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics ;

5. Considérant que si des problèmes de croisement de véhicules poids-lourds en sortie du giratoire se sont révélés après la mise en service de celui-ci et ont nécessité des travaux modificatifs, il ne résulte pas de l'instruction que le défaut de conception révélé par ces difficultés aurait pour origine une faute du maître d'ouvrage dans la définition de ses besoins ; que si trois ajournements ont été décidés par le maître d'ouvrage en 2007, lors de la seconde phase des travaux, celui intervenu entre le 20 juillet et le 3 septembre 2007 est dû à des difficultés d'approvisionnement et à l'indisponibilité de certains équipements de la société requérante et les deux autres, liés à l'intervention d'entreprises tierces, ne révèlent pas une faute du maître d'ouvrage dans ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché ; qu'enfin, la prolongation du chantier jusqu'en avril 2008 est également due pour partie à des retards d'exécution de la société Eurovia Bretagne ; que dans ces conditions, la requérante, qui au demeurant n'établit pas la réalité des sujétions imprévues et autres " pertes d'industrie " qu'elle dit avoir supportées, n'est pas fondée à soutenir que les retards du chantier seraient dus à une faute du maître de l'ouvrage ; qu'elle n'établit pas davantage que ces retards auraient eu pour effet de bouleverser l'économie de son contrat ;

6. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 3-3.1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché : " Les prix sont fermes actualisables suivant les modalités fixées aux articles 3-3.3 et 3-3.4. " et qu'aux termes de l'article 10.41 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché en vertu de l'article 2 du CCAP : " Les prix sont réputés fermes sauf si le marché prévoit qu'ils sont révisables. " ; qu'il suit de là que la société Eurovia Bretagne, qui ne peut utilement invoquer ni le code des marchés publics de 2006 ni une instruction ministérielle de janvier 2005, postérieures à la signature du contrat intervenue le 1er avril 2004, ne peut être fondée à demander la révision du prix du marché ;

7. Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article 4-4.2 du CCAP : " En cas de retard dans la fourniture des documents telle qu'elle est prévue à l'article 9-5, le titulaire encourt, sans mise en demeure préalable par dérogation à l'article 49.1 du CCAG, une pénalité journalière fixée à 100 euros. " et qu'aux termes de l'article 9-5 du même cahier : " Le titulaire remet au maître d'oeuvre (...), au plus tard le jour des opérations préalables à la réception : / - le Dossier des Ouvrages Exécutés (DOE) ;/- les notices de fonctionnement et d'entretien des ouvrages établies conformément aux prescriptions et recommandations des normes françaises en vigueur ; - les plans et autres documents conformes à l'exécution, pliés au format normalisé A 4. " ;

8. Considérant qu'il est constant que la société Eurovia Bretagne a remis les documents prévus par l'article 9-5 précité du CCAP, et notamment les plans de récolements " eaux usées " (EU) et " eaux pluviales " (EP), non pas le jour des opérations préalables à la réception, qui se sont déroulées le 16 juillet 2009, mais seulement le 26 janvier 2010, soit avec 194 jours de retard ; qu'il suit de là que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le décompte du marché retient à son débit un montant de pénalités de 19 400 euros ;

9. Considérant qu'il résulte des points 4 à 8 ci-dessus que le montant du marché s'établit à la somme totale de 980 542,90 euros HT, soit 1 172 729,31 euros TTC, et son solde à la somme de 19 400 euros au débit de la société Eurovia Bretagne ; qu'il suit de là que la société Eurovia Bretagne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 25 janvier 2016, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la communauté de communes du Val d'Ille à lui verser la somme totale de 120 526,75 euros HT ;

Sur les conclusions reconventionnelles de la communauté de communes du Val d'Ille :

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la communauté de communes du Val d'Ille est fondée à demander la condamnation de la société Eurovia Bretagne à lui verser la somme de 19 400 euros au titre du solde du marché signé le 1er avril 2004 ;

Sur les dépens :

11. Considérant que la présente instance ne comporte aucun dépens ; que par suite, les conclusions de la communauté de communes du Val d'Ille tendant à la condamnation de la société Eurovia Bretagne aux dépens ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la communauté de communes du Val d'Ille, qui n'est pas la partie perdante, verse à la société Eurovia Bretagne la somme que celle-ci demande au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

13. Considérant qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Eurovia Bretagne une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la communauté de communes du Val d'Ille, en application de ces mêmes dispositions ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Eurovia Bretagne est rejetée.

Article 2 : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 3 : La société Eurovia Bretagne est condamnée à verser à la communauté de communes du Val d'Ille la somme de 19 400 euros au titre du solde du marché signé le 1er avril 2004 pour des travaux de viabilisation de la zone artisanale de Beauséjour.

Article 4 : La société Eurovia Bretagne versera à la communauté de communes du Val d'Ille la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eurovia Bretagne et à la communauté de communes du Val d'Ille.

Délibéré après l'audience du 13 mars 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Rimeu, premier conseiller,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.

Lu en audience publique le 30 mars 2018.

Le rapporteur,

S. RimeuLe président,

L. Lainé

Le greffier,

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au préfet d'Ille-et-Vilaine en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16NT01236


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT01236
Date de la décision : 30/03/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Sophie RIMEU
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : CABINET ACTB

Origine de la décision
Date de l'import : 07/08/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-03-30;16nt01236 ?
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