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06/10/2017 | FRANCE | N°16NT03735

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 06 octobre 2017, 16NT03735


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fédération de la libre pensée de Vendée a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle le président du conseil général de la Vendée a rejeté sa demande tendant à ce qu'aucune crèche de la nativité ne soit installée dans les locaux ouverts au public de l'hôtel du département.

Par un jugement n° 1211647 du 14 novembre 2014, le tribunal administratif de Nantes a fait droit à sa demande et a annulé cette décision.

Par un arrêt n° 14NT03

400 du 13 octobre 2015, la cour administrative d'appel de Nantes, saisie par le département de la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fédération de la libre pensée de Vendée a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle le président du conseil général de la Vendée a rejeté sa demande tendant à ce qu'aucune crèche de la nativité ne soit installée dans les locaux ouverts au public de l'hôtel du département.

Par un jugement n° 1211647 du 14 novembre 2014, le tribunal administratif de Nantes a fait droit à sa demande et a annulé cette décision.

Par un arrêt n° 14NT03400 du 13 octobre 2015, la cour administrative d'appel de Nantes, saisie par le département de la Vendée, a annulé ce jugement du 14 novembre 2014 du tribunal administratif de Nantes.

Par une décision n°395223 du 9 novembre 2016 le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par la Fédération de la libre pensée, a annulé cet arrêt du 13 octobre 2015 et renvoyé l'affaire devant la cour.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 24 décembre 2014 et 6 avril 2017 le département de la Vendée, représenté par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 14 novembre 2014 ;

2°) de rejeter la demande présentée devant ce tribunal par la Fédération de la libre pensée de Vendée ;

3°) de mettre à la charge de la Fédération de la libre pensée de Vendée la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la crèche n'est installée, de façon provisoire, que pour la période des fêtes de Noël et a le caractère d'une exposition provisoire, à vocation culturelle et/ou artistique, sans connotation religieuse, dans le respect du calendrier républicain ;

- elle ne constitue pas par nature un emblème religieux, au sens de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 ;

- Noël est fêté par tous les Français ;

- la jurisprudence admet que les manifestations religieuses, qui ne troublent pas l'ordre public, correspondant à des traditions locales et populaires, n'enfreignent pas la loi de 1905, comme c'est le cas de la crèche installée dans le hall du conseil général de Vendée.

- l'existence d'une crèche dans l'hôtel du département de Vendée, qui est installée depuis que ce bâtiment a été réalisé, soit depuis 1987, correspond à un usage local ; le Conseil d'Etat a jugé que l'existence d'un usage local ne devait pas nécessairement s'entendre d'un usage continu et interrompu depuis la loi de 1905 ; si cette crèche est montrée à Noël, c'est que la République a choisi de maintenir la fête de Noël à son calendrier ; la crèche est donc d'emblée une leçon d'histoire ; la fête de Noël est devenue la fête familiale par excellence.

Par des mémoires enregistrés les 31 mars 2015 et 22 décembre 2016 la Fédération de la libre pensée de Vendée, représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête, à la suppression des mots suivants figurant dans la requête : " tout en rappelant aux Ayatollahs de la " libre pensée " les limites de leur intransigeance ", enfin à ce que soit mise à la charge du département de la Vendée la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens présentés par le département de la Vendée ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet,

- les conclusions de M. Durup De Baleine, rapporteur public,

- les observations de MeA..., représentant le département de la Vendée, et de Me B..., représentant la Fédération de la libre pensée de Vendée.

La Fédération de la libre pensée de Vendée a produit le 29 septembre 2017 une note en délibéré.

Le département de la Vendée a produit le 2 octobre 2017 une note en délibéré.

1. Considérant que, par une lettre du 3 septembre 2012, le président de la Fédération de la libre pensée de Vendée a demandé au président du conseil général de la Vendée de s'abstenir de procéder à l'installation de tout élément de culte que ce soit, notamment d'une crèche, dans les locaux du conseil général ; qu'une crèche ayant néanmoins été mise en place dans le hall de l'hôtel du département pendant la période de Noël 2012, la Fédération de la libre pensée de Vendée a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir la décision du président du conseil général de la Vendée de procéder à cette installation ; que le département de la Vendée relève appel du jugement du 14 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Nantes a fait droit à cette demande et a annulé la décision contestée ;

2. Considérant qu'aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. " ; que la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat crée, pour les personnes publiques, des obligations, en leur imposant notamment, d'une part, d'assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes, d'autre part, de veiller à la neutralité des agents publics et des services publics à l'égard des cultes, en particulier en n'en reconnaissant ni n'en subventionnant aucun ; qu'ainsi, aux termes de l'article 1er de cette loi : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public " et, aux termes de son article 2 : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. " ; que, pour la mise en oeuvre de ces principes, l'article 28 de cette même loi précise que : " Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions " ; que ces dernières dispositions, qui ont pour objet d'assurer la neutralité des personnes publiques à l'égard des cultes, s'opposent à l'installation par celles-ci, dans un emplacement public, d'un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d'un culte ou marquant une préférence religieuse ; qu'elles ménagent néanmoins des exceptions à cette interdiction ; qu'ainsi, est notamment réservée la possibilité pour les personnes publiques d'apposer de tels signes ou emblèmes dans un emplacement public à titre d'exposition ; qu'en outre, en prévoyant que l'interdiction qu'il a édictée ne s'appliquerait que pour l'avenir, le législateur a préservé les signes et emblèmes religieux existants à la date de l'entrée en vigueur de la loi ;

3. Considérant qu'une crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations ; qu'il s'agit en effet d'une scène qui fait partie de l'iconographie chrétienne et qui, par là, présente un caractère religieux, mais aussi d'un élément faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les fêtes de fin d'année ; qu'eu égard à cette pluralité de significations, l'installation d'une crèche de Noël, à titre temporaire, à l'initiative d'une personne publique, dans un emplacement public, n'est légalement possible que lorsqu'elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d'un culte ou marquer une préférence religieuse ; que pour porter cette dernière appréciation, il y a lieu de tenir compte non seulement du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l'existence ou de l'absence d'usages locaux, mais aussi du lieu de cette installation ; qu'à cet égard, la situation est différente, selon qu'il s'agit d'un bâtiment public, siège d'une collectivité publique ou d'un service public, ou d'un autre emplacement public ; que dans l'enceinte des bâtiments publics, sièges d'une collectivité publique ou d'un service public, le fait pour une personne publique de procéder à l'installation d'une crèche de Noël ne peut, en l'absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, être regardé comme conforme aux exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques ; qu'à l'inverse, dans les autres emplacements publics, eu égard au caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d'année notamment sur la voie publique, l'installation à cette occasion d'une crèche de Noël par une personne publique est possible, dès lors qu'elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d'une opinion religieuse ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier que la crèche en litige est, depuis l'achèvement de cet immeuble, et plus précisément depuis décembre 1990, installée chaque année, durant la période de Noël, dans le hall de l'hôtel du département de la Vendée, soit depuis plus de 20 ans à la date de la décision contestée ; qu'elle est mise en place au début du mois de décembre et est retirée aux environs du 10 janvier, dates qui sont exemptes de toute tradition ou référence religieuse, et que son installation est dépourvue de tout formalisme susceptible de manifester un quelconque prosélytisme religieux ; que cette crèche de 3 mètres sur 2 mètres est située dans un hall d'une superficie de 1000 m² ouvert à tous les publics et accueillant, notamment, les manifestations et célébrations laïques liées à la fête de Noël, en particulier l'Arbre de Noël des enfants des personnels départementaux et celui des enfants de la DDASS ; que, dans ces conditions particulières, son installation temporaire, qui résulte d'un usage culturel local et d'une tradition festive, n'est pas contraire aux exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques et ne méconnaît pas les dispositions de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée à la demande de première instance, que le département de la Vendée est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du président de son conseil général d'installer en décembre 2012 une crèche dans le hall de l'hôtel du département ;

Sur les conclusions tendant à la suppression de passages injurieux ou diffamatoires dans les écritures du département de la Vendée :

6. Considérant que, contrairement à ce que soutient la Fédération de la libre pensée de Vendée, les termes du mémoire présenté pour le département de la Vendée, qualifiant ses représentants d'" ayatollahs de la libre pensée ", pour regrettables qu'ils soient, n'excèdent pas les limites de la controverse entre parties dans le cadre d'une procédure contentieuse ; que, dès lors, il n'y a pas lieu d'en prononcer la suppression par application des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant qu'en vertu de ces dispositions, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la Fédération de la libre pensée de Vendée doivent, dès lors, être rejetées ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière le versement au département de la Vendée de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1211647 du tribunal administratif de Nantes du 14 novembre 2014 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la Fédération de la libre pensée de Vendée devant le tribunal administratif de Nantes et les conclusions présentées par elle en appel sont rejetées.

Article 3 : La Fédération de la libre pensée de Vendée versera au département de la Vendée la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Vendée et à la Fédération de la libre pensée de Vendée.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2017, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Le Bris, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 6 octobre 2017.

Le rapporteur,

O. CoiffetLe président,

I. Perrot

Le greffier,

M. C...

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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16NT03735


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT03735
Date de la décision : 06/10/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Collectivités territoriales - Dispositions générales - Biens des collectivités territoriales - Régime juridique des biens.

Collectivités territoriales - Département - Gestion des services publics.

Droits civils et individuels - Libertés publiques et libertés de la personne - Liberté des cultes.


Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. DURUP de BALEINE
Avocat(s) : CABINET VARAUT

Origine de la décision
Date de l'import : 17/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2017-10-06;16nt03735 ?
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