Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Selarl de mandataires judiciaires Villa ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Gibert Clarey Rotatives a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'Etat sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative à lui verser une provision de 1 863 788,41 euros en réparation des préjudices résultant de l'illégalité des autorisations de licenciement délivrées par l'inspecteur du travail le 26 juillet 2011.
Par une ordonnance n° 1601762 du 15 décembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 décembre 2016, la Selarl de mandataires judiciaires Villa ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Gibert Clarey Rotatives, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du tribunal administratif d'Orléans du 15 décembre 2016 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 863 788,41 euros à titre de provision ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité de l'Etat est engagée dès lors que l'inspecteur du travail devait rejeter les demandes de licenciement si elles étaient entachées d'un vice de procédure or il a accordé les autorisations sollicitées alors même qu'il savait qu'elles étaient entachées de vices substantiels de procédure ;
- l'inspecteur du travail a manqué au devoir de probité auquel il est tenu en vertu de l'article 15-a de la convention n° 81 en permettant aux salariés de bénéficier de dommages et intérêts au-delà de leurs droits communs ;
- le préjudice invoqué présente un lien de causalité direct et exclusif avec la faute commise par l'inspecteur du travail dès lors qu'elle a été privée de la possibilité de reprendre la procédure ce qui aurait permis d'éviter en totalité le préjudice et a été contrainte de procéder aux licenciements ;
- le conseil de prud'hommes a fixé la créance des salariés protégés à 366 563,85 euros et celle des salariés non protégés à 1 497 224,56 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2017, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la Selarl de mandataires judiciaires Villa ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Gibert Clarey Rotatives ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de Mme Piltant, rapporteur public.
- et les observations de MeB..., substituant MeC..., représentant la Selarl de mandataires judiciaires Villa ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Gibert Clarey Rotatives.
1. Considérant que par un jugement du 18 mai 2011, le tribunal de commerce de Tours a prononcé la liquidation de la société Gibert Clarey Rotatives avec une poursuite exceptionnelle de son activité jusqu'au 30 juin 2011, date à laquelle elle a effectivement cessé toute activité ; que le 11 juillet 2011, la Selarl de mandataires judiciaires Villa, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Gibert Clarey Rotatives, a sollicité auprès de l'inspecteur du travail les autorisations de licenciement pour motif économique des 14 salariés protégés de la société ; que le 26 juillet 2011, l'inspecteur du travail a autorisé ces licenciements ; que ces décisions ont été contestées devant le tribunal administratif d'Orléans par les salariés concernés ; que sans attendre le jugement du tribunal administratif, l'inspecteur du travail a décidé, le 18 novembre 2011, d'annuler ses décisions du 26 juillet 2011 et de refuser les licenciements en cause en raison des vices substantiels commis par l'employeur ou son liquidateur judiciaire au cours de la procédure ; que par des jugements distincts du 11 juillet 2012, le tribunal administratif d'Orléans a annulé les décisions des 26 juillet 2011 mais a rejeté les demandes du liquidateur judiciaire tendant à l'annulation des décisions du 18 novembre 2011 ; que l'ensemble de ces jugements ont été confirmés en appel le 26 septembre 2013 ; que le 23 juillet 2014, les pourvois dirigés contre ces arrêts n'ont pas été admis par le Conseil d'Etat ; que le 13 juillet 2012, 13 salariés protégés et 72 autres salariés ont saisi le conseil de prud'hommes de Tours aux fins de voir inscrire au passif de la liquidation judiciaire de la société Gibert diverses indemnités ; que par deux jugements du 12 octobre 2015, le conseil de prud'hommes de Tours a fixé les créances des salariés à l'égard de la liquidation à la somme globale de 1 863 788,41 euros ; que le liquidateur judiciaire, qui a procédé à l'exécution provisoire de droit pour les créances salariales, a fait appel de ce jugement ; que le 1er février 2016, la Selarl de mandataires judiciaires Villa ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Gibert Clarey Rotatives a présenté une réclamation préalable auprès du ministre chargé du travail, laquelle est restée sans réponse ; que le 31 mai 2016, elle a saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision de 1 863 788,41 euros ; qu'elle relève appel de l'ordonnance du 15 décembre 2016 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. " ;
3. Considérant d'une part, qu'aux termes de l'article L. 1232-2 du code du travail : " L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. / La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation. / L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation. " ; que dans ses arrêts rendus le 26 septembre 2013 devenus définitifs, la présente cour a jugé que ces dispositions n'avaient pas été respectées par l'employeur et que compte tenu de cette irrégularité, qu'il avait d'ailleurs constatée, l'inspecteur du travail de la 4ème section d'inspection d'Indre-et-Loire était tenu de refuser les autorisations de licenciement sollicitées et que dès lors les décisions du 26 juillet 2011 étaient entachées d'illégalité ; que le cour a en revanche estimé que la même autorité avait compétence liée pour procéder au retrait de ces décisions et au refus de cette autorisation et que, par voie de conséquence, les décisions du 18 novembre 2011 étaient légales ;
4. Considérant qu'en application des dispositions du code du travail, le licenciement d'un salarié protégé ne peut intervenir que sur autorisation de l'autorité administrative ; que l'illégalité de la décision autorisant un tel licenciement, à supposer même qu'elle soit imputable à une simple erreur d'appréciation de l'autorité administrative, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique quelle que puisse être par ailleurs la responsabilité encourue par l'employeur ; que ce dernier est en droit d'obtenir la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice direct et certain résultant pour lui de cette décision illégale ; qu'il suit de là que la responsabilité de l'Etat est engagée à raison de l'illégalité des décisions du 26 juillet 2011 ;
5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 2422-4 du code du travail : " Lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. / L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. / Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire. " ;
6. Considérant que par deux jugements du 12 octobre 2015 du conseil de prud'hommes de Tours, la Selarl de mandataires judiciaires Villa, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Gibert Clarey Rotatives, a été condamnée à verser aux salariés, protégés ou non, diverses indemnités dont le montant global a été fixé à 1 863 788,41 euros ; que les indemnités allouées aux salariés non protégés, dont les licenciements n'étaient pas soumis à autorisation de l'inspecteur du travail, ne peuvent être mises à la charge de l'Etat ; que par ailleurs, les indemnités versées aux salariés protégés pour irrégularité de la procédure au regard des articles L. 1232-2 et L. 1235-15 du code du travail, les indemnités pour non respect de l'obligation de reclassement et les indemnités versées pour rupture illicite du contrat de travail et celles perçues au titre de l'article 700 du code de procédure civile, qui résultent des fautes commises par l'employeur, ou son mandataire, lors de la procédure de licenciement ne sont pas davantage imputables à une faute de l'Etat ; que les indemnités compensatrices de préavis et les indemnités de congés payés sur préavis résultent de l'application des dispositions légales et conventionnelles relatives à la rupture du contrat de travail qui s'imposaient à la société dès lors qu'elle avait cessé définitivement toute activité et que son liquidateur judiciaire avait engagé la procédure de licenciements pour motif économique de ses salariés ; qu'elles ne présentent dès lors aucun lien avec la faute commise par l'Etat en accordant illégalement les autorisations de licenciement le 26 juillet 2011 ; qu'en revanche, les indemnités allouées aux salariés protégés par le conseil des prud'hommes au titre de l'article L. 2422-4 du code du travail, dont le montant global, au demeurant confirmé par la chambre sociale de la cour d'appel d'Orléans, s'élève à 21 237,48 euros, résultent directement de l'illégalité des décisions du 26 juillet 2011 ; que par suite, la Selarl de mandataires judiciaires Villa ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Gibert Clarey Rotatives doit être regardée comme établissant à l'égard de l'Etat l'existence d'une obligation non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative à hauteur d'une somme limitée à 21 237,48 euros ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que la Selarl de mandataires judiciaires Villa ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Gibert Clarey Rotatives n'est fondée que dans la limite mentionnée ci-dessus à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la Selarl de mandataires judiciaires Villa, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Gibert Clarey Rotatives, de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'Etat versera la somme de 21 237,48 euros à titre de provision à la Selarl de mandataires judiciaires Villa, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Gibert Clarey Rotatives.
Article 2 : L'ordonnance n° 1601762 du juge des référés du tribunal administratif d'Orléans en date du 15 décembre 2016 est réformée en ce qu'elle a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la Selarl de mandataires judiciaires Villa, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Gibert Clarey Rotatives, est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Selarl de mandataires judiciaires Villa, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Gibert Clarey Rotatives et au ministre du travail.
Une copie sera adressée au ministre des solidarités et de la santé.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Gélard, premier conseiller,
- M.A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 septembre 2017.
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°16NT04152