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06/07/2017 | FRANCE | N°16NT00823

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 06 juillet 2017, 16NT00823


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Marché de Gros Caennais a, par une requête n°1501432, demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la commune de Caen à lui payer la somme de 376 082 euros, assortie d'intérêts au taux légal majorés de cinq points dans les deux mois du prononcé de la décision à intervenir en cas de carence, et par une requête n°1501431 elle a demandé la condamnation de la commune de Caen à lui verser une provision de ce même montant sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du c

ode de justice administrative.

Par un jugement n° 1501431, 1501432 du 29 décembr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Marché de Gros Caennais a, par une requête n°1501432, demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la commune de Caen à lui payer la somme de 376 082 euros, assortie d'intérêts au taux légal majorés de cinq points dans les deux mois du prononcé de la décision à intervenir en cas de carence, et par une requête n°1501431 elle a demandé la condamnation de la commune de Caen à lui verser une provision de ce même montant sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1501431, 1501432 du 29 décembre 2015, le tribunal administratif de Caen a condamné la commune de Caen à verser à la société Marché de Gros Caennais la somme de 42 022 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er mars et 28 mars 2017, la société Marché de Gros Caennais, représentée par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 29 décembre 2015 ;

2°) d'annuler le refus de la commune de Caen de lui verser l'indemnité de 376 082 euros ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Caen la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- ses demandes indemnitaires sont recevables devant la cour administrative d'appel ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que les locaux objet des baux étaient situés sur le domaine public ; les deux conditions cumulatives de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques ne sont pas satisfaites : en l'absence d'affectation à un service public et d'aménagements en vue d'une telle affectation ;

- la succession des baux commerciaux consentis depuis 2003, relatifs aux mêmes fonds de commerce et aux mêmes locaux, est prohibée par l'article L. 145-5 du code de commerce ; les contrats sont dépourvus d'une clause claire par laquelle la société Marché de Gros Caennais aurait expressément renoncé au statut protecteur des baux commerciaux ; la dérogation par application de l'article L. 145-5 du code de commerce, résulte d'actes unilatéraux successifs à compter du 7 juin 2005, qui n'ont pu faire obstacle à l'acquisition de la propriété commerciale ; la dérogation ne saurait résulter de la seule limitation des baux à une durée de deux ans ; la dérogation est irrégulière après une occupation de longue durée ;

- la double facturation d'un loyer pour le bâtiment Foissier depuis 2003 lui ouvre droit à une indemnisation de 113 082 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juin 2016, la commune de Caen, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de la société Marché de Gros Caennais la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société Marché de Gros Caennais n'a pas réitéré ses demandes d'indemnisation en appel ;

- l'appartenance des locaux au domaine public est incontestable : si l'activité de service public avait été supprimée par délibération du 2 juin 2003, il restait les aménagements spéciaux pour l'exercice de cette activité (entrepôts) et donc seul le déclassement, intervenu le 15 décembre 2014, a fait sortir l'ensemble immobilier du domaine public ;

- la domanialité publique exclut l'application de la législation sur les baux commerciaux ; la ville de Caen n'a pas commis de faute en laissant croire à la conclusion de tels baux dès lors que le preneur a expressément renoncé au statut des baux commerciaux ;

- les créances dues à la double facturation du loyer du bâtiment Foissier sont prescrites pour celles antérieures au 1er janvier 2011 ; en tout état de cause, la société requérante avait consenti des sous-locations à titre onéreux, en méconnaissance des stipulations contractuelles, qui auraient justifié une majoration par la ville de l'indemnité d'occupation en application de l'article L. 2125-3 du code général des collectivités territoriales.

Par ordonnance du 28 février 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 28 mars 2017.

Un mémoire produit pour la commune de Caen a été enregistré le 16 juin 2017 et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code civil ;

- le code monétaire et financier ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Loirat,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public.

1. Considérant qu'en 1941, la ville de Caen a créé un marché couvert de fruits et légumes quai de la Londe, devenu par la suite le " Marché de Gros " de la commune, qui a été transféré rue de Cardiff en 1967 ; que par une délibération du 2 juin 2003 la ville a mis fin à ce service public, le déclassement du domaine public communal n'étant toutefois intervenu que par une délibération du 15 décembre 2014 ; qu'à compter de 1989, la société Marché de Gros Caennais a conclu avec la ville de Caen des contrats d'affermage ayant pour objet l'exploitation de l'ensemble immobilier dénommé " Marché de Gros ", situé rue de Cardiff et comprenant la halle centrale, la halle annexe, le carreau des maraîchers, le bâtiment dit " Foissier " et les bâtiments annexes à usage de bureau, de cafétéria et de sanitaires ; qu'à partir de 2003 et jusqu'au dernier bail, signé le 1er février 2013, ces contrats ont été qualifiés de " baux commerciaux " dérogatoires au droit commun des baux commerciaux et successivement conclus pour une durée de 23 mois ; que par lettre du 1er avril 2015, la société Marché de Gros Caennais a demandé à la ville de Caen une indemnité de 376 082 euros, comprenant une indemnité d'éviction de 213 000 euros en application des dispositions de l'article L. 145-14 du code de commerce, un préjudice commercial de 50 000 euros au motif " d'un refus abusif de renouvellement du bail commercial " et l'indemnisation de la double facturation du loyer pour l'occupation du bâtiment Foissier depuis 2003 pour un montant de 113 082 euros ; que le maire de Caen a rejeté cette demande par décision du 7 mai 2015 ; que la société Marché de Gros Caennais relève appel du jugement du 29 décembre 2015 en tant que le tribunal administratif de Caen n'a fait droit à ses prétentions qu'à hauteur d'une somme de 42 022 euros au titre de la facturation de loyers indus pour la période non prescrite postérieure au 1er janvier 2011 et a rejeté le surplus de sa demande ;

2. Considérant, en premier lieu, que pour apprécier l'appartenance d'une dépendance au domaine public il revient au juge administratif de rechercher si cette dépendance a été incorporée au domaine public, en vertu des règles applicables à la date de l'incorporation, et, si tel est le cas, de vérifier en outre qu'aucune disposition législative ou aucune décision prise par l'autorité compétente n'a depuis lors procédé à son déclassement ; qu'en l'espèce, l'installation du marché de gros de la ville de Caen sur une emprise foncière de 20 000 mètres carrés située rue de Cardiff et son incorporation au domaine public communal sont intervenues au cours de l'année 1967 et la société Marché de Gros Caennais ne peut dès lors, pour contester l'appartenance de cet ensemble immobilier au domaine public entre 2003 et 2014, se prévaloir utilement des dispositions de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, entrées en vigueur le 1er juillet 2006 ; que, hormis le cas où il est directement affecté à l'usage du public, l'appartenance au domaine public d'un bien était, avant l'entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques, subordonnée à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné ; que l'ensemble immobilier de la rue de Cardiff, dont il est constant que l'accès était réservé aux professionnels, comprenait des constructions à usage de halles et d'entrepôts et leurs locaux accessoires, affectés au service public communal de marché de gros de la ville de Caen et, par suite, appartenait au domaine public de la commune jusqu'à son déclassement, prononcé par la délibération du conseil municipal du 15 décembre 2014, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que, depuis la délibération du conseil municipal du 2 juin 2003, l'exploitation de ce marché de gros ne constituait plus un service public communal ; qu'il suit de là que la société Marché de Gros Caennais n'est pas fondée à soutenir que les contrats successifs qu'elle a conclus avec la ville de Caen à partir de l'année 2003 portaient sur des biens relevant du domaine privé de la commune ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 145-5 du code de commerce : " Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que le bail soit conclu pour une durée au plus égale à deux ans. / Si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre. / Il en est de même en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local... " ; que la société Marché de Gros Caennais soutient que compte tenu de la succession de contrats de courte durée, dérogatoires à la durée habituelle d'un bail commercial, sur une durée prolongée de onze années et demie et de l'absence dans ces contrats de clause claire exprimant son renoncement à l'application de la législation sur les baux commerciaux, à laquelle ne pouvaient régulièrement suppléer les actes unilatéraux successifs signés à compter du 7 juin 2005 pour lui faire admettre le maintien du caractère dérogatoire de son bail, elle devrait être regardée, en application des dispositions précitées, comme titulaire d'un bail commercial et bénéficier des droits en résultant ;

4. Considérant, toutefois, qu'en raison du caractère précaire et personnel des titres d'occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d'un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public ; que, par suite, la société Marché du Gros Caennais ne peut utilement se prévaloir d'une méconnaissance de la législation relative aux baux commerciaux et les contrats conclus à partir de 2003 permettant l'occupation par la société requérante de l'ensemble immobilier de la rue de Cardiff ne sont, en tout état de cause, susceptibles d'aucune requalification en baux commerciaux, avant son déclassement du domaine public intervenu en décembre 2014 après que la ville de Caen a signifié à la requérante sa décision irrévocable de non-renouvellement du contrat ; qu'en outre, dès lors que les contrats successifs mentionnaient que " la location est consentie et acceptée dans les conditions prévues par l'article 3.2 du décret du 30 septembre 1953 (article L. 145-5 du code de commerce) dérogeant aux dispositions de ce décret " et qu'à compter du contrat conclu en 2005, la commune a au surplus soumis à la signature de son cocontractant un engagement à déroger au statut des baux commerciaux, l'autorité gestionnaire du domaine public n'a pas laissé croire à l'exploitant d'un bien situé sur le domaine public qu'il bénéficierait des garanties prévues par cette législation ; qu'elle n'a dès lors pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité ;

5. Considérant, en troisième et dernier lieu, que la société Marché de Gros Caennais réitère sa demande d'indemnisation d'un montant de 113 082 euros correspondant à la facturation indue d'un loyer pour l'occupation du bâtiment " Foissier de 2003 à 2014 " ; que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen, accueillant l'exception de prescription quadriennale soulevée par la ville de Caen en application des dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, n'a fait droit à cette demande qu'en tant qu'elle porte sur les créances postérieures au 1er janvier 2011, non prescrites, d'un montant de 42 022 euros ; que ses écritures ne comportant aucune argumentation à l'appui de la contestation de cette prescription, les conclusions de la société Marché de Gros Caennais sur ce point ne peuvent qu'être rejetées ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Marché de Gros Caennais n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté le surplus de sa demande ;

7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Caen, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société Marché de Gros Caennais au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Marché de Gros Caennais le versement de la somme de 1 500 euros à la commune de Caen à ce même titre ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Marché de Gros Caennais est rejetée.

Article 2 : La société Marché de Gros Caennais versera la somme de 1 500 euros à la commune de Caen en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Marché de Gros Caennais et à la commune de Caen.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Loirat, président-assesseur,

- Mme Rimeu, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 6 juillet 2017.

Le rapporteur,

C. LOIRATLe président,

L. LAINÉ

Le greffier,

M. A...

La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT00823
Date de la décision : 06/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Cécile LOIRAT
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : BONFILS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2017-07-06;16nt00823 ?
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