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21/06/2017 | FRANCE | N°16NT03326

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 21 juin 2017, 16NT03326


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 14 juin 2016 par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé d'exécuter la décision de transfert vers la Hongrie et de le placer en rétention administrative et d'enjoindre à l'administration de l'autoriser à solliciter l'asile en France et de lui délivrer un titre de séjour provisoire dans un délai de trois jours à compter de la notification du jugement à intervenir ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel

examen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 14 juin 2016 par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé d'exécuter la décision de transfert vers la Hongrie et de le placer en rétention administrative et d'enjoindre à l'administration de l'autoriser à solliciter l'asile en France et de lui délivrer un titre de séjour provisoire dans un délai de trois jours à compter de la notification du jugement à intervenir ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans cette attente.

Par un jugement n° 1602644 du 17 juin 2016 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 octobre 2016, M.A..., représenté par Me Le Bourhis demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 17 juin 2016 ;

2°) d'annuler la décision du 14 juin 2016 portant exécution de la décision de transfert vers la Hongrie et placement en rétention administrative ;

3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de l'autoriser à solliciter l'asile en France et de lui délivrer un titre de séjour provisoire dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans cette attente ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- la décision contestée est insuffisamment motivée et révèle un défaut d'examen approfondi de sa situation individuelle ;

- l'arrêté méconnaît les dispositions de de l'article 29 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013, il ne peut être considéré en fuite ;

- la décision contestée méconnaît également les dispositions de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ont été méconnues, compte tenu des défaillances systémiques de l'Etat hongrois dans le traitement des demandes d'asile et des mauvais traitements qu'il a personnellement subis dans ce pays lors de sa rétention dans le camp de Debrecen.

Une mise en demeure a été adressée le 16 novembre 2016 au préfet d'Ille-et-Vilaine, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.

Vu les pièces desquelles il résulte que la requête a été communiquée au préfet d'Ille-et-Vilaine qui n'a pas produit de mémoire en défense.

M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er septembre 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n°1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n°118/2014 du 30 janvier 2014 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code des relations entre le public et l'administration, notamment son article L. 211-2 :

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique ;

- le rapport de Mme Loirat, président-assesseur.

1. Considérant que M.A..., ressortissant togolais né en 1990, est entré irrégulièrement en France le 2 mai 2015 ; que lors de l'instruction de sa demande d'asile auprès du préfet d'Ille-et-Vilaine il a été constaté que ses empreintes digitales avaient été relevées en Hongrie ; que le préfet a saisi les autorités hongroises d'une demande de prise en charge, qui a donné lieu à un accord implicite des autorités hongroises le 28 juillet 2015 ; que, par un arrêté du 12 août 2015, le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé la remise de l'intéressé aux autorités hongroises ; que l'intéressé n'a pas déféré à cette mesure d'éloignement ; qu'une demande de prolongation du délai de transfert de M. A...vers la Hongrie a été présentée aux autorités hongroises le 19 janvier 2016 ; que ces autorités ont accepté cette prolongation jusqu'au 28 janvier 2017 ; que par une décision du 14 juin 2016, le préfet d'Ille-et-Vilaine a placé M. A...en rétention administrative pour une durée maximale de cinq jours, en vue de son transfert vers la Hongrie ; que ce dernier relève appel du jugement du 17 juin 2016 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé : " (...) / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. " ; qu'aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...)" ; qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ;

3. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que la présomption selon laquelle un État membre respecte les obligations découlant de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est renversée lorsqu'il existe de sérieuses raisons de croire qu'il existe, dans " l'État membre responsable " de la demande d'asile, au sens du règlement précité, des défaillances de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile impliquant pour ces derniers un risque d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ;

4. Considérant que la Hongrie est un Etat membre de l'Union européenne, partie à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que, quelques jours avant l'adoption par le Parlement européen, le 16 décembre 2015, d'une résolution faisant état de la situation critique des demandeurs d'asile en Hongrie, la Commission européenne a ouvert, le 10 décembre 2015, une procédure d'infraction à l'encontre de ce pays, en relevant notamment que sa procédure d'asile était incompatible sur plusieurs points avec le droit de l'Union européenne, et en particulier avec la directive n° 2013/32/UE relative aux procédures d'asile ; que la Commission européenne a ainsi relevé que les demandeurs d'asile en Hongrie ne peuvent présenter de faits et circonstances nouveaux à l'appui de leur recours, que la Hongrie n'applique pas d'effet suspensif à l'introduction des recours, contraignant les demandeurs d'asile à quitter le territoire hongrois avant l'expiration du délai de recours ou avant qu'il n'ait été statué sur ce dernier, que leur droit à l'interprétation et à la traduction est méconnu, et que la nouvelle législation hongroise sur le contrôle juridictionnel des décisions de rejet est susceptible de méconnaître le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial ; que, par ailleurs, se fondant sur les constatations faites en Hongrie à la fin du mois de novembre 2015 par le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, ledit Conseil a relevé, dans un communiqué du 13 janvier 2016, la pratique des autorités hongroises consistant à placer les demandeurs d'asile dans des centres de rétention administrative, où s'applique un régime de détention restrictif, sans réel accès à des recours effectifs contre cette détention ; qu'en outre, le haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a, dans un rapport du mois de mai 2016 portant sur les modifications législatives en Hongrie entre les mois de juillet 2015 et mars 2016, déploré la pénalisation des personnes ayant franchi la frontière hongroise sans autorisation, y compris lorsqu'elles l'ont fait pour solliciter l'asile ; que dans ces conditions, et alors au surplus que M. A...soutient, sans être contredit, avoir subi des mauvais traitements lors de sa rétention dans le camp de Debrecen, notamment des privations de soins et de nourriture, le requérant établit suffisamment qu'il existait, à la date à laquelle est intervenue la décision contestée, des motifs sérieux et avérés de croire que, s'il était effectivement remis aux autorités hongroises, il ne bénéficierait pas personnellement d'un examen de sa demande d'asile dans des conditions conformes aux garanties exigées par le respect du droit d'asile et risquerait ainsi de subir des traitements contraires à l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du préfet d'Ille-et-Vilaine du 14 juin 2016 prise à fin d'exécution de sa remise aux autorités hongroises ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ;

7. Considérant qu'eu égard à l'annulation par le présent arrêt de la décision prise pour l'exécution de la remise de M. A...aux autorités hongroises, et dès lors que le délai prolongé de dix-huit mois, prévu pour l'exécution du transfert par l'article 29 du règlement (UE) n°604/2013 susvisé, est expiré à la date du présent arrêt, la procédure de réadmission est close de sorte qu'il appartient à la France de traiter la demande d'asile du requérant ; que, par suite, le présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de délivrer à M. A...une autorisation lui permettant de séjourner provisoirement en France, durant l'examen de sa demande d'asile, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

8. Considérant que M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans la présente instance ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Le Bourhis, avocat de M.A..., de la somme de 1 500 euros au titre du 2èmè alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 17 juin 2016 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes et la décision du préfet d'Ille-et-Vilaine du 14 juin 2016 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de délivrer à M. A...une autorisation provisoire de séjour aux fins d'examen de sa demande d'asile, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Me Le Bourhis en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que cette dernière renonce à percevoir le bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 6 juin 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Loirat, président assesseur,

- Mme Rimeu, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 juin 2017.

Le rapporteur,

C. LOIRATLe président,

L. LAINÉ

Le greffier,

V. DESBOUILLONS

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°16NT03326 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT03326
Date de la décision : 21/06/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Cécile LOIRAT
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : LE BOURHIS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2017-06-21;16nt03326 ?
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