Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Cussay a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement les sociétés SAFEGE et MSE à lui verser les sommes de 75 000 euros en réparation de ses préjudices matériels directs et de 11 907 euros en réparation de ses préjudices matériels indirects, à la suite des désordres affectant sa station d'épuration.
Par un jugement n° 1403965 du 5 juin 2015, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande et mis à sa charge les frais et honoraires d'expertise.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 août 2015, suivie de la production de pièces complémentaires les 8 octobre 2015, 22 octobre 2015, 6 janvier 2016, 5 février 2016, 22 mars 2016, 12 octobre 2016, 22 mars 2017 et 6 avril 2017, la commune de Cussay, représentée par MeE..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 juin 2015 du tribunal administratif d'Orléans ;
2°) de condamner solidairement les sociétés SAFEGE et MSE à lui verser les sommes de 75 000 euros en réparation de ses préjudices matériels directs et de 11 907 euros en réparation de ses préjudices matériels indirects à la suite des désordres affectant sa station d'épuration ;
3°) de mettre à la charge solidaire des sociétés SAFEGE et MSE les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 17 643,58 euros ;
4°) de mettre à la charge solidaire des sociétés SAFEGE et MSE le versement à son profit de la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
en ce qui concerne le premier désordre :
- alors que les paramètres des effluents après traitement ne respectent pas les normes de rejet imposées par l'arrêté préfectoral du 3 juillet 2002, elle produit des éléments qui confirment également leur non-respect des normes définies par le CCTP ;
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la station d'épuration fonctionnait de manière satisfaisante ;
- à titre subsidiaire, la société SAFEGE, en sa qualité de maître d'oeuvre, était tenue à une obligation de conseil jusqu'à la réception ; sa responsabilité contractuelle de droit commun doit être engagée à son égard ;
en ce qui concerne le second désordre :
- les capacités du stockage des boues assuré par les deux décanteurs/digesteurs sont insuffisantes pour permettre de stocker les boues générées par 6 mois de fonctionnement de la station ; elle verse aux débats la fiche technique récapitulative du mois d'avril 2002 établie par la société SAFEGE, sur la base des éléments d'information recueillis auprès de la société MSE, cette dernière précisant bien au titre de la production des boues que celle-ci devait être en volume de 88 m3, ainsi qu'une note de calcul de novembre 2002 ; ces éléments démontrent que cette capacité a été regardée par l'ensemble des parties comme ayant valeur contractuelle entre elles ;
- l'expert a confirmé que les causes des désordres ne peuvent être provoquées par un défaut d'entretien ou d'exploitation de sa part ;
- à titre subsidiaire, la société SAFEGE en sa qualité de maître d'oeuvre était tenue à une obligation de conseil jusqu'à la réception ; il lui revenait d'attirer son attention sur les difficultés de stockage des boues ; sa responsabilité contractuelle de droit commun doit être engagée à son égard.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mars 2016, la société SAS MSE, représentée par Me Briand, conclut :
- au rejet de la requête ;
- à la condamnation de la commune de Cussay aux entiers dépens ;
- à ce que soit mise à la charge de la commune de Cussay la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 avril 2016, la société SAFEGE, représentée par MeA..., conclut :
- au rejet de la requête ;
- à ce que soit mise à la charge de la commune de Cussay la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions de la commune de Cussay dirigées contre la société SAFEGE au titre du manquement à son obligation de conseil, présentées pour la première fois en appel.
Une ordonnance du 29 mars 2017 a porté clôture de l'instruction au 19 avril 2017 en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Une pièce complémentaire présentée pour la commune de Cussay a été enregistrée le 27 avril 2017 après clôture de l'instruction et n'a pas été prise en compte.
Un mémoire présenté pour la société SAS MSE a été enregistré le 27 avril 2017, après clôture de l'instruction et n'a pas été pris en compte.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bouchardon ;
- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public ;
- et les observations de Me Gentilhomme, avocat de la commune de Cussay, de Me Missoffe, avocat de la société SAFEGE et de Me Briand, avocat de la société MSE.
1. Considérant que la commune de Cussay (Indre-et-Loire) a confié à la société Saunier Techna, aux droits et obligations de laquelle vient la société SAFEGE, une mission de maîtrise d'oeuvre portant sur la création d'un système d'assainissement des eaux usées, dont la réalisation a notamment été confiée à la société MSE, titulaire du lot n° 2 " station d'épuration " ; que les travaux ont fait l'objet d'une réception sans réserve par procès-verbal dressé le 16 janvier 2003, avec effet immédiat ; qu'après avoir obtenu la désignation d'un expert en raison de l'existence de désordres dans les travaux exécutés relevés dès 2006, la commune de Cussay a demandé au tribunal administratif d'Orléans la condamnation solidaire de la société SAFEGE, en sa qualité de maître d'oeuvre, et de la société MSE, en sa qualité d'entrepreneur titulaire du lot " station d'épuration ", à l'indemniser des dommages qu'elle estime avoir subis du fait de ces désordres constitués, d'une part, par la non conformité des paramètres des effluents après traitement et, d'autre part, par la capacité insuffisante de stockage des décanteurs/digesteurs ; qu'elle relève appel du jugement du 5 juin 2015 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande et mis à sa charge les frais et honoraires de l'expertise antérieurement ordonnée en référé ;
Sur la responsabilité décennale des constructeurs :
2. Considérant qu'il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans ;
En ce qui concerne la non conformité des paramètres des effluents après traitement :
3. Considérant que le rapport d'expertise du 3 juillet 2013 fait état de ce que les mesures effectuées sur les rejets des effluents dépassent les normes fixées par l'arrêté préfectoral du 3 juillet 2002 portant prescriptions pour une installation classée pour la protection de l'environnement soumise à déclaration ; que, par ailleurs, les rapports du syndicat mixte d'assistance technique pour l'épuration et le suivi des eaux du département d'Indre-et-Loire (SATE 37) portant sur les années 2007 à 2010 relèvent que " la qualité du rejet est mauvaise et ne correspond pas à ce que l'on peut attendre de ce type de station. (...) l'ensemble des paramètres ne respecte pas les normes de rejet de l'arrêté préfectoral (...), alors [que la station] se situe aux 3/4 de sa capacité organique nominale " ; que ces désordres doivent être regardés comme rendant l'installation impropre à sa destination ; que, dès lors, ils sont de nature à engager la responsabilité décennale de la société SAFEGE qui, en sa qualité de maître d'oeuvre, a établi le dossier de déclaration et indiqué les performances de l'installation au vu desquelles l'arrêté préfectoral du 3 juillet 2002 a été établi ; que la responsabilité de la société MSE, en sa qualité d'entrepreneur, doit en revanche être écartée dès lors qu'elle s'est bornée à dimensionner l'installation en cause selon les exigences contractuelles ;
4. Considérant que le montant du préjudice dont le maître d'ouvrage est fondé à demander la réparation à un constructeur à raison des désordres affectant l'ouvrage qu'il a réalisé correspond aux frais qu'il doit engager pour les travaux de réfection ; qu'il résulte du rapport d'expertise précité que le désordre dont s'agit peut être réparé par l'installation de deux modules de biodisques supplémentaires d'une surface développée de 1040 m2 pour un coût évalué à 39 000 euros HT ; qu'il y a lieu de condamner la société SAFEGE à verser à la commune de Cussay cette somme de 39 000 euros HT, soit 46 644 euros TTC ; que la commune n'est en revanche pas fondée à demander la condamnation de la société SAFEGE à lui verser la somme de 11 907 euros en réparation de préjudices matériels indirects à la suite des désordres affectant sa station d'épuration, en l'absence de production de justificatifs suffisants d'un lien de causalité directe et certain avec le désordre indemnisable ;
En ce qui concerne la capacité insuffisante de stockage des décanteurs/digesteurs :
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 3 juillet 2013, que " les capacités de stockage des boues assurées par les deux décanteurs digesteurs sont insuffisantes pour permettre de stocker les boues générées par 6 mois de fonctionnement de la station " ; que la commune de Cussay n'établit toutefois pas que ce désordre rend l'ouvrage impropre à sa destination, alors qu'il l'oblige seulement à procéder de manière plus fréquente à la vidange de la station d'épuration ; que la commune de Cussay n'est dès lors pas fondée à rechercher la responsabilité des constructeurs au titre de la garantie décennale, à raison de la capacité insuffisante de stockage des décanteurs/digesteurs ;
Sur la responsabilité contractuelle de la société SAFEGE au titre de son devoir de conseil dans la survenue des deux désordres :
6. Considérant que la commune de Cussay recherche pour la première fois en appel la responsabilité de la SAFEGE au titre de son devoir de conseil dans la survenue des désordres ; que ces conclusions fondées sur une cause juridique nouvelle, invoquée pour la première fois devant la cour, sont irrecevables et doivent en conséquence être rejetées ;
Sur les dépens :
7. Considérant que les frais et honoraires de l'expertise ordonnée en première instance et confiée à M.D..., liquidés et taxés à la somme de 17 643,58 euros par ordonnance du président du tribunal administratif d'Orléans du 10 juillet 2013, doivent être mis à la charge définitive de la société SAFEGE ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la commune de Cussay est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté la totalité de sa demande tendant à la condamnation de la société SAFEGE à raison des désordres affectant le fonctionnement de sa station d'épuration et mis à sa charge les frais d'expertise ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société SAFEGE une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Cussay et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font en revanche obstacle à ce que soit mises à la charge de la commune de Cussay, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, les sommes que la société SAFEGE et la société MSE demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 5 juin 2015 est annulé.
Article 2 : La société SAFEGE est condamnée à verser la somme de 46 644 euros TTC à la commune de Cussay.
Article 3 : Les frais d'expertise sont mis à la charge définitive de la société SAFEGE pour un montant de 17 643,58 euros.
Article 4 : La société SAGEFE versera à la commune de Cussay une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Les conclusions présentées par la société SAFEGE au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : Les conclusions présentées par la société MSE au titre des articles R. 761-1 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Cussay, à la société SAFEGE et à la société MSE.
Copie en sera adressée à M. C...D..., expert.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Loirat, président assesseur,
- M. Bouchardon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 juin 2017.
Le rapporteur,
L. BOUCHARDONLe président,
L. LAINÉ
Le greffier,
M. B...
La République mande et ordonne au préfet d'Indre-et-Loire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15NT02484