Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Humery Frères a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'Etat à lui verser une somme correspondant à celle que la Cour d'appel de Bourges pourrait la condamner à verser à M. B...D..., évaluée à 80.000 euros, en réparation du préjudice résultant de l'illégalité de la décision du 7 mai 2009 par laquelle le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville lui a accordé l'autorisation de licencier ce salarié.
Par un jugement n° 1104486 du 11 avril 2013, le tribunal administratif d'Orléans a limité à la somme de 8 316,61 euros la condamnation de l'Etat.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 juin 2013 et un mémoire complémentaire du 10 juillet 2015, la société anonyme Humery Frères, représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 11 avril 2013 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme provisionnelle de 43 047,75 € en réparation du préjudice résultant de l'illégalité de la décision du 7 mai 2009 ;
3°) de réserver ses droits à une indemnisation complémentaire dans l'attente de décisions définitives de la juridiction judiciaire, au besoin en prononçant un sursis à statuer sur ce point ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en transmettant sa demande de première instance à M.D..., qui a produit des observations, le tribunal a violé le principe du procès équitable posé par les stipulations de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et rompu l'égalité entre les parties ;
- le licenciement de ce salarié est exclusivement imputable à l'administration qui a donné l'autorisation nécessaire, se pliant d'ailleurs à une injonction du tribunal administratif ; la méconnaissance par le ministre chargé du travail de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 ne lui est pas davantage imputable ; en conséquence, c'est à tort que le tribunal a retenu un partage de responsabilité.
- l'indemnisation qui lui est due ne pourra être connue qu'une fois tranché de manière définitive le litige l'opposant à M. D...devant la juridiction judiciaire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 novembre 2014, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Humery Frères ne sont pas fondés, notamment en ce que l'administration n'est tenue de réparer le préjudice découlant de l'illégalité de sa décision que pour la seule violation du statut protecteur du salarié ; qu'à cet égard, la faute commise par la société requérante justifie le partage de responsabilité retenu ;
Par ordonnance du 25 juin 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 17 juillet 2015.
Vu :
- les autres pièces du dossier
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. François, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Delesalle, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., substituant MeC..., représentant la société Humery Frères.
1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le tribunal administratif d'Orléans a, par un jugement du 25 février 2010 confirmé par la Cour le 23 février 2012, annulé pour non respect de la procédure contradictoire prévue à l'article 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 la décision du 7 mai 2009 par laquelle le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville avait accordé à la société Humery Frères l'autorisation de licencier M. B...D..., délégué du personnel et membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; que la société Humery Frères avait procédé le 20 mai 2009 au licenciement de M. D...en conséquence de la décision susmentionnée du 7 mai 2009 ; qu'estimant ce licenciement illégal, la cour d'appel de Bourges a condamné par un arrêt du 21 septembre 2012 la société Humery Frères à verser à M. D...une somme de 43 885,05 € ; que cette société avait formé dès le 20 juillet 2011 auprès du ministre chargé du travail une demande d'indemnisation du préjudice résultant de cette condamnation ; qu'un rejet implicite lui ayant été opposé, elle a sollicité du tribunal administratif d'Orléans la condamnation de l'Etat à lui verser une somme provisoirement chiffrée à 80 000 euros ; que la société Humery Frères relève appel du jugement du 11 avril 2013 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a limité à la somme de 8 316,61 euros la condamnation sollicitée, et demande à la cour, outre l'annulation du jugement, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 43 047,75 € et de réserver ses droits à une indemnisation complémentaire dans l'attente de décisions définitives de la juridiction judiciaire ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales: "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) " ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la demande de la société Humery Frères, enregistrée le 21 décembre 2012 au greffe du tribunal administratif d'Orléans et dirigée contre l'Etat représenté par le ministre chargé du travail, a été communiquée par le tribunal non seulement à ce dernier, mais aussi à M. D...qui a produit des observations par l'intermédiaire de son conseil ; que, toutefois, cet appel en cause, qui relève de l'office du juge, n'a porté atteinte ni au droit à un procès équitable, ni au principe d'égalité entre les parties ni au caractère contradictoire des débats et, par suite, n'a pas méconnu les stipulations de l'article 6-1 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que dès lors, le jugement attaqué n'est pas entaché de l'irrégularité alléguée ;
Sur la responsabilité :
4. Considérant que l'illégalité de la décision autorisant le licenciement d'un salarié protégé constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique, quelle que puisse être la responsabilité encourue par l'employeur ; que, par suite, ce dernier est en droit d'obtenir la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice direct et certain résultant pour lui de cette décision illégale ;
5. Considérant que l'illégalité de la décision du 7 mai 2009 du ministre chargé du travail, qui, comme il a été dit au point 1, a méconnu la procédure contradictoire imposée par l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que toutefois, par un arrêt devenu définitif du 17 juin 2010, la présente cour a jugé que les faits reprochés à M. D...qui avait tenu des propos agressifs à l'encontre de la gestionnaire du service de la paye, accompagnés d'un geste provoquant la chute des objets se trouvant sur le bureau de cette dernière, ne présentaient pas un caractère de gravité suffisante pour justifier le licenciement de ce salarié, eu égard au contexte dans lequel ils étaient survenus ; que, dans ces conditions, le tribunal a justement apprécié la part de responsabilité incombant à l'Etat en la limitant à 50% ;
Sur le préjudice :
6. Considérant, en premier lieu, que par l'arrêt susvisé du 21 septembre 2012 de la cour d'appel de Bourges, la société Humery Frères a été condamnée à verser à M. D...une somme de 16.633,22 euros en application des dispositions de l'article L.2422-4 du code du travail, en vertu duquel lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation de licenciement est devenue définitive, le salarié investi d'un mandat a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa demande de réintégration ; que cette indemnité qui est directement liée à l'illégalité de la décision du 7 mai 2009 est constitutive pour la société Humery Frères d'un préjudice direct et certain dont elle est fondée à demander la réparation à l'Etat dans la limite de 50% , soit 8.316,61 euros ; que si la Cour de cassation a, par un arrêt du 2 juillet 2014 cassé partiellement l'arrêt de la cour d'appel de Bourges en ce qu'il ne prenait pas en compte les salaires que M. D...aurait dû percevoir jusqu'à sa réintégration effective, elle n'a toutefois pas remis en cause la responsabilité de la société Humery Frères à l'égard de ce salarié et le bien-fondé des sommes d'ores et déjà attribuées par elle à ce dernier ;
7. Considérant, en second lieu, que si la société requérante a également été condamnée par la cour d'appel de Bourges à régler à M. D...les sommes de 24.000 euros à raison de la rupture abusive de son contrat de travail, 227,12 euros à titre de rappel de salaire et 22,71 euros correspondant aux congés payés afférents, le versement de ces indemnités n'est pas la conséquence directe de l'illégalité de la décision administrative autorisant le licenciement, mais a résulté de l'application de dispositions légales et conventionnelles relatives à la rupture du contrat de travail ; que la société Humery Frères n'est par suite pas fondée à en réclamer le reversement ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de surseoir à statuer jusqu'à ce que la cour d'appel d'Angers à laquelle l'affaire a été renvoyée par la Cour de Cassation se soit prononcée, que la société Humery Frères n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a limité l'indemnisation de son préjudice à la somme de 8 316,61 euros ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l 'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à la société Humery Frères de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Humery Frères est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Humery Frères et au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2015, ou siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- M. Millet, président-assesseur,
- M. François, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 octobre 2015.
Le rapporteur,
E. FRANÇOISLe président,
A. PEREZ
Le greffier,
S. BOYERE
La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision
''
''
''
''
2
N° 13NT01695