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25/09/2015 | FRANCE | N°14NT01591

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 25 septembre 2015, 14NT01591


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...A...a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner La Poste à lui verser une indemnité de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait du blocage de sa carrière.

Par un jugement n° 1203965 du 16 avril 2014, le tribunal administratif de Rennes a partiellement fait droit à cette demande en condamnant La Poste à verser à Mme A...une indemnité de 20 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 juin 2014, La Poste,

représentée par Me Bellanger, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribun...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...A...a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner La Poste à lui verser une indemnité de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait du blocage de sa carrière.

Par un jugement n° 1203965 du 16 avril 2014, le tribunal administratif de Rennes a partiellement fait droit à cette demande en condamnant La Poste à verser à Mme A...une indemnité de 20 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 juin 2014, La Poste, représentée par Me Bellanger, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 16 avril 2014 ;

2°) de rejeter la demande de MmeA... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A...le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement n'est pas suffisamment motivé ;

- Mme A...n'a satisfait aux conditions statutaires de promotion dans le grade de contrôleur que le 9 novembre 2000 ;

- ses notations ne permettent pas de caractériser la perte d'une chance sérieuse d'une telle promotion ;

- son aptitude à exercer des fonctions d'un niveau supérieur n'est pas établie ;

- elle a toujours refusé d'être reclassé dans un corps de reclassification ;

- les premiers juges ont fait une évaluation exagérée du préjudice de carrière.

Mme A...a présenté des mémoires, enregistrés le 6 octobre 2014 et le 8 juillet 2015.

Une demande de régularisation de mémoire, en application des dispositions de l'article R. 811-7 du code de justice administrative, a été adressée le 6 octobre 2014 à Mme A...par lettre recommandée avec avis de réception ;

Par ordonnance du 15 juin 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 3 juillet 2015.

Par un mémoire complémentaire, enregistré le 26 juin 2015, La Poste conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens.

Elle soutient, en outre :

- que Mme A...ne peut être regardée comme ayant subi un préjudice de carrière dès lors que sa notation " E " pendant plusieurs années ne suffisait pas à lui ouvrir un droit à promotion ;

- qu'elle n'aurait pas pu accéder au grade de contrôleur avant 2009 ;

- que l'indemnisation telle que fixée par les premiers juges du préjudice de carrière de la requérante est excessive.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

- la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 ;

- le décret n° 72-500 du 23 juin 1972 ;

- le décret n° 72-503 du 26 juin 1972 ;

- le décret n° 90-1237 du 31 décembre 1990 ;

- le décret n° 92-928 du 7 septembre 1992 ;

- le décret n° 92-929 du 7 septembre 1992 ;

- le décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mony,

- les conclusions de M. Durup de Baleine, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., substituant Me Bellanger, représentant La Poste.

1. Considérant que MmeA..., née en 1956, a intégré en 1984 le service public des postes et télécommunications et, le 17 janvier 1985, y a été titularisée dans le grade d'agent d'exploitation au sein du corps, de catégorie C, des agents d'exploitation des postes et télécommunications ; qu'elle a ensuite été reclassée au sein du corps des agents d'exploitation du service général de La Poste, régi par le décret susvisé n° 92-929 du 7 septembre 1992, dont l'article 2 prévoit que ce corps comprend un grade unique d'agent d'exploitation du service général, doté de douze échelons ; qu'elle n'a pas souhaité, lors du changement de statut de son employeur par la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom, intégrer les corps dits de " reclassification " et a opté en faveur de la conservation de son grade dans le corps, dit de " reclassement ", des agents d'exploitation du service général de La Poste ; qu'après avoir atteint, le 9 novembre 2006, le onzième échelon de ce grade, elle a été promue au choix au grade de contrôleur de La Poste, au sein du corps, de catégorie B, des contrôleurs de La Poste, dont le statut particulier résulte du décret du 23 juin 1972, modifié par celui du 31 décembre 1990, visés ci-dessus ; qu'à l'occasion de cette promotion, elle a été reclassée au douzième échelon du grade de contrôleur ; qu'elle a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à ce que La Poste soit condamnée à lui payer la somme de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subi en raison du blocage de sa carrière jusqu'à l'intervention du décret du 14 décembre 2009 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de La Poste ; que, par le jugement du 16 avril 2014 dont La Poste relève appel, le tribunal administratif de Rennes a partiellement fait droit à cette demande, en condamnant La Poste à verser à Mme A...une indemnité de 20 000 euros, tous intérêts compris au jour du jugement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que, contrairement à ce que soutient La Poste, le jugement attaqué est suffisamment motivé ; qu'en particulier, les premiers juges, dès lors qu'ils estimaient que Mme A...a été privée d'une chance sérieuse d'accéder, plus tôt qu'elle n'y a effectivement accédé le 30 décembre 2009, au grade supérieur de contrôleur, caractérisaient le caractère certain du préjudice professionnel et financier subi par l'intéressé, sans avoir l'obligation de spécifier une date déterminée à compter de laquelle une telle promotion aurait été susceptible d'intervenir ; que le moyen tiré de la méconnaissance des exigences de l'article L. 9 du code de justice administrative doit, dès lors, être écarté ;

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne le fondement de la responsabilité :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste la poste et à France Télécom : " Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) " ; que l'article 31 de la même loi a permis à La Poste d'employer, sous le régime des conventions collectives, des agents contractuels ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) " ; qu'en vertu de l'article 58 de la loi du 11 janvier 1984 et des dispositions réglementaires prises pour son application, il appartient à l'autorité administrative, sauf à ce qu'aucun emploi vacant ne soit susceptible d'être occupé par des fonctionnaires à promouvoir, d'établir annuellement des tableaux d'avancement en vue de permettre l'avancement de grade ;

5. Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de " reclassement " de La Poste de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de " reclassification " créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de " reclassification ", ne dispensait pas le président de La Poste, avant le 1er janvier 2002, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de " reclassement " ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par La Poste de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires " reclassés " comme aux fonctionnaires " reclassifiés " de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;

6. Considérant, d'autre part, que le législateur, par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, en permettant à La Poste de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires " reclassés " ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de " reclassement ", en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne, étaient entachés d'illégalité ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " au motif que ces décrets en interdisaient la possibilité, le président de La Poste a, de même, commis une illégalité fautive ; que La Poste, pour s'exonérer de la responsabilité ainsi encourue, ne saurait ainsi utilement se prévaloir ni de la circonstance que les décrets statutaires des corps de " reclassement " auraient interdit ces promotions, ni du fait qu'aucun emploi ne serait devenu vacant, au cours de la période, pour permettre de procéder à de telles promotions ; que ces fautes sont de nature à entraîner la responsabilité solidaire de La Poste à l'égard de Mme A...; qu'elles n'ouvrent cependant droit à réparation au profit de l'intimée qu'à la condition qu'elles soient à l'origine d'un préjudice personnel, direct et certain ;

En ce qui concerne le préjudice :

7. Considérant que le 2° de l'article 4 du décret du 23 juin 1972, modifié par les décrets n° 90-137 du 31 décembre 1990 et n° 92-928 du 7 septembre 1992 visés ci-dessus et portant statut particulier du corps des contrôleurs de La Poste, prévoit que ces derniers sont recrutés notamment " au choix, par voie d'inscription sur une liste d'aptitude (...) : / a) Pour l'accès au corps des contrôleurs de La Poste, parmi les receveurs ruraux ayant atteint au moins le 6ème échelon et les fonctionnaires du corps des agents d'exploitation de la branche service général de La Poste ayant atteint au moins le 9ème échelon ; / (...) / Pour être inscrits sur la liste d'aptitude, les intéressés doivent être âgés de quarante un au moins et compter au moins cinq ans de services effectifs dans l'un ou l'autre des corps mentionnés ci-dessus " ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A...a atteint le neuvième échelon du grade d'agent d'exploitation du service général de La Poste le 9 novembre 2000 et satisfaisait ainsi, à compter de cette date et non en 1996 comme l'indique le jugement attaqué, aux conditions permettant son inscription sur une liste d'aptitude à une promotion au choix au grade de contrôleur ; qu'entre 1993 et 2009, sa manière de servir a été appréciée comme excellente, sauf en 2002 et 2003 au titre des années 2001 et 2002, pour lesquelles, à la suite de l'affectation de l'intéressée à de nouvelles fonctions au sein du centre régional des services financiers de Rennes à compter du 19 novembre 2001, elle a été notée " B ", la notation de cette nature au titre de l'année 2001 ne concernant en fait, toutefois, que la période postérieure à cette mutation et ne comportant aucune appréciation quant à la manière de servir dans les précédentes fonctions entre le 1er janvier et le 18 novembre 2001 ; qu'à partir de l'année 2004, la valeur professionnelle de Mme A...a été, chaque année, évaluée comme " largement supérieure aux exigences du poste ", la capacité à exercer des fonctions de niveau supérieur étant estimée excellente à partir de l'année 2006 ; qu'elle a, au demeurant, bénéficié d'une promotion au choix au grade de contrôleur dès le 30 décembre 2009, très peu de temps après l'entrée en vigueur du décret du 14 décembre 2009 ayant permis le déblocage des carrières des fonctionnaires de La Poste appartenant aux corps dits de " reclassement " énumérés en annexe à ce décret ; qu'eu égard à ces éléments, Mme A...doit être regardée comme ayant été privée d'une chance sérieuse de bénéficier, bien antérieurement à la date à laquelle elle a effectivement accédé à ce grade, d'une promotion au choix au grade de contrôleur ; que, toutefois, en fixant à 15.000 euros tous intérêts compris au jour du jugement le préjudice de Mme A...résultant de la privation d'une chance sérieuse de promotion au grade de contrôleur plusieurs années avant que celle-ci n'intervienne effectivement si des promotions internes avaient été organisées par La Poste, les premiers juges, dès lors qu'une telle promotion n'aurait pu intervenir que plusieurs années après que Mme A...eut atteint le 9ème échelon de son grade, compte tenu des éléments précédemment indiqué s'agissant de la notation de MmeA..., ne se sont pas livrés à une exacte appréciation de ce préjudice ; qu'il convient, eu égard à ce qui précède, de fixer ce préjudice à 13.000 euros et de rectifier, dans cette mesure, le jugement du tribunal administratif de Rennes ; qu'en revanche, en évaluant à 5 000 euros, le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence subis par Mme A...en raison du blocage de sa carrière pendant de nombreuses années, les premiers juges se sont livrés à une juste appréciation de ces chefs de préjudice ;

9. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que La Poste est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes l'a condamné à verser la somme de 20 000 euros à MmeA... au lieu de fixer cette somme à 18 000 euros ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de MmeA..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que demande La Poste à ce titre ;

DÉCIDE :

Article 1er : La Poste est condamnée à verser à Mme A...une somme de 18.000 euros.

Article 2 : Le jugement numéro 1203965 du tribunal administratif de Rennes est réformé en ce qu'il a de contraire aux dispositions de l'article 1.

Article 3 : le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à La Poste, à Mme C...A...et au ministre des finances et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 4 septembre 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Francfort, président-assesseur,

- M. Mony, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 25 septembre 2015.

Le rapporteur,

A. MONYLe président,

H. LENOIR

Le greffier,

F. PERSEHAYE

La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14NT01591


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 14NT01591
Date de la décision : 25/09/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. Arnaud MONY
Rapporteur public ?: M. DURUP de BALEINE
Avocat(s) : SCP GRANRUT AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-09-25;14nt01591 ?
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