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25/09/2015 | FRANCE | N°14NT00332

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 25 septembre 2015, 14NT00332


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement l'Etat et La Poste à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation des préjudices subis du fait du blocage de sa carrière dans un corps de reclassement.

Par un jugement n° 1203308 du 10 décembre 2013, le tribunal administratif d'Orléans n'a que partiellement fait droit à sa demande en condamnant solidairement l'Etat et La Poste à lui verser la somme de 1 500 euros, tous intérêts confondus au jour du jugemen

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Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 10...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner solidairement l'Etat et La Poste à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation des préjudices subis du fait du blocage de sa carrière dans un corps de reclassement.

Par un jugement n° 1203308 du 10 décembre 2013, le tribunal administratif d'Orléans n'a que partiellement fait droit à sa demande en condamnant solidairement l'Etat et La Poste à lui verser la somme de 1 500 euros, tous intérêts confondus au jour du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 10 février 2014, le 21 août 2014 et le 22 août 2014, Mme B...A..., représenté par Me Bineteau, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ou de réformer ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 10 décembre 2013 ;

2°) de condamner solidairement l'Etat et La Poste à lui verser une somme de 80 000 euros, majorée des intérêts légaux et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis du fait du blocage de sa carrière ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de La Poste le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement a été rendu en méconnaissance de l'article R. 711-3 du code de justice administrative dès lors que l'indication du sens des conclusions du rapporteur public n'était pas assez précise ;

- La Poste et l'Etat ont commis à son égard des fautes engageant leur responsabilité solidaire ;

- elle a perdu une chance sérieuse d'être promue et a ainsi subi un préjudice de carrière ;

- le tribunal administratif a commis une erreur de droit ;

- il a inexactement apprécié les faits de l'espèce ;

- elle a subi un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 avril 2014, le ministre de l'économie conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le jugement n'est pas entaché de l'irrégularité alléguée ;

- le dommage allégué n'est pas établi et la requérante n'a pas été privée d'une chance sérieuse de promotion ;

- il n'existe aucun lien de causalité entre la prétendue faute de l'Etat et le dommage allégué et ce dernier ne peut qu'être imputé au choix de carrière fait par l'agent lui-même ;

- le montant du dommage allégué n'est pas valablement établi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mai 2014, La Poste conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de Mme A...le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- Mme A...n'a rempli les conditions statutaires lui permettant de prétendre à l'accès au corps des conducteurs de travaux qu'à compter du 1er avril 2008 ;

- ses notations ne permettent pas de caractériser la perte d'une chance sérieuse de promotion ;

- elle a toujours refusé d'intégrer un corps de reclassification.

Par un mémoire complémentaire, enregistré le 26 août 2015, La Poste conclut aux mêmes fins que par ses précédentes écritures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

- la loi n° 2005-516 du 20 mai 2005 ;

- le décret n° 57-1319 du 21 décembre 1957 ;

- le décret n° 90-1224 du 31 décembre 1990 ;

- le décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mony,

- les conclusions de M. Durup de Baleine, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., substituant MeD..., représentant La Poste.

1. Considérant que MmeA..., qui est née en 1970, a intégré le service public des postes et télécommunications en 1993 en qualité de préposé, au sein du corps des préposés, qui est l'un des corps des services de la distribution et de l'acheminement de La Poste ; qu'elle a été titularisée le 1er avril 1994 au grade de préposé ; qu'elle n'a pas souhaité, à la suite du changement de statut de son employeur résultant de l'application de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom, intégrer les corps dits de " reclassification " et opté en faveur de la conservation de son grade dans le corps, dit de " reclassement ", des préposés ; qu'elle relève appel du jugement du 10 décembre 2013 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a limité à 1 500 euros la somme que l'Etat et La Poste ont été solidairement condamnés à lui verser en réparation du préjudice subi du fait du blocage de sa carrière et demande que cette somme soit portée à 80 000 euros ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que le premier alinéa de l'article R. 711-3 du code de justice administrative dispose que " si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne " ; qu'il en résulte que les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en l'espèce et le 22 novembre 2013, le sens des conclusions a été porté dans l'application " sagace " au moyen des mentions suivantes : " condamnation solidaire de l'Etat et la Poste à verser à Mme A...une somme de 1 500 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 1/11/20011, les intérêts étant eux-mêmes capitalisés à compter du 7/11/2012. Condamnation solidaire de La Poste et de l'Etat à verser à la requérante une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du CJA Rejet du surplus " ; que, ce faisant, le rapporteur public, qui n'avait pas l'obligation à peine d'irrégularité d'indiquer la nature du ou des préjudices dont il estimait que Mme A...était fondée à demander réparation, a mis les parties ou leurs mandataires à même de connaître l'ensemble des éléments du dispositif de la décision qu'il comptait proposer à la formation de jugement d'adopter ; que, dès lors, les dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative n'ont pas été méconnues ; qu'en outre, le rapporteur public n'a pas la qualité de partie et l'exercice de sa fonction n'est pas soumis au caractère contradictoire de la procédure applicable à l'instruction ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 5 du code de justice administrative ne peut qu'être écarté ;

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne le fondement de la responsabilité :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste la poste et à France Télécom : " Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) " ; que l'article 31 de la même loi a permis à La Poste d'employer, sous le régime des conventions collectives, des agents contractuels ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) " ; qu'en vertu de l'article 58 de la loi du 11 janvier 1984 et des dispositions règlementaires prises pour son application, il appartient à l'autorité administrative, sauf à ce qu'aucun emploi vacant ne soit susceptible d'être occupé par des fonctionnaires à promouvoir, d'établir annuellement des tableaux d'avancement en vue de permettre l'avancement de grade ;

5. Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de " reclassement " de La Poste de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de " reclassification " créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de " reclassification ", ne dispensait pas le président de La Poste, avant le 1er janvier 2002, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de " reclassement " ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par La Poste de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires " reclassés " comme aux fonctionnaires " reclassifiés " de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;

6. Considérant, d'autre part, que le législateur, par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, en permettant à La Poste de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires " reclassés " ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de " reclassement ", en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne, étaient entachés d'illégalité ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " au motif que ces décrets en interdisaient la possibilité, le président de La Poste a, de même, commis une illégalité fautive ; que La Poste, pour s'exonérer de sa responsabilité, ne saurait ainsi utilement se prévaloir ni de la circonstance que les décrets statutaires des corps de " reclassement " auraient interdit ces promotions, ni du fait qu'aucun emploi ne serait devenu vacant, au cours de la période, pour permettre de procéder à de telles promotions ; que, de même, l'Etat a commis une faute en attendant le 14 décembre 2009 pour prendre les décrets organisant les possibilités de promotion interne pour les fonctionnaires des corps de reclassement de La Poste ; que ces fautes sont de nature à entraîner la responsabilité solidaire de l'Etat et de La Poste à l'égard de Mme A...; qu'elles n'ouvrent cependant droit à réparation au profit du requérant qu'à la condition qu'elles soient à l'origine d'un préjudice personnel, direct et certain ;

En ce qui concerne le préjudice :

7. Considérant, en premier lieu, que l'article 18 du décret du 21 décembre 1957 fixant le statut particulier des corps des services de la distribution et de l'acheminement de La Poste, modifié par celui du 31 décembre 1990, prévoit que les conducteurs de travaux de la distribution et de l'acheminement sont recrutés notamment " Au choix, dans la limite du sixième des titularisations prononcées par la voie des concours prévus au 1° ci-dessus, parmi les fonctionnaires du corps des agents d'exploitation des branches "services de la distribution et de l'acheminement" et "recettes-distribution", âgés de quarante ans au moins, ayant atteint le septième échelon depuis au moins deux ans et comptant cinq ans au moins de services effectifs dans ce corps. / (...) " ; qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A...est née le 21 février 1970 et n'a eu, ainsi, quarante ans que le 21 février 2010, soit postérieurement à l'entrée en vigueur, le 16 décembre 2009, du décret du 14 décembre 2009 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains fonctionnaires de La Poste et qui, en abrogeant les dispositions des décrets régissant les corps de La Poste mentionnés en annexe en tant qu'elles concernent les recrutements externes et la répartition des emplois à pourvoir par la voie externe et par la voie interne, a mis fin au blocage dont, en matière de promotion interne, faisaient l'objet les fonctionnaires de La Poste relevant de ces corps ; que les corps des préposés et celui des conducteurs de travaux de la distribution et de l'acheminement de La Poste sont au nombre de ceux mentionnés en annexe à ce décret ; que, dès lors et contrairement à ce qu'elle soutient, Mme A...ne remplissait pas, au titre d'une période antérieure à cette entrée en vigueur, l'ensemble des conditions mises par le décret du 21 décembre 1957 à une promotion au choix au grade de conducteur de travaux de la distribution et de l'acheminement et, par suite, ne saurait valablement prétendre avoir été privée d'une chance sérieuse de bénéficier d'une telle promotion ; que ses conclusions tendant, à ce titre, à l'indemnisation d'un préjudice de carrière ne peuvent, en conséquence, être accueillies ;

8. Considérant, en second lieu, que Mme A...a subi, du fait de l'atteinte portée à ses droits statutaires à raison des illégalités fautives relevées ci-dessus, des troubles dans ses conditions d'existence et un préjudice dont elle est fondée à soutenir que les premiers juges ont fait une insuffisante appréciation en en limitant l'évaluation à la somme de 1 500 euros ; qu'il sera fait une juste appréciation en évaluant ces préjudices à la somme globale de 5 000 euros, tous intérêts compris au jour du présent arrêt, laquelle sera supportée solidairement par l'Etat et par La Poste ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A...est seulement fondée à soutenir que l'indemnité qui lui a été allouée par les premiers juges doit être portée à la somme de 5 000 euros ; que le jugement attaqué doit être réformé sur ce point ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de MmeA..., qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande La Poste à ce titre ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat ou de La Poste le versement de la somme que demande Mme A...au même titre ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'indemnité solidairement mise à la charge de l'Etat et de La Poste par l'article 1er du jugement du tribunal administratif d'Orléans du 10 décembre 2013 est fixée à 5 000 euros.

Article 2 : Les articles 1er et 3 du jugement du tribunal administratif d'Orléans du 10 décembre 2013 sont réformés en ce qu'ils ont de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A...et les conclusions présentées par La Poste au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A..., à La Poste et au ministre des finances et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 4 septembre 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Francfort, président assesseur,

- M. Mony, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 25 septembre 2015.

Le rapporteur,

A. MONYLe président,

H. LENOIR

Le greffier,

F. PERSEHAYE

La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 14NT00332


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 14NT00332
Date de la décision : 25/09/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. Arnaud MONY
Rapporteur public ?: M. DURUP de BALEINE
Avocat(s) : SELARL HORUS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-09-25;14nt00332 ?
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