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23/07/2015 | FRANCE | N°13NT03264

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 23 juillet 2015, 13NT03264


Vu le mémoire, enregistré le 20 mars 2015, présenté pour M. C...A..., demeurant..., par MeD..., en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

M. A...demande à la cour, à l'appui de sa requête, enregistrée sous le numéro 13NT03264, tendant à l'annulation du jugement n° 1300508 du 17 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 6 novembre 2012 du préfet de la Manche refusant de lui délivrer les autorisations d'exploiter 5 hectares 67 et 2 hectares 42 de terres situé

es sur la commune de Gouvets et accordant ces mêmes autorisations à MmeE...

Vu le mémoire, enregistré le 20 mars 2015, présenté pour M. C...A..., demeurant..., par MeD..., en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

M. A...demande à la cour, à l'appui de sa requête, enregistrée sous le numéro 13NT03264, tendant à l'annulation du jugement n° 1300508 du 17 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 6 novembre 2012 du préfet de la Manche refusant de lui délivrer les autorisations d'exploiter 5 hectares 67 et 2 hectares 42 de terres situées sur la commune de Gouvets et accordant ces mêmes autorisations à MmeE..., et de la décision rejetant son recours gracieux ;

il soutient que :

- les dispositions de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime issu de la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole applicables au litige n'ont pas déjà été examinées et déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;

- la question posée présente un caractère nouveau et sérieux ; en effet, en instaurant un droit de priorité en faveur du plus jeune des exploitants agricoles le législateur porte atteinte au principe d'égalité tel que garanti par l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et les dispositions litigieuses méconnaissent également le principe de la liberté d'entreprendre tel que consacré par l'article 4 de ce même texte ;

- en laissant au pouvoir réglementaire le soin de déterminer l'ordre des priorités à l'échelle départementale le législateur a méconnu l'étendue de sa propre compétence ;

Vu le jugement attaqué dans l'instance n° 13NT03264 susvisée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2015, présenté pour le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, qui conclut qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée ;

il fait valoir que :

- l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction critiquée, est issu de l'article 6 de la loi n°84-741 du 1er août 1984 relative au contrôle des structures des exploitations agricoles et au statut du fermage, lequel a été déclaré conforme par le Conseil constitutionnel ; les modifications survenues ultérieurement n'ont aucunement modifié la portée de l'article en cause ;

- les moyens tirés de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre et du principe d'égalité ne sont pas fondés ; en contrôlant les structures des exploitations agricoles le législateur poursuit un but d'intérêt général consistant notamment à favoriser la mise en valeur des terres agricoles, à maintenir la diversité de la production agricole et à préserver l'emploi agricole en milieu rural ainsi que l'environnement ;

- le législateur a suffisamment encadré les objectifs et défini les priorités du contrôle des structures des exploitations agricoles et n'a donc pas méconnu l'étendue de sa compétence ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 ;

Vu le code rural et de la pêche maritime, notamment son article L. 331-3 alinéa 1er ;

Vu le code de justice administrative ;

1. Considérant que, par quatre arrêtés du 6 novembre 2012, le préfet de la Manche a refusé de délivrer à M. A...les autorisations d'exploiter 5 hectares 67 et 2 hectares 42 de terres situées sur la commune de Gouvets qu'il sollicitait et accordé ces mêmes autorisations à MmeE... ; que, par un jugement du 17 octobre 2013 dont il est relevé appel, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de M. A...tendant à l'annulation des quatre arrêtés du 6 novembre 2012, ainsi que de la décision rejetant son recours gracieux ; que, par un mémoire distinct, M. A...demande à la cour de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article " ; qu'aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (...) le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office " ; qu'aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° / Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3°/La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux " ; qu'aux termes de l'article R. 771-7 du même code : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité " ;

3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole : " L'autorité administrative se prononce sur la demande d'autorisation en se conformant aux orientations définies par le schéma directeur départemental des structures agricoles applicable dans le département dans lequel se situe le fonds faisant l'objet de la demande. Elle doit notamment : 1° Observer l'ordre des priorités établi par le schéma départemental entre l'installation des jeunes agriculteurs et l'agrandissement des exploitations agricoles, en tenant compte de l'intérêt économique et social du maintien de l'autonomie de l'exploitation faisant l'objet de la demande (...) " ; qu'en vertu de ces dispositions le préfet, saisi de demandes concurrentes d'autorisation d'exploiter portant sur les mêmes terres, est tenu, pour statuer sur ces demandes, de respecter l'ordre des priorités établi par le schéma directeur départemental des structures agricoles ;

4. Considérant que M. A...conteste la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de ces dispositions ; qu'il soutient qu'en instaurant un droit de priorité en faveur des jeunes exploitants agricoles sollicitant une autorisation d'exploiter, le législateur a méconnu le principe d'égalité et porté atteinte à la liberté d'entreprendre et que, faute d'avoir lui-même hiérarchisé les priorités entre l'installation des jeunes agriculteurs et l'agrandissement des exploitations agricoles, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence telle que définie par les dispositions de l'article 34 de la Constitution ;

5. Considérant que le contrôle des structures des exploitations agricoles tel qu'il a été défini par le législateur au chapitre Ier du titre III du livre III du code rural et de la pêche maritime a pour objectif prioritaire la mise en valeur des terres agricoles ou des ateliers de production hors sol au sein d'une exploitation agricole en favorisant l'installation d'agriculteurs, y compris ceux engagés dans une démarche d'installation progressive ; qu'il vise, en outre, soit à empêcher le démembrement d'exploitations agricoles viables pouvant permettre l'installation d'un ou plusieurs agriculteurs, soit à favoriser l'agrandissement des exploitations agricoles dont les dimensions, les références de production ou les droits à aide sont insuffisants au regard des critères arrêtés dans le schéma directeur départemental des structures, soit à permettre l'installation ou conforter l'exploitation d'agriculteurs pluriactifs partout où l'évolution démographique et les perspectives économiques le justifient ; que ces objectifs d'intérêt général sont déclinés en ordre de priorité dans le schéma directeur départemental des structures agricoles prévu à l'article L. 312-1 du code précité ;

6. Considérant que le principe d'égalité garanti par les articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que les dispositions de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime contestées ne peuvent être regardées comme ayant méconnu ce principe en prévoyant que l'autorité administrative chargée de se prononcer sur la demande d'autorisation d'exploiter observe l'ordre des priorités établi par le schéma départemental entre l'installation des jeunes exploitants et celle conférée à l'agrandissement d'exploitations, tout en tenant compte de l'intérêt économique et social du maintien de l'autonomie de l'exploitation en cause ; que les jeunes agriculteurs désireux de s'installer participent au renouvellement des générations en agriculture, et se trouvent placés à ce titre dans une situation différente de celle des exploitants agricoles souhaitant s'agrandir ; que cette distinction, qui repose sur des critères objectifs et rationnels, ne porte ainsi pas atteinte au principe d'égalité ; qu'ainsi, le moyen tiré de la violation du principe d'égalité ne présente pas un caractère sérieux ;

7. Considérant qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, des limitations justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ; que si le requérant soutient que les dispositions litigieuses sont contraires à cette liberté en tant qu'elles lèsent les exploitants plus âgés, l'atteinte à la liberté d'entreprendre qui résulte de ces dispositions est en rapport avec l'objectif prioritaire du contrôle des structures des exploitations agricoles que le législateur s'est assigné et qui est de favoriser l'installation de jeunes agriculteurs ; que cette atteinte est proportionnée à la réalisation de cet objectif ; qu'il résulte de ce qui précède qu'en reconnaissant aux jeunes exploitants agricoles un droit de priorité dans l'obtention d'une autorisation d'exploiter les dispositions contestées ne méconnaissent pas davantage le principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre, garanti par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime méconnait la liberté d'entreprendre ne présente pas un caractère sérieux ;

8. Considérant, enfin, que les dispositions de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime, qui prévoient que l'autorité administrative doit observer l'ordre des priorités établi par le schéma départemental entre l'installation des jeunes agriculteurs et l'agrandissement des exploitations agricoles, sont conformes à l'objectif prioritaire défini par le législateur au 3ème alinéa de l'article L.331-1 du même code et se combinent avec les dispositions de l'article L. 312-1 du même code qui déterminent les objectifs et les modalités de préparation du schéma directeur départemental des structures agricoles ; que le législateur a, par ailleurs, lui-même énoncé de manière exhaustive, dans les § 1° à 9° de l'article litigieux, l'ensemble des critères que l'autorité administrative doit prendre en compte lorsqu'elle se prononce sur la demande d'autorisation d'exploiter dont elle est saisie ; que, par suite, en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de déterminer, par le moyen du schéma départemental qui permet de prendre en considération les particularités locales des structures agricoles, les priorités entre l'installation des jeunes agriculteurs et l'agrandissement des exploitations agricoles, le législateur n'a pas méconnu sa compétence ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition de transmission tenant à l'absence de déclaration de conformité, qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.A....

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C...A..., à Mme B...E...et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

Fait à Nantes, le 1er juin 2015

I. PERROT

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N°2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 13NT03264
Date de la décision : 23/07/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : SELARL PUBLI-JURIS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/08/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-07-23;13nt03264 ?
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