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12/06/2015 | FRANCE | N°14NT02739

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 12 juin 2015, 14NT02739


Vu le recours, enregistré le 23 octobre 2014, présenté par le ministre de l'intérieur, qui demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1202392 du 28 août 2014 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, d'une part, la décision du 25 août 2011 par laquelle le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration a rejeté la demande de naturalisation présentée par M. B...D...et, d'autre part, la décision du 13 mars 2012 par laquelle le ministre a rejeté le recours gracieux formé le 3 novembre 2011 par M. B...D...

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2°) de rejeter la demande présentée par M. B...D...devant le tribunal...

Vu le recours, enregistré le 23 octobre 2014, présenté par le ministre de l'intérieur, qui demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1202392 du 28 août 2014 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, d'une part, la décision du 25 août 2011 par laquelle le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration a rejeté la demande de naturalisation présentée par M. B...D...et, d'autre part, la décision du 13 mars 2012 par laquelle le ministre a rejeté le recours gracieux formé le 3 novembre 2011 par M. B...D... ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B...D...devant le tribunal administratif de Nantes ;

il soutient que :

- il n'a pas commis d'erreur d'appréciation en se fondant sur la circonstance que le postulant a séjourné irrégulièrement en France pendant dix ans, même si ce séjour irrégulier a pris fin depuis de nombreuses années ;

- subsidiairement, il est fondé à demander une substitution de motif, dès lors que le comportement fiscal du requérant, qui paye systématiquement avec retard et majorations, ses impôts, est sujet à critiques ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2015, présenté pour M. B...D...par Me Ezzaïtab, avocat, qui conclut au rejet du recours et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il fait valoir que :

- en se fondant sur le seul motif tiré d'un séjour irrégulier ancien, le ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation ;

- la demande de substitution de motif ne saurait être accueillie ;

- son comportement fiscal sujet à critiques n'est pas établi ;

- il travaille en qualité d'artisan et est à jour de toutes ses cotisations ;

- les autres moyens de la demande de première instance justifient l'annulation des décisions contestées ;

Vu le mémoire, enregistré le 17 avril 2015, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut aux mêmes fins que son recours, par les mêmes moyens ;

il soutient, en outre, que :

- les moyens de légalité externe soulevés en première instance doivent être écartés ;

- la circulaire du 27 juillet 2010 ne peut être utilement invoquée ;

- les décisions de rejet ou d'ajournement, prises en opportunité, sont de même nature et il n'appartient pas au juge de l'excès de pouvoir d'apprécier le choix entre le rejet ou l'ajournement ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code général des impôts ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

Vu le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 mai 2015 :

- le rapport de M. Durup de Baleine, premier conseiller ;

1. Considérant que M. B...D..., ressortissant cap verdien né en 1960, a demandé le bénéfice de l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique ; que, par une décision du 25 août 2011, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration a rejeté cette demande ; que, par une décision implicite née le 3 janvier 2012, à laquelle s'est ensuite substituée une décision expresse du 13 mars 2012, il a rejeté le recours gracieux formé par M. B...D...contre cette décision du 25 août 2011 ; que le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 28 août 2014 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé ces décisions ;

Sur la légalité des décisions contestées :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 21-15 du code civil : " ... L'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger " ; qu'aux termes de l'article 49 du décret du 30 décembre 1993 relatif à la manifestation de volonté, aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. / Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. Ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient au postulant, s'il le juge opportun, de formuler une nouvelle demande. / (...) " ; qu'en vertu de ces dispositions, le ministre dispose d'un large pouvoir pour apprécier l'opportunité d'accorder la nationalité française à l'étranger qui la sollicite ;

3. Considérant que, pour rejeter la demande de naturalisation de M. B...D..., le ministre s'est fondé sur la circonstance que le postulant a séjourné irrégulièrement sur le territoire français de 1986 à 1999 et a, ainsi, méconnu la législation relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France ; que si le ministre peut, sans erreur de droit, opposer un tel motif pour ajourner ou rejeter la demande de naturalisation du postulant, il ne saurait, en l'absence de toute autre circonstance, retenir ce seul motif lorsque l'ancienneté des faits est telle qu'elle est de nature à entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'en l'espèce, eu égard à l'ancienneté des faits de séjour irrégulier de M. B...D..., dont le terme remonte à plus de huit ans par rapport à la date des décisions contestées, le ministre, en rejetant pour ce seul motif la demande de l'intéressé, a entaché la décision du 25 août 2011 d'une erreur manifeste d'appréciation ;

4. Considérant que l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ; qu'il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif ; que dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué ;

5. Considérant qu'en appel, le ministre demande qu'au motif erroné initialement indiqué par la décision contestée, soit substitué un motif tiré de ce que le comportement fiscal du postulant est sujet à critiques, dès lors qu'il a méconnu ses obligations de contribuable ;

6. Considérant que le ministre peut, sans erreur de droit, opposer un motif tiré de la méconnaissance par le postulant de ses obligations en qualité de contribuable pour ajourner ou rejeter sa demande de naturalisation ; qu'en l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le postulant s'est acquitté avec retard des cotisations d'impôt sur le revenu dont il était redevable sur ses revenus des années 2005 et 2006 qui, pour cette raison, ont été assorties de la majoration de 10 % prévue par les dispositions de l'article 1730 du code général des impôts ; qu'il s'est également acquitté avec retard des taxes d'habitation dont il était redevable au titre des années 2005, 2006, 2008 et 2009 qui, pour cette raison, ont été assorties de la même majoration ; que M. B...D...ne fait état d'aucune circonstance propre à justifier de l'impossibilité dans laquelle il se serait trouvé de payer ces impositions dans les délais qui lui étaient impartis à cet effet ; que, dès lors, compte tenu du caractère répété et récent de ces méconnaissances par le postulant de ses obligations de contribuable, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir qu'il était en droit, pour ce motif et sans commettre une erreur manifeste d'appréciation, de rejeter la demande de naturalisation présentée par M. B...D... ; qu'il résulte de l'instruction que le ministre aurait pris la même décision s'il s'était initialement fondé sur ce seul motif ; qu'il y a lieu de procéder à la substitution de motif demandée, qui ne prive pas le postulant d'une garantie procédurale liée au motif substitué ;

7. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...D..., qui doit être regardé comme demandant l'annulation, outre de la décision du 25 août 2011, de celle du 13 mars 2012, qui s'est substituée à la décision implicite de rejet initialement née le 3 janvier 2012 ;

8. Considérant, en premier lieu, que, par une décision du 9 août 2011, publiée au Journal officiel de la République française le 11 août 2011, le directeur de l'accueil, de l'intégration et de la citoyenneté, compétent à cet effet en vertu de l'article 3 du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement, a donné délégation à M. A..., chef du premier bureau des naturalisations et signataire de la décision contestée du 25 août 2011, à l'effet de signer, au nom du ministre, une telle décision ; que le moyen tiré de l'incompétence de ce signataire ne peut qu'être écarté ;

9. Considérant, en deuxième lieu, que la décision du 25 août 2011 comporte l'indication des raisons de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde ; qu'elle est, ainsi, régulièrement motivée ;

10. Considérant, en troisième lieu, que M. B...D...ne saurait, au soutien de la contestation d'une décision rejetant une demande de naturalisation, utilement se prévaloir de ce qu'il satisfait aux diverses conditions mises à la recevabilité d'une telle demande ;

11. Considérant, en quatrième et dernier lieu, que M. B...ne saurait utilement, devant le juge de l'excès de pouvoir, se prévaloir des orientations générales énoncées par le ministre chargé des naturalisations au paragraphe B) du III de sa circulaire du 27 juillet 2010 relative à la déconcentration de la procédure d'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique ;

12. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, compte tenu de la substitution de motif à bon droit demandée en appel par le ministre, ce dernier est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 25 août 2011 et celle rejetant le recours gracieux de M. B...D... ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

13. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation, n'implique aucune mesure d'exécution et que, par suite, les conclusions tendant à ce que, sous astreinte, il soit enjoint au ministre de l'intérieur de faire droit à la demande de naturalisation de M. B...D...ne peuvent être accueillies ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement des sommes demandées à ce titre ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 août 2014 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B...D...devant le tribunal administratif de Nantes et ses conclusions en appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C...B...D....

Délibéré après l'audience du 22 mai 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Francfort, président-assesseur,

- M. Durup de Baleine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 juin 2015.

Le rapporteur,

A. DURUP de BALEINELe président,

H. LENOIR

Le greffier,

F. PERSEHAYE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14NT02739 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 14NT02739
Date de la décision : 12/06/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. Antoine DURUP de BALEINE
Rapporteur public ?: Mme GRENIER
Avocat(s) : EZZAÏTAB

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-06-12;14nt02739 ?
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