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04/06/2015 | FRANCE | N°14NT00949

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 04 juin 2015, 14NT00949


Vu la requête, enregistrée le 10 avril 2014, présentée pour Mme C...D..., demeurant..., par Me Barret, avocat au barreau d'Angers ; Mme D... demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 11-5450 en date du 13 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Nantes n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation solidaire du centre hospitalier universitaire (CHU) d'Angers et de la société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM) à l'indemniser, à titre personnel et en qualité d'ayant-droit, des préjudices résultant du décès de son pè

re, M. A...D..., survenu le 8 mars 2008 lors de sa prise en charge dans l'é...

Vu la requête, enregistrée le 10 avril 2014, présentée pour Mme C...D..., demeurant..., par Me Barret, avocat au barreau d'Angers ; Mme D... demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 11-5450 en date du 13 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Nantes n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation solidaire du centre hospitalier universitaire (CHU) d'Angers et de la société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM) à l'indemniser, à titre personnel et en qualité d'ayant-droit, des préjudices résultant du décès de son père, M. A...D..., survenu le 8 mars 2008 lors de sa prise en charge dans l'établissement ;

2°) de condamner solidairement le CHU d'Angers et la SHAM à lui verser la somme de 14 250 euros en réparation du préjudice subi par son père et transmis à la succession, et la somme de 20 603,30 euros en réparation des préjudices subis par elle, sommes qui seront assorties des intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

3°) de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier universitaire d'Angers et de la SHAM la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens ;

elle soutient que :

- le jugement du tribunal doit être confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité du centre hospitalier universitaire d'Angers du fait d'une faute dans l'organisation du service résultant de l'impossibilité de réaliser une échographie en urgence et d'une faute résultant du retard à poser le diagnostic ;

- le taux de perte de chance qui doit être retenu, si l'échographie abdominale avait été réalisée plus tôt, doit être fixé à 95% ;

- les souffrances endurées par son père doivent être évaluées à 5 sur une échelle de 7 et justifient le versement d'une indemnité de 15 000 euros soit une somme de 14 250 euros compte tenu du taux de perte de chance de 95% ;

- sa propre souffrance morale du fait du décès de son père justifie une indemnité de 12 500 euros, soit une somme de 11 875 euros compte tenu du taux de perte de chance de 95% ;

- le préjudice personnel subi du fait de la perte de chance de survie de son père doit être évalué à 7 000 euros, soit une somme de 6 650 euros compte tenu du taux de perte de chance de 95% ;

- elle a exposé des frais d'avocat pour 1 674,40 euros durant la procédure amiable devant la CRCI et des frais d'obsèques pour 514 € ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2015, présenté pour le CHU d'Angers et la SHAM par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; le CHU d'Angers et la SHAM concluent au rejet de la requête ;

ils soutiennent que :

- le taux de perte de chance de 25% retenu par le tribunal doit être confirmé, les éléments avancés par la requérante ne permettent pas de retenir un taux supérieur ;

- la demande de Mme D... tendant à être indemnisée du fait de la perte d'une chance de survie de son père doit être rejetée ; les indemnités accordées par le tribunal doivent être confirmées ;

Vu, enregistrée le 20 janvier 2015, la lettre présentée par la caisse primaire d'assurance maladie du Maine-et-Loire qui informe la cour qu'elle n'a pas de créance à faire valoir dans cette instance ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code civil ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 mai 2015 :

- le rapport de Mme Specht, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Giraud, rapporteur public ;

1. Considérant que M. A...D..., né en 1935, a été admis le 8 mars 2008 à 6h 45 au service des urgences du CHU d'Angers pour des douleurs abdominales intenses et des vomissements ; qu'il est décédé à 12h 15 d'une rupture d'anévrisme de l'aorte abdominale au cours d'une intervention chirurgicale réalisée en urgence ; que MmeD..., sa fille, a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) des Pays de la Loire, laquelle, après avoir désigné un expert, a émis le 28 octobre 2010 un avis selon lequel le décès de M. D... était dû à un manque de moyens diagnostiques qui lui avait fait perdre une chance de survie et la responsabilité de l'établissement devait être retenue ; que la SHAM, assureur de l'établissement, ayant refusé de formuler une offre d'indemnisation, Mme D...a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation solidaire du CHU d'Angers et de la SHAM à l'indemniser, en sa qualité d'ayant droit et à titre personnel, des préjudices résultant du décès de son père ; qu'elle relève appel du jugement du 13 février 2014 en tant que le tribunal n'a pas fait entièrement droit à ses conclusions indemnitaires ;

Sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire d'Angers :

2. Considérant que le tribunal administratif de Nantes, se fondant sur les conclusions du rapport d'expertise déposé le 8 avril 2010 devant la CRCI des Pays de la Loire, a retenu à l'encontre du CHU d'Angers un défaut dans l'organisation du service public hospitalier résultant de l'impossibilité, durant les périodes de garde, de réaliser une échographie en urgence devant un syndrome abdominal suspect et du retard du diagnostic fautif qui en est la conséquence, et a estimé que la responsabilité de cet établissement était par suite engagée sur le fondement de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ; que le centre hospitalier ne conteste plus en appel sa responsabilité ;

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne la perte de chance :

3. Considérant que, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise déposé devant la CRCI que M. D..., qui présentait un anévrisme fissuré de l'aorte abdominale, a été pris en charge au service des urgences du CHU d'Angers le 8 mars 2008 à 07h 10 et que l'interne de garde, devant un tableau symptomatique évoquant des coliques néphrétiques, a seulement prescrit une radiographie de l'abdomen sans préparation ; qu'au cours de cet examen, M. D...a fait un malaise transitoire sans perte de connaissance et qu'à 10h 45 il a présenté un état de choc ; qu'une échographie réalisée au lit du patient à 11h 18 a révélé une rupture de l'anévrisme de l'aorte abdominale ; que le patient a été transféré d'urgence au bloc opératoire mais y est décédé à 12h 15 malgré les manoeuvres de réanimation ; qu'il résulte des termes du rapport d'expertise que le retard de diagnostic concerne la période située entre 8h 17, heure du premier malaise de M. D... et 10 h 45, heure du choc hémorragique ; que l'expert, après avoir précisé que la vitesse d'évolution d'un anévrisme était toujours imprévisible et que, dans le cas d'un anévrisme abdominal fissuré pris en charge immédiatement, le taux de décès s'élevait à 37%, a estimé qu'en l'espèce le retard de diagnostic dû à l'absence de réalisation rapide d'une échographie avait fait perdre à M. D... une chance d'être opéré avant la rupture de l'anévrisme et de survivre dont le taux devait être évalué à 25 % ; que, dans ces conditions, c'est à juste titre que les juges de première instance ont retenu le taux de 25% pour apprécier la perte de chance de survie de M. D... ; que l'indemnisation mise à la charge du CHU d'Angers doit par suite être limitée à un quart des préjudices subis ;

En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices de la succession de M. D... :

5. Considérant que le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause ; que si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers ;

6. Considérant si Mme D...soutient que les souffrances endurées par son père doivent être évaluées à 5 sur une échelle de 7, elle n'apporte pas d'élément de nature à remettre en cause l'évaluation faite par l'expert d'un taux de 3 sur la même échelle de 7 ; que, toutefois, l'évaluation par le tribunal du préjudice subi par la victime apparaît insuffisante eu égard aux sommes généralement accordées dans ce cas de figure ; qu'il y a lieu de porter l'indemnité due à ce titre de 2 500 à 3 500 euros ; que compte tenu de l'application du taux de perte de chance de 25%, l'indemnité mise à la charge du CHU d'Angers doit être portée à 875 euros ;

En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices de MmeD... :

7. Considérant, en premier lieu, que les parties au litige ne contestent pas l'évaluation retenue par le tribunal administratif de Nantes en ce qui concerne les frais d'avocat d'un montant de 1 674,40 euros exposés par la requérante dans le cadre de la procédure amiable devant la CRCI des Pays de la Loire et les frais de sépulture d'un montant de 514 euros ; qu'il y a lieu, compte tenu de l'application du taux de perte de chance de 25%, de confirmer l'indemnité de 548 euros mise à la charge du CHU d'Angers ;

8. Considérant, en second lieu, que si Mme D...invoque un préjudice moral personnel résultant de la perte de chance de survie de son père, un tel préjudice ne constitue pas, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, un chef de préjudice distinct de celui réparé au titre du préjudice moral ou d'affection du fait du décès de son parent ; que sa demande tendant à l'indemnisation de ce chef de préjudice spécifique ne peut dès lors qu'être rejetée ; qu'en revanche l'évaluation faite par le tribunal administratif du préjudice moral subi par Mme D... du fait du décès de son père apparaît insuffisante ; qu'il y a lieu de porter l'indemnité de 6 000 à 8 000 euros ; que compte tenu de l'application du taux de perte de chance de 25%, l'indemnité mise à la charge du CHU d'Angers doit être portée à 2 000 euros ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'indemnité totale mise à la charge du CHU d'Angers est portée de 2 673 à 3 423 euros ; que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date du jugement ainsi que Mme D... le demande ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme D... est seulement fondée à demander, dans la mesure précisée au point 9, la réformation du jugement attaqué du tribunal administratif de Nantes ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande de Mme D...tendant à ce que soit mise à la charge du CHU d'Angers la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que le CHU d'Angers a été condamné par le tribunal administratif de Nantes à verser à Mme D...est portée à 3 423 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date du jugement du tribunal administratif de Nantes.

Article 2 : Le jugement n° 11-5450 du 13 février 20145 du tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...D..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Maine-et-Loire, au centre hospitalier universitaire d'Angers et à la société hospitalière d'assurances mutuelles.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2015, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- Mme Specht, premier conseiller,

- Mme Gélard, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 4 juin 2015.

Le rapporteur,

F. SPECHTLe président,

I. PERROT

Le greffier,

M. B...

La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 14NT00949
Date de la décision : 04/06/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Frédérique SPECHT
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : CABINET BARRET RICHARD MENANTEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-06-04;14nt00949 ?
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