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29/05/2015 | FRANCE | N°13NT03195

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 29 mai 2015, 13NT03195


Vu la requête, enregistrée le 18 novembre 2013, présentée pour Mme B...C..., demeurant..., par Me Mari, avocat au barreau de Caen ; Mme C...demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 13-261 du 19 septembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 4 décembre 2012 autorisant son licenciement ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, outre une somme de 3

5 euros en remboursement de la contribution à l'aide juridique ;

elle soutien...

Vu la requête, enregistrée le 18 novembre 2013, présentée pour Mme B...C..., demeurant..., par Me Mari, avocat au barreau de Caen ; Mme C...demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 13-261 du 19 septembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 4 décembre 2012 autorisant son licenciement ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, outre une somme de 35 euros en remboursement de la contribution à l'aide juridique ;

elle soutient que :

- il n'est pas justifié de la compétence de M.A..., signataire de la décision litigieuse ;

- elle n'a pas été mise à même de prendre connaissance des pièces de son dossier dans le cadre de l'enquête contradictoire, en méconnaissance de l'article R. 2421-1-1 du code du travail ; les informations obtenues dans le cadre de l'enquête de police ne peuvent pallier cette carence, ni davantage le fait que certaines pièces lui ont été présentées par l'inspecteur du travail lors de leur unique entretien ;

- les poursuites disciplinaires n'ont pas été engagées dans le délai de deux mois à compter de la connaissance par l'employeur des faits reprochés comme l'exige l'article L. 1332-4 du code du travail ;

- les fautes qui lui sont reprochées n'ont pas eu de répercussions sur le fonctionnement de l'entreprise et ne manifestent aucune intention de nuire à l'employeur ; que, par suite, ces fautes, commises dans l'exercice de fonctions représentatives et non en exécution du contrat de travail, ne peuvent donner lieu à licenciement ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2014, présenté pour la société Caen Distribution, dont le siège est situé 24 rue Lanfranc à Caen (14062), par Me Richon, avocat au barreau du Val-de-Marne, qui conclut au rejet de la requête et demande que soit mis à la charge de Mme C...les entiers dépens ; elle fait valoir que :

- il a été justifié de la compétence de l'auteur de l'acte ;

- Mme C...était parfaitement informée des éléments du dossier, suite notamment à l'enquête de police ; tous les éléments de fait ont été exposés lors de l'entretien préalable le 31 octobre 2012, puis lors de la réunion du comité d'entreprise du 7 novembre 2012 ;

- ce n'est que le 11 septembre 2012 que la société Caen Distribution a eu une connaissance exacte de la nature et de l'ampleur des actes de MmeC... ; qu'au surplus une plaine pénale a été déposée dès le 11 septembre 2012, qui a eu pour effet d'interrompre le délai de prescription de deux mois posé par l'article L. 1332-4 du code du travail ; la procédure n'était donc pas tardive ;

- les faits reprochés, dont la matérialité est établie, justifient par leur gravité la mise en oeuvre d'une procédure de licenciement pour faute lourde ;

Vu le mémoire en production de pièce, enregistré le 4 novembre 2014, présenté pour la société Caen Distribution ;

Vu l'ordonnance du 11 mars 2015 fixant la clôture d'instruction au 25 mars 2015, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 20 mars 2015, présenté par le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, qui conclut au rejet de la requête, en faisant valoir que :

- le signataire de l'acte contesté était compétent ;

- l'inspecteur du travail ne pouvait se prononcer que sur la qualification retenue par l'employeur ; les actes étaient bien fautifs dès lors qu'ils caractérisent un abus de confiance et un exercice anormal des fonctions représentatives ;

Vu le mémoire, enregistré le 25 mars 2015, présentés par le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, qui maintient ses conclusions antérieures par les mêmes motifs, et en ajoutant que :

- le caractère contradictoire de l'enquête n'a pas été méconnu ;

- le délai de prescription n'était pas expiré au moment de l'engagement des poursuites ;

Vu l'ordonnance du 27 mars 2015 portant réouverture de l'instruction ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 mai 2015, présentée pour la société Caen Distribution ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 mai 2015 :

- le rapport de Pouget, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Delesalle, rapporteur public ;

- les observations de Me D...substituant Me Mari, avocat de MmeC... ;

- et les observations de Me Richon, avocat de la société Caen Distribution ;

1. Considérant que Mme C...a été employée comme hôtesse de caisse à compter du 2 mars 1999 par la société Caen Distribution, qui exploite un hypermarché à l'enseigne Leclerc ; qu'elle détenait les mandats de déléguée du personnel, de membre du comité d'entreprise et de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; que Mme C...relève appel du jugement du 19 septembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 4 décembre 2012 autorisant son licenciement pour faute lourde ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Considérant, en premier lieu qu'aux termes de l'article L. 2421-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " (...) La demande d'autorisation de licenciement est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement dans lequel le salarié est employé. (...) " ;

3. Considérant que par une décision du 18 décembre 2009 régulièrement publiée au recueil des actes administratif du Calvados du 5 janvier 2010, le directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle du Calvados a confié à M.A..., directeur adjoint, la 8ème section de l'inspection du travail, comprenant notamment, en vertu d'une décision du 16 décembre 2009 publiée au même recueil, le secteur de Caen dans lequel se situe la rue Lanfranc, où la société Caen Distribution a son siège ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée doit être écarté ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que selon l'article R. 2421-4 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire (...) " ; que le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément à ces dispositions n'impose pas à l'employeur de communiquer lui-même au salarié les pièces jointes à la demande d'autorisation de licenciement dont il saisit l'inspecteur du travail ; qu'elle impose en revanche à ce dernier de mettre en temps utile à la disposition du salarié les pièces qui lui ont été adressées par l'employeur, ainsi que ceux des éléments qu'il a pu lui-même recueillir et qui sont déterminants pour établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître la teneur de ces éléments puisse alors exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation ;

5. Considérant qu'étaient joints à la demande d'autorisation de licenciement adressée le 14 novembre 2012 à l'inspecteur du travail par la société Caen Distribution les listings d'utilisation des cartes cadeaux acquises sur les fonds du comité d'entreprise, la plainte de la société Caen Distribution auprès des services de police de Caen, les courriers de convocation de Mme C...à l'entretien préalable à son licenciement et à la réunion extraordinaire du comité d'entreprise, les courriers de convocation des membres du comité d'entreprise à cette même réunion, le procès-verbal de cette réunion et la lettre de démission de Mme C...de son poste de trésorière du comité d'entreprise ; qu'il n'est pas contesté que ces éléments, et notamment les listings d'utilisation des cartes cadeaux, dont Mme C...avait pu prendre préalablement connaissance dans le cadre de l'enquête de police et de la procédure disciplinaire préalable à son licenciement, ont été présentés à l'intéressée par l'inspecteur du travail lors de l'entretien qu'il a eu avec elle le 29 novembre 2012 ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'inspecteur du travail aurait, au cours de son enquête, recueilli d'autres éléments déterminants de nature à établir ou infirmer la matérialité des faits reprochés, au demeurant reconnus par la salariée, qu'il aurait omis de mettre à la disposition de cette dernière ; que, dans ces conditions, Mme C...n'est pas fondée à soutenir que l'inspecteur du travail ne l'aurait pas mise à même de disposer en temps utile des éléments indispensables à sa défense et que l'enquête aurait ainsi été menée en méconnaissance du principe du contradictoire ;

6. Considérant, en troisième lieu, que l'article L. 1332-4 du code du travail dispose : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. (...) " ; que ce délai commence à courir lorsque l'employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié protégé ;

7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la société Caen Distribution, si elle a eu un premier doute sur les agissements de Mme C...le 16 juillet 2012, à la suite de l'achat de trois cartes cadeaux par cette dernière au moyen d'un chèque tiré sur le compte bancaire du comité d'entreprise, n'a acquis une pleine et entière connaissance de la réalité et de l'étendue des malversations commises par la salariée qu'à l'issue d'investigations internes qui se sont déroulées jusqu'au 11 septembre 2012 ; que l'employeur a d'ailleurs, à cette même date, engagé des poursuites pénales à l'encontre de MmeC... ; que cette dernière n'est donc pas fondée à soutenir que la procédure disciplinaire initiée le 24 octobre 2012 par la société Caen Distribution aurait été tardive au regard des dispositions précitées ;

8. Considérant, en quatrième et dernier lieu, qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; qu'un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat ;

9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que MmeC..., qui ne conteste pas la matérialité des faits qui lui sont reprochés, a durant plusieurs mois détourné des cartes cadeaux acquises avec la caisse du comité d'entreprise dont elle était trésorière, et au moyen desquelles elle-même et des membres de sa famille ont procédé à divers achats de biens de consommation courante, de matériel hifi ou de bijoux, pour un montant total de plus de 2 000 euros ; que ces actes constitutifs d'un abus de confiance, alors même qu'ils ne relèvent pas d'une intention de nuire à l'employeur et ne procèdent pas de l'exécution même du contrat de travail, révèlent un défaut de probité et de loyauté contraire aux obligations contractuelles de la salariée, constitutif d'une faute grave de nature à justifier son licenciement ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme C...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par MmeC..., au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C...une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés au même titre par la société Caen Distribution ; que la requérante versera en outre à cette société une somme de 35 euros correspondant à la contribution juridique qu'elle a dû acquitter, et conservera la charge de la dépense qu'elle a elle-même exposée à ce titre ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C...est rejetée.

Article 2 : Mme C...versera à la société Caen Distribution une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi qu'une somme de 35 euros en application de l'article R. 761-1 du même code.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...C..., au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, et à la société Caen Distribution.

Délibéré après l'audience du 5 mai 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Millet, président,

- Mme Buffet, premier conseiller,

- M. Pouget, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 mai 2015.

Le rapporteur,

L. POUGET Le président,

JF. MILLET

Le greffier,

S. BOYÈRE

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13NT03195


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 13NT03195
Date de la décision : 29/05/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. MILLET
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET
Rapporteur public ?: M. DELESALLE
Avocat(s) : CABINET FORVEILLE MARI LELONG

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-05-29;13nt03195 ?
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