Vu la requête, enregistrée le 9 mai 2014, présentée pour la société Nutréa Nutrition Animale (NNA), dont le siège social est situé Gare de Baud à Languidic (56440), par Me Perrot, avocat au barreau de Brest ; la société NNA demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 12-583 du 13 mars 2014 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé les décisions des 29 août 2011 et 8 décembre 2011 par lesquelles l'inspecteur du travail du Finistère a autorisé le licenciement de M. A...;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de M. A...une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que :
- les décisions de l'inspecteur du travail ont été suffisamment motivées en droit et en fait ;
- l'obligation de reclassement est une obligation de moyens et non de résultat, qui n'impose pas à l'employeur d'assurer l'adaptation d'un salarié à une fonction initiale différente de celle qu'il a acquise ; la société NNA a effectué, en interne et en externe, une recherche effective de postes correspondant à la fois au profil et aux aspirations de M. A...et à son aptitude physique, et a proposé à ce dernier deux emplois adaptés, qu'il a refusés ; le nombre de postes proposés n'a pas à être proportionné au nombre de salariés de l'entreprise, la société NNA n'ayant d'ailleurs pas un effectif de 5 000 salariés ; ainsi elle a rempli son obligation de reclassement de M.A... ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2014, présenté pour M. FrançoisA..., demeurant au..., par Me Varnoux, avocat au barreau de Quimper, qui conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la société NNA une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
il fait valoir que :
- les décisions de l'inspecteur du travail ne sont pas suffisamment motivées dès lors que leur rédaction ne permet pas de s'assurer que l'inspecteur a effectivement apprécié si les propositions de reclassement faites par l'employeur étaient concrètes, précises et personnalisées, au regard notamment de ses capacités physiques et des possibilités d'adaptation des postes ;
- les deux postes proposés ne correspondaient pas à ses anciennes fonctions et n'étaient pas compatibles avec ses capacités ; la société NNA fait partie d'un groupe comportant 4 200 salariés et plusieurs sites situés à proximité de son lieu de travail ; il n'apparaît pas qu'elle aurait recherché un poste adapté ou pouvant l'être dans ces sites ; elle n'a notamment pas proposé à certains salariés une modification de leur contrat de travail afin de pouvoir lui offrir un poste proche de son domicile ; l'engagement de la société NNA a accompagner son reclassement est apparu fictif ; la recherche de reclassement n'a donc pas été suffisante ni faite de bonne foi et avec loyauté ;
- il n'est pas justifié par la société de ce que les membres du comté d'entreprise auraient été informés de l'ensemble des mandats qu'il détenait, en méconnaissance de l'article L. 2421-3 du code du travail ;
Vu le mémoire, enregistré le 9 décembre 2014, présenté pour la société NNA, qui persiste dans les conclusions de sa requête par les mêmes moyens, et en ajoutant que :
- les membres du comité d'entreprise étaient informés de l'ensemble des mandats représentatifs détenus par M.A... ;
Vu le mémoire, enregistré le 30 mars 2015, présenté par le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, qui conclut à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 mars 2014, en renvoyant aux écritures présentées en première instance par l'administration du travail ;
Vu la lettre du 2 avril 2015 par laquelle le président de la formation de jugement a informé les parties de ce que la cour était susceptible de soulever un moyen d'office ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 avril 2015 :
- le rapport de Pouget, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Delesalle, rapporteur public ;
1. Considérant que M. A...a été employé à compter du 14 mars 1977 en qualité de chauffeur-livreur d'aliments de bétail par la société Nutréa Nutrition Animale (NNA), filiale du groupe Triskalia ; qu'en mai 2011, à l'occasion des visites médicales de reprise du travail consécutives à un congé de maladie, le médecin du travail a conclu à l'inaptitude de M. A...à son poste de travail au sein de l'établissement de Cast ; que, l'intéressé ayant refusé deux offres de reclassement sur d'autres sites du groupe auquel appartient la société NNA, celle-ci a engagé à son encontre une procédure de licenciement pour inaptitude physique le 5 juillet 2011 ; qu'en raison des mandats de représentant du personnel détenus par M.A..., la société NNA a saisi l'inspecteur du travail le 11 juillet 2011 d'une demande d'autorisation de licenciement ; que l'inspecteur du travail a accordé l'autorisation sollicitée par une décision du 29 août 2011, confirmée sur recours gracieux le 8 décembre 2011 ; que la société NNA relève appel du jugement du 13 mars 2014 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé ces décisions ;
Sur la légalité des décisions contestées :
2. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 1226-2 du code du travail : " Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. / Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. " ;
3. Considérant qu'en vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale ; qu'en vertu des dispositions précitées, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé compte tenu des possibilités de reclassement du salarié dans l'entreprise ou dans le groupe auquel, le cas échéant, elle appartient, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations des postes de travail ou aménagement du temps de travail ;
4. Considérant que M. A...a dû subir la pose d'une prothèse au genou droit le 19 octobre 2010 ; que par deux avis émis les 12 et 27 mai 2011 le médecin du travail a relevé l'inaptitude du salarié à la reprise de ses fonctions de chauffeur-livreur mais a suggéré son reclassement sur un poste de travail excluant d'accéder à une cabine de camion, de monter et descendre d'une échelle et de porter des charges supérieures à dix kilogrammes ; que toutefois, alors d'une part que ces restrictions à l'aptitude de M. A...restaient compatibles avec de nombreux profils de postes, et qu'il est constant d'autre part que le groupe Triskalia, qui emploie environ 4 200 salariés sur 300 sites en Bretagne, dispose de pas moins de vingt-six établissements distants de moins de trente-trois kilomètres du domicile de l'intéressé, la société NNA n'a proposé à ce dernier que deux postes administratifs dans des établissements situés à Plouisy et à Landerneau, situés respectivement à cent-huit kilomètres (et une heure quarante-cinq de trajet) et à quarante-six kilomètres (et cinquante minutes de trajet) de son domicile ; que l'employeur n'établit nullement, ni d'ailleurs n'allègue, avoir procédé en priorité à une recherche de reclassement, au besoin par transformation ou adaptation de poste, au sein de l'établissement de Cast, où travaillait jusqu'alors M.A..., ou dans d'autres établissements proches de son domicile ; que la société NNA ne peut ainsi être regardée comme ayant procédé à une recherche sérieuse et loyale des possibilités de reclassement de M.A... ; que, pour ce seul motif, le tribunal administratif de Rennes a pu, à bon droit, annuler les décisions contestées ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société NNA n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé les décisions de l'inspecteur du travail des 29 août 2011 et 8 décembre 2011 ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ; que ces dispositions s'opposent à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par la société NNA ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société NNA une somme de 2 000 euros à verser à M. A...sur le fondement des mêmes dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société NNA est rejetée.
Article 2 : La société NNA versera à M. A...une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société NNA, au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, et à M. FrançoisA....
Délibéré après l'audience du 7 avril 2015, à laquelle siégeaient :
- M. Millet, président,
- M. François, premier conseiller,
- M. Pouget, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 mai 2015.
Le rapporteur,
L. POUGET Le président,
JF. MILLET
Le greffier,
S. BOYÈRE
La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14NT01236