Vu la requête, enregistrée le 7 mars 2014, présentée pour M. B... A..., demeurant..., par Me Chenebit, avocat au barreau de Bordeaux ; M. A... demande à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 13-758 en date du 18 février 2014 par lequel le tribunal administratif d'Orléans n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier Jacques Coeur de Bourges à réparer les préjudices résultant selon lui de l'intervention chirurgicale réalisée le 22 mai 2009 dans cet établissement ;
2°) de condamner le centre hospitalier Jacques Coeur de Bourges à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de provision et d'ordonner une expertise complémentaire afin d'évaluer ses préjudices ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Jacques Coeur de Bourges la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal n'a retenu aucune faute dans sa prise en charge par le centre hospitalier de Bourges ; en effet, la responsabilité de l'établissement est engagée compte tenu des conséquences disproportionnées de l'acte chirurgical banal et bénin qui a été pratiqué ;
- il subit un préjudice anormal et important, notamment d'ordre sexuel, qui est la conséquence directe de la faute commise par le centre hospitalier ;
- il n'a pas été informé du risque d'incontinence et d'impuissance que présentait l'intervention chirurgicale ;
- une mesure d'expertise doit être organisée afin d'évaluer ses préjudices ;
- il est fondé à demander le versement d'une provision de 30 000 euros ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2014, présenté pour le centre hospitalier de Bourges par Me Lacan avocat au barreau de Paris ; le centre hospitalier de Bourges conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement en tant que le tribunal l'a condamné à verser à M. A...la somme de 1 864,20 euros ;
3°) à ce que soit mise à la charge de M. A... la somme de 2 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
il fait valoir que :
- le jugement doit être confirmé en ce qu'il n'a pas retenu de faute commise lors de l'intervention chirurgicale du 22 mai 2009 ;
- le jugement doit être réformé en ce qu'il a retenu l'existence d'un défaut d'information alors que les pièces produites établissent que M. A...a reçu une information sur les risques que présentait l'intervention chirurgicale et qu'en tout état de cause, ainsi que l'a relevé l'expert, l'intervention proposée à l'intéressé était indispensable, l'intéressé ne disposant pas de possibilité raisonnable de refus ;
Vu le mémoire, enregistré le 19 novembre 2014, présenté pour M. A..., qui conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ; il soutient en outre que :
- l'attestation du chirurgien produite par le centre hospitalier ne constitue pas un élément de preuve de l'information donnée ; il n'est pas établi que les fiches de renseignements évoquées ont effectivement été remises ;
- le rapport d'expertise ne permet pas d'affirmer que l'intervention était impérieusement requise ni qu'il ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus ;
Vu la mise en demeure adressée le 17 février 2015 à la caisse primaire d'assurance maladie du Cher en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 mars 2015 :
- le rapport de Mme Specht, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public ;
- et les observations de Me Chenebit avocat de M. A... ;
1. Considérant que M.A..., né en 1948, a consulté le 23 janvier 2009 le service de chirurgie urologique du centre hospitalier Jacques Coeur à Bourges pour une dysurie d'aggravation rapide ; qu'après un traitement médical sans effet, des examens réalisés le 26 février 2009 ont révélé l'existence d'un adénome prostatique pour lequel l'indication d'une résection endoscopique de prostate a été posée ; que l'intervention a été réalisée le 22 mai 2009 dans cet établissement et a été suivie pour M. A...d'une incontinence totale qui a été traitée par deux interventions chirurgicales successives, la première effectuée le 7 septembre 2009 pour régularisation de la loge prostatique qui a permis une régression des séquelles, et la seconde réalisée le 10 janvier 2011 pour la mise en place d'une bandelette sous urétrale qui a permis une amélioration de l'état de santé de M. A... ; que l'intéressé, qui se plaint d'une incontinence résiduelle et de troubles sexuels, a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) du Centre d'une demande d'indemnisation ; qu'au vu du rapport de l'expert médical désigné par elle, cette commission a rejeté la demande de M. A... par un avis du 7 décembre 2011, au motif que les troubles subis par celui-ci ne présentaient pas les critères de gravité prévus par les dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique pour permettre une indemnisation de l'intéressé au titre de la solidarité nationale ; que M. A...a adressé le 8 février 2013 au centre hospitalier de Bourges une réclamation indemnitaire qui a été rejetée par une décision du 26 février 2013 ; qu'il relève appel du jugement du 18 février 2014 du tribunal administratif d'Orléans en tant que celui-ci n'a que partiellement fait droit à sa demande d'indemnisation des préjudices résultant pour lui de l'intervention réalisée le 22 mai 2009 ; que le centre hospitalier conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement en tant qu'il a retenu un défaut d'information à l'origine d'une perte de chance de 20% d'éviter les séquelles constatées ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Bourges :
En ce qui concerne les conditions de réalisation de l'intervention chirurgicale du 22 mai 2009 :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...) / II. Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit" au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire". / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. " ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que si l'expert désigné par la CRCI du Centre a indiqué dans ses conclusions que l'incontinence urinaire dont avait été victime M. A... était directement et exclusivement imputable à la résection trans-urétrale de la prostate réalisée le 22 mai 2009 au centre hospitalier de Bourges et qu'il s'agissait d'une affection iatrogène, il a dans le même temps relevé que le comportement du médecin et de l'équipe médicale avait été conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science en ce qui concerne l'établissement du diagnostic, le choix du traitement et de sa surveillance et l'organisation du service et son fonctionnement, tout en notant par ailleurs que " le dommage est en lien avec des moyens en personnel insuffisants en qualité " et que " le dommage trouve son origine dans la réalisation d'un risque inhérent à l'acte mal effectué " ; que les conclusions imprécises de ce rapport d'expertise ne permettent pas, en l'état de l'instruction, à la cour de se prononcer sur le point de savoir si des fautes ont été commises dans la prise en charge de M. A... au centre hospitalier de Bourges ni si les complications subies par l'intéressé étaient inhérentes aux actes chirurgicaux pratiqués et à l'évolution normale de son état de santé ; qu'il y a lieu, par suite, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de M. A..., d'ordonner une nouvelle expertise à cette fin ;
4. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le centre hospitalier de Bourges à verser à M. A... la somme qu'il demande à titre de provision ;
DÉCIDE :
Article 1er : Avant de statuer sur les conclusions de M. A..., il sera procédé à une expertise contradictoire entre les parties qui sera réalisée par un médecin spécialisé en chirurgie urologique.
Article 2 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Après avoir pris connaissance du dossier médical de M. A...et de toutes autres pièces produites par les parties, il aura pour mission d'indiquer :
- si l'intervention du 22 mai 2009 réalisée au centre hospitalier de Bourges était justifiée par l'état de santé de M. A... et si elle a été réalisée conformément aux données acquises de la science, et de préciser s'il existait une alternative thérapeutique à cette intervention ;
- si les complications subies par M. A... sont directement imputables à cette intervention chirurgicale ;
- si ces complications étaient inhérentes aux actes chirurgicaux pratiqués ou à l'évolution normale de l'état de santé du patient ;
- si l'intéressé a été informé des risques inhérents à l'intervention chirurgicale pratiquée ;
- de préciser à quelle date l'état de santé de M. A... peut être considéré comme consolidé ;
- de dire si l'état de santé de M. A... a entraîné un déficit fonctionnel temporaire et d'en préciser les dates de début et de fin, ainsi que le ou les taux en distinguant précisément la part éventuellement imputable aux conséquences de l'intervention du 22 mai 2009 de celle ayant pour origine toute autre cause ou pathologie, eu égard, notamment aux antécédents médicaux de l'intéressé ;
- de préciser s'il subsiste un déficit fonctionnel permanent et dans l'affirmative d'en fixer le taux en distinguant le cas échéant les différentes causes éventuelles ; dans le cas où cet état ne serait pas encore consolidé, d'indiquer si, dès à présent, un déficit fonctionnel permanent est prévisible, et d'en évaluer l'importance en distinguant, comme ci-dessus, les différentes causes éventuelles ;
- d'indiquer tous les éléments permettant d'évaluer les autres postes de préjudices tels que les souffrances physiques et morales endurées, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément, préjudice sexuel, et le cas échéant d'en évaluer l'importance, en distinguant la part imputable à l'intervention précitée de celle ayant pour origine toute autre cause ou pathologie, eu égard, notamment aux antécédents médicaux de l'intéressé.
Article 3 : L'expert adressera aux parties un pré-rapport et annexera à son rapport définitif les dires des parties qu'il aura analysés.
Article 4 : L'expert déposera son rapport en quatre exemplaires au greffe de la cour dans le délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Cher et au centre hospitalier de Bourges.
Délibéré après l'audience du 19 mars 2015, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- Mme Specht, premier conseiller,
- Mme Gélard, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 9 avril 2015.
Le rapporteur,
F. SPECHTLe président,
I. PERROT
Le greffier,
A. MAUGENDRE
La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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