Vu la requête, enregistrée le 4 février 2014, présentée pour la société 2B Recyclage SAS, dont le siège social est Misengrain à Noyant-la-Gravoyère (49520), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, par Me Buttier, avocat au barreau de Nantes ; la société 2B Recyclage SAS demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1001297 du 5 décembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes lui a enjoint, sur la demande de Réseau Ferré de France, d'évacuer la parcelle cadastrée section BN n° 214 qu'elle occupe, sur le territoire de la commune de Nantes, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, faute d'avoir déféré à cette injonction dans le délai de trois mois à compter de sa notification ;
2°) de rejeter la demande d'expulsion, sous astreinte, présentée par Réseau Ferré de France devant le tribunal administratif de Nantes comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
3°) subsidiairement d'annuler, voire de réduire l'astreinte, dont l'injonction a été assortie, à la somme de 50 euros par jour de retard, à compter d'un délai de 24 mois à compter de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de Réseau Ferré de France le versement à son profit d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que :
- la juridiction administrative est incompétente pour ordonner son expulsion sous astreinte, la parcelle litigieuse relevant du domaine privé de Réseau Ferré de France (RFF) ;
- les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques ne peuvent trouver à s'appliquer, la convention liant les parties ayant été régularisée antérieurement à son entrée en vigueur ;
- la parcelle litigieuse est dépourvue, et l'a toujours été, de tout aménagement spécifique, lié à une éventuelle affectation au service public du chemin de fer, de sorte qu'elle ne peut être regardée comme relevant du domaine public ;
- le terrain occupé est qualifié par la convention de " terrain nu " et le plan qui lui est annexé fait apparaître une limite de parcelle n'incluant nullement les voies ferrées ou tout autre aménagement ;
- c'est donc à tort que les premiers juges ont estimé que la parcelle se trouvait " dans l'emprise de la gare de triage " et qu'elle disposait d'un " embranchement ferroviaire particulier et d'une voie de circulation routière débouchant sur la voie ferrée " ;
- l'incorporation au domaine public n'a pu intervenir, en outre, postérieurement à la signature par la société 2B Recyclage de la convention d'occupation dans la mesure où elle a développé sur l'aire en cause une activité exclusivement commerciale ;
- subsidiairement, saisi de conclusions à fin d'astreinte, le juge doit statuer sur la demande en tenant compte de la situation de droit et de fait au jour de sa décision ;
- or, depuis le 20 juin 2011, il n'existe plus d'activité et d'installation de concassage sur le site, les photographies versées aux débats attestant de la disparition du stock de matériaux bruts et de la remise en état du site engagée au cours de l'été 2012 ;
- seules subsistent sur le site des activités relevant désormais du régime déclaratif (accueil de déchets non dangereux et de déchets inertes en transit ; entreposage de matériaux inertes destinés à la vente) ;
- la circonstance qui avait motivé la résiliation de la convention d'occupation (défaut d'autorisation ICPE) a en tout état de cause disparu ;
- l'expulsion ne saurait, en outre, intervenir avant un délai de 3 ans, durée nécessaire à la remise en état du site actuel et au redéploiement sur un site nouveau ;
- ne saurait ainsi être prononcée à l'encontre de la société 2B Recyclage une astreinte, dès lors qu'elle s'évertue, en toute bonne foi, à rechercher, en dépit des difficultés rencontrées, un site plus adapté à une activité croissante qui assure le traitement des matériaux provenant des grands chantiers de l'agglomération nantaise ;
- enfin, elle entend rappeler, qu'en dépit de la procédure d'expulsion initiée par RFF, elle règle à bonne échéance la redevance qui lui est due au titre de cette occupation ;
- dans ces conditions, la cour devra écarter la demande d'astreinte, au vu des circonstances de fait et de droit précitées, ou très subsidiairement réduire le montant de l'astreinte, qu'elle fera courir à compter d'un délai de 24 mois ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu la lettre du 25 août 2014 par laquelle le président de chambre a mis en demeure RFF d'avoir à produire ses observations dans le délai d'un mois, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative ;
Vu l'ordonnance du 5 janvier 2015 fixant la clôture de l'instruction au 27 janvier 2015 à 12 heures ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2015, présenté pour SNCF Réseau, venant aux droits de Réseau Ferré de France, pris en la personne de son président en exercice, par Me Falala, avocat au barreau de Paris ; SNCF Réseau conclut au rejet de la requête, par la voie de l'appel incident, à ce que l'astreinte prononcée par le jugement du 5 décembre 2013 soit portée à 1 500 euros par jour de retard, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société 2B Recyclage SAS au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
SNCF Réseau soutient que :
- les injonctions adressées à des occupants sans droit ni titre du domaine public ressortent de la compétence exclusive du juge administratif ;
- l'incorporation dans le domaine public ferroviaire des dépendances situées dans l'emprise d'une gare procède classiquement d'une approche globale ;
- elle l'est a fortiori au regard des indications données sur les anciens aménagements spéciaux effectués sur l'aire d'exploitation (embranchement ferroviaire particulier, voie d'accès direct entre la route et les voies) ;
- la qualification de dépendance du domaine public ferroviaire n'a jamais pu cesser en l'absence de décision de déclassement ;
- en cas d'occupation sans titre, une mesure d'expulsion peut être assortie d'une astreinte de l'ordre de 1 500 euros par jour de retard, lorsque l'occupation est ancienne et la récupération du terrain urgente ;
Vu l'ordonnance du 27 janvier 2015 portant réouverture de l'instruction ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;
Vu la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs ;
Vu loi n° 97-135 du 13 février 1997 portant création de l'établissement public " Réseau ferré de France " en vue du renouveau du transport ferroviaire ;
Vu le décret n° 83-816 du 13 septembre 1983 relatif au domaine confié à la société nationale des chemins de fer français ;
Vu le décret n° 97-445 du 5 mai 1997 portant constitution du patrimoine initial de l'établissement public Réseau ferré de France ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 février 2015 :
- le rapport de M. Millet, président-assesseur ;
- les conclusions de M. Delesalle, rapporteur public ;
- les observations de Me Buttier, avocat de la société 2B Recyclage SAS, et de Me Falala, avocat de SNCF Réseau ;
1. Considérant que la société 2B Recyclage SAS relève appel du jugement du 5 décembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes lui a enjoint, sur la demande de Réseau Ferré de France (RFF), d'évacuer la parcelle cadastrée section BN n° 214 qu'elle occupe, sans droit, ni titre, au lieu-dit " Le Chemin du Moulin des Marais ", sur le territoire de la commune de Nantes, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, faute d'avoir déféré à cette injonction dans le délai de trois mois à compter de sa notification ; que, par la voie de l'appel incident, SNCF Réseau, venant aux droits de RFF, demande que l'astreinte prononcée par ce jugement soit portée à 1500 euros par jour de retard ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. Considérant que, par une convention signée le 1er novembre 1998, l'établissement public industriel et commercial Réseau Ferré de France (RFF), représenté par la SNCF, son mandataire, a autorisé la société Occamat, devenue la société 2B Recyclage, à occuper une parcelle cadastrée section BN n° 214, située " Chemin du Moulin des Marais ", sur le territoire de la commune de Nantes ; que cette convention, accordée pour une année à compter du 1er novembre 1998, renouvelable ensuite d'année en année par tacite reconduction, permettait à la société 2B Recyclage d'exercer sur cette parcelle les activités d'entreposage et de concassage de béton à recycler, sous réserve d'obtenir les autorisations préalables à l'exercice de cette activité ; qu'en octobre 2005, RFF a été informé par le chef du service maritime et de navigation de Nantes de l'existence de remblais déposés par la société 2B Recyclage sur la parcelle concernée, sans y avoir été autorisée, et des inquiétudes de la Mairie quant aux incidences hydrauliques de ces remblais ; qu'après une mise en demeure restée infructueuse du 27 novembre 2007, tendant à la production des autorisations attestant de la conformité de l'activité de la société à la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement, la société Adyal Grands Comptes, ayant succédé à la SNCF, a avisé la société 2B Recyclage, par décision du 8 avril 2008, de la résiliation de la convention, avec effet au 1er mai 2008, pour non respect des stipulations de l'article 3 de la convention d'occupation du 1er novembre 1998 ; que, par courrier du 18 avril 2008, la société 2B Recyclage a pris acte de cette résiliation, sans la contester, mais n'a pas quitté les lieux ;
3. Considérant que, lorsque le juge administratif est saisi d'une demande tendant à l'expulsion d'un occupant d'une dépendance appartenant à une personne publique, il lui incombe, pour déterminer si la juridiction administrative est compétente pour se prononcer sur ces conclusions, de vérifier que cette dépendance relève du domaine public à la date à laquelle il statue ; qu'à cette fin, il lui appartient de rechercher si cette dépendance a été incorporée au domaine public, en vertu des règles applicables à la date de l'incorporation, et, si tel est le cas, de vérifier en outre qu'à la date à laquelle il se prononce, aucune disposition législative ou, au vu des éléments qui lui sont soumis, aucune décision prise par l'autorité compétente n'a procédé à son déclassement ;
4. Considérant qu'indépendamment de la qualification donnée par les parties à une convention par laquelle une personne publique confère à une personne privée le droit d'occuper un bien dont elle est propriétaire, l'appartenance au domaine public d'un tel bien était, avant la date d'entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques, sauf si ce bien était directement affecté à l'usage du public, subordonnée à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné ;
5. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction qu'antérieurement à la date de signature de la convention d'occupation entre la société 2B Recyclage et la SNCF en 1998, l'emplacement en litige, propriété de l'Etat, puis de RFF, inclus dans l'emprise de la gare de triage du Grand-Blottereau, avait été conçu et aménagé comme une aire de 10 000 m², située au sortir du faisceau de voies ferrées, et affectée à l'exploitation des installations ferroviaires ; qu'il ressort du plan annexé à la convention susmentionnée qu'elle dispose d'un embranchement ferroviaire particulier et d'une voie de circulation routière débouchant sur la voie ferrée ; qu'il résulte ainsi de l'instruction que ladite parcelle a été utilisée pour les besoins du service public du chemin de fer et a fait l'objet, à cette fin, d'aménagements spéciaux ; que, dans ces conditions, elle s'est trouvée incorporée au domaine public ;
6. Considérant, d'autre part, qu'aucune disposition de la loi du 30 décembre 1982, ni du décret du 13 septembre 1983 susvisés n'ont eu pour objet ou pour effet de modifier les affectations domaniales antérieures ou d'opérer des déclassements ; qu'il résulte notamment de l'article 20, alinéa 6 de ladite loi et de l'ensemble des dispositions de ce décret qu'en l'absence d'une mesure de déclassement prononcée par le ministre compétent, les biens immobiliers dépendant du domaine public ferroviaire et gérés par la SNCF ne peuvent être incorporés dans son domaine privé ; que l'emplacement en litige fait partie des immeubles apportés en pleine propriété à RFF en vertu de l'article 5 de la loi du 13 février 1997 et de l'annexe au décret du 5 mai 1997 susvisé ; que son appartenance au domaine public ferroviaire n'a été modifiée, ni par l'intervention de cette loi, ni par l'entrée en vigueur le 1er juillet 2006 du code général de la propriété des personnes publiques ;
7. Considérant, enfin, que si la société 2B Recyclage a exercé sur la parcelle ayant fait l'objet de la convention précitée son activité commerciale et y a installé des équipements destinés à cette activité, et si, temporairement, la parcelle n'a plus été affectée à un service public, cette circonstance n'a pu avoir pour effet, à elle seule, de modifier l'appartenance du terrain au domaine public ferroviaire ; que, d'ailleurs, ce terrain nu, est appelé, dans le cadre du réaménagement de la gare Nantes-Etat, à devenir une plate-forme multimodale notamment destinée à recevoir son activité résiduelle de fret ; qu'ainsi, et à défaut de tout déclassement, la société 2B Recyclage n'est pas fondée à soutenir que la parcelle qu'elle occupe relèverait désormais du domaine privé de RFF ; que, dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le litige se rapportant à cet emplacement relevait de la seule compétence de la juridiction administrative ;
Sur l'astreinte :
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-3 du code de justice administrative : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet " ; qu'il résulte des termes mêmes de ces dispositions qu'il appartient au juge administratif d'apprécier dans chacun des cas qui lui sont soumis s'il y a lieu de prononcer une astreinte ;
9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la convention conclue le 1er novembre 1998 a été résiliée le 1er mai 2008, à défaut d'application des stipulations conventionnelles par la société 2B Recyclage, et que cette société s'est maintenue sur le site, depuis cette date, sans droit, ni titre ; que, dans ces conditions, alors même que la société aurait ultérieurement modifié les conditions de son exploitation, désormais soumise à un régime déclaratif, qu'elle aurait fait des démarches infructueuses pour redéployer son activité sur un autre site, et qu'elle continuerait à verser à RFF sa redevance d'occupation, le tribunal administratif de Nantes n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en ayant enjoint à la société 2B Recyclage d'avoir à évacuer les lieux, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, faute d'avoir exécuté cette injonction dans le délai de trois mois à compter de la notification de son jugement ; que si la société 2B Recyclage demande que l'astreinte soit ramenée à la somme de 50 euros par jour de retard et que SNCF Réseau, venant aux droits de RFF, demande, au contraire, que son montant soit porté à 1 500 euros, la somme retenue par le tribunal ne présente pas un caractère excessif, ni insuffisant ; qu'il résulte de ce qui précède que la société 2B Recyclage SAS et SNCF Réseau, par la voie de l'appel incident, ne sont pas fondés à demander la réformation du jugement quant au montant de l'astreinte fixée par le tribunal administratif de Nantes ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de SNCF Réseau, venant aux droits de RFF, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société 2B Recyclage demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société 2B Recyclage SAS la somme de 2 000 euros au titre des frais de même nature que SNCF Réseau a exposés ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société 2B Recyclage SAS, et les conclusions d'appel incident de SNCF Réseau sont rejetées.
Article 2 : La société 2B Recyclage SAS versera à SNCF Réseau une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société 2B Recyclage SAS et à SNCF Réseau, venant aux droits de Réseau Ferré de France.
Délibéré après l'audience du 24 février 2015, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- M. Millet, président-assesseur,
- Mme Buffet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 mars 2015.
Le rapporteur,
J-F. MILLET
Le président,
A. PÉREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14NT00259