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12/03/2015 | FRANCE | N°13NT02183

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 12 mars 2015, 13NT02183


Vu la requête, enregistrée le 26 juillet 2013, présentée pour la société Saupiquet, dont le siège est 11 avenue Dubonnet à Courbevoie Cedex (92407), par Me Vannini, avocat au barreau des Hauts-de-Seine ; la société Saupiquet demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 10-5431 du 24 mai 2013 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation du titre de perception émis à son encontre le 23 juin 2010 par le trésorier payeur général du Finistère pour un montant de 377 977,09 euros ;

2°) d'annuler le titre de perceptio

n litigieux et de la décharger de la somme de

377 977,09 euros ;

3°) d'ordonn...

Vu la requête, enregistrée le 26 juillet 2013, présentée pour la société Saupiquet, dont le siège est 11 avenue Dubonnet à Courbevoie Cedex (92407), par Me Vannini, avocat au barreau des Hauts-de-Seine ; la société Saupiquet demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 10-5431 du 24 mai 2013 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation du titre de perception émis à son encontre le 23 juin 2010 par le trésorier payeur général du Finistère pour un montant de 377 977,09 euros ;

2°) d'annuler le titre de perception litigieux et de la décharger de la somme de

377 977,09 euros ;

3°) d'ordonner le remboursement de cette somme assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de sa réclamation ;

4°) le cas échéant, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle relative à la validité de la décision de la Commission européenne n° 2005/239/CE du 14 juillet 2004 et de surseoir à statuer dans l'attente de sa décision ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- le tribunal n'a pas analysé le moyen tiré de la violation par la Commission de l'article 14 du règlement n° 659/1999 et du principe de confiance légitime ; pour écarter le moyen tiré de la violation du principe d'égalité, le tribunal n'a pas expliqué en quoi les entreprises qui n'ont pas fait l'objet d'une récupération des aides versées se trouvaient dans une situation différente ;

- le titre de perception litigieux a été émis à l'issue d'une procédure contraire au principe général de droit communautaire relatif au respect des droits de la défense repris à l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux, dès lors qu'aucune véritable procédure contradictoire préalable lui permettant de faire valoir ses observations sur sa qualité de débiteur ainsi que sur le chiffrage ou la méthode de calcul du montant à restituer n'a été mise en oeuvre ;

- le titre de perception, qui se borne à mettre à sa charge la somme de 377 977,09 euros, est insuffisamment motivé et contraire au principe général du droit de l'Union européenne qui figure désormais au point 2. c) de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux ;

- en émettant un titre de perception dix ans après le versement des aides litigieuses aux entreprises de pêche et malgré les garanties données par l'administration, l'Etat a méconnu le principe de sécurité juridique et de confiance légitime ;

- le fait pour l'administration de procéder à la récupération d'exonérations de charges qu'elle avait elle-même consenties aux entreprises, alors qu'elle a laissé s'écouler le délai de prescription de cinq ans et qu'elle n'a délibérément mis en oeuvre aucune mesure d'exécution de la décision de la Commission mais a attendu sa condamnation par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pour se retourner vers les entreprises, constitue une atteinte illégale au respect des biens, tel que protégé, simultanément, par l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la créance est dans son principe totalement infondée puisqu'il existe un doute sérieux sur la validité de la décision de la Commission qui en constitue le fondement, ce qui justifie le renvoi d'une question préjudicielle en appréciation de sa validité à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) ;

- en effet, en enjoignant à la France de procéder à la récupération des sommes en litige la Commission va à l'encontre de l'article 14 du règlement (CE) n° 659/2009 et porte atteinte au principe de confiance légitime ; sa décision est insuffisamment motivée quant aux conditions de distorsion de la concurrence et d'affectation des échanges entre les Etats membres, spécialement pour ce qui concerne la part salariale des cotisations ; elle est contraire à l'article 107 paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dans la mesure où la Commission a identifié une aide globale consistant tant dans l'exonération de la part patronale que de la part salariale alors que cette dernière ne constitue pas un " avantage " aux entreprises ; elle est également contraire à l'article 107 paragraphe 2 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et au règlement (CE) n° 659/1999 dans la mesure où l'aide aurait dû être déclarée compatible et que la Commission ne pouvait donc pas enjoindre à la France de procéder à sa récupération ;

- l'administration a commis plusieurs erreurs de droit dans la détermination du montant de la créance de restitution mise à sa charge en méconnaissance du principe d'égalité ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu la mise en demeure adressée le 16 juin 2014 au ministre des finances et des comptes publics, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu la mise en demeure adressée le 16 juin 2014 au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2014, présenté par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, qui conclut au rejet de la requête ;

il soutient que :

- la société Saupiquet, qui a été destinataire le 14 juin 2010 d'un courrier l'informant du montant de l'aide qui serait mis à sa charge en application de la décision de la Commission du 14 juillet 2004 et l'invitant à prendre contact avec la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture et l'Etablissement national des invalides de la marine (Enim) pour tout renseignement qu'elle aurait jugé utile, n'est pas fondée à soutenir que la procédure prévue par les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, seules applicables en l'espèce, n'aurait pas été respectée ;

- les dispositions relatives à la prescription en matière de cotisations sociales et au délai de 10 ans de conservation des documents comptables ne peuvent faire obstacle à la récupération d'une aide d'Etat contraire au droit communautaire ;

- le titre de perception contesté est suffisamment motivé au regard des exigences de l'article 81 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 et les dispositions de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ne sont pas invocables à cet égard ;

- en l'absence de circonstances exceptionnelles, la société Saupiquet ne peut utilement invoquer le principe de sécurité juridique et de confiance légitime dès lors que les aides litigieuses sont incompatibles avec le marché commun et ont été illégalement accordées par l'Etat français ;

- le titre de perception contesté ne concerne pas les exonérations de cotisations sociales bénéficiant aux salariés de la société requérante ;

- le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité ne peut qu'être écarté dès lors que les aides inférieures à 30 000 euros, qui remplissaient les critères du règlement de minimis, n'étaient pas illégales et n'avaient pas à être récupérées, qu'il n'y a pas lieu de récupérer une aide d'Etat auprès d'une entreprise qui n'agit plus sur le marché et que les autorités françaises ont systématiquement vérifié les conditions de cession des actifs des entreprises bénéficiaires des aides versées, et que, lorsque ces actifs ont été cédés à un prix inférieur au prix du marché, le remboursement de l'aide a été poursuivi auprès de l'entreprise repreneuse ; qu'enfin la société requérante a bénéficié d'une aide illégale qu'elle devait reverser indépendamment du fait que d'autres bénéficiaires auraient été traités différemment ;

- il est exclu que la société Saupiquet soit déchargée des sommes en litige si le titre de perception du 23 juin 2010 devait être annulé pour vice de forme ou de procédure ;

- il s'en remet à la sagesse de la cour pour apprécier s'il y a lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, cette opportunité relevant de l'appréciation discrétionnaire des juridictions saisies ;

Vu le mémoire, enregistré le 31 décembre 2014, présenté pour la société Saupiquet, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ;

elle soutient en outre que la jurisprudence Scott SA, Kimberly Clark c/ ville d'Orléans (C-210/09) de la Cour de justice de l'Union européenne invoquée par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie n'est pas transposable au cas d'espèce et ne saurait faire obstacle à la décharge des sommes mises à sa charge par le titre de perception à la suite de son annulation ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le Traité instituant la Communauté européenne ;

Vu le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et notamment l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et notamment ses articles 17 et 41 ;

Vu le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 93 du Traité CE ;

Vu le règlement (CE) n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 concernant la mise en oeuvre du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil portant modalités d'application de l'article 93 du Traité CE ;

Vu le règlement (CE) n° 875/2007 de la Commission du 24 juillet 2007 relatif à l'application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de minimis dans le secteur de la pêche et modifiant le règlement (CE) n° 1860/2004 ;

Vu la décision n° 2005/239/CE de la Commission européenne du 14 juillet 2004 ;

Vu le code du commerce ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;

Vu le décret n° 92-1369 du 29 décembre 1992 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 février 2015 :

- le rapport de Mme Gélard, premier conseiller,

- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,

- et les observations de Me Moraïtou, avocat de la société Saupiquet ;

1. Considérant qu'à la suite de la pollution occasionnée par le naufrage de l'Erika le 12 décembre 1999 et de la tempête des 27 et 28 décembre de la même année, la France a mis en place un dispositif d'aides exceptionnelles à destination des aquaculteurs et des pêcheurs des départements du Finistère, du Morbihan, de la Loire-Atlantique, de la Vendée, de la Charente-Maritime et de la Gironde ; que certaines de ces aides ont été étendues à tous les pêcheurs et aquaculteurs français ; que ces mesures ont été notifiées le 21 juin 2000 à la Commission ; que celle-ci a, le 11 décembre 2001, informé la France de sa décision d'ouvrir pour certaines de ces aides la procédure formelle d'examen prévue à l'article 88 du Traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 108 paragraphe 2 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, (TFUE) et par l'article 6 du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 ; que, par une décision n° 2005/239/CE du 14 juillet 2004, elle a estimé notamment que l'allégement des charges sociales accordé aux pêcheurs de France métropolitaine et des départements d'outre-mer pour la période du 15 avril au 15 octobre 2000 était incompatible avec le marché commun ; qu'en application de l'article 14 du règlement (CE) susvisé n° 659/1999, elle a enjoint à la France de procéder à la récupération de ces aides auprès de leurs bénéficiaires ; que la société Saupiquet, qui avait bénéficié de l'exonération de ses charges sociales au titre de la période concernée, a reçu le 6 juillet 2010 un titre de perception émis à son encontre le 23 juin 2010 par le trésorier payeur général du Finistère pour un montant de 377 977,09 euros ; que cette société a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à l'annulation de ce titre de perception ; qu'elle relève appel du jugement du 24 mai 2013 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant, en premier lieu, que la société Saupiquet soutient que le tribunal administratif n'a pas analysé le moyen tiré de la violation par la Commission de l'article 14 du règlement n° 659/1999 et du principe de confiance légitime ; que les juges de première instance ont toutefois rappelé que selon la société Saupiquet la décision de la Commission européenne était intervenue quatre ans après qu'elle eut bénéficié des allégements de charges litigieux ; qu'ils ont fait état de l'enchaînement des procédures suivies auprès de cette instance et indiqué que la société requérante ne pouvait valablement soutenir que les principes de confiance légitime et de sécurité juridique avaient été méconnus " nonobstant la durée particulièrement longue séparant le bénéfice des aides litigieuses de leur récupération " ; que, dans ces conditions, le tribunal administratif doit être regardé comme ayant répondu de manière suffisante au moyen soulevé ;

3. Considérant, en second lieu, que si la société Saupiquet soutient que le tribunal administratif de Rennes n'a pas expliqué en quoi les entreprises de pêche qui devaient rembourser les aides litigieuses se trouvaient dans une situation différente de celles qui en avaient été dispensées, le tribunal a toutefois, en qualifiant d'irrégulières les aides accordées aux entreprises de pêche qui faisaient l'objet d'une demande de remboursement, implicitement mais nécessairement estimé que les aides versées aux autres entreprises étaient régulières et qu'elles ne se trouvaient pas dans la même situation ; que, par suite, le jugement attaqué doit être à cet égard regardé comme suffisamment motivé ;

Sur la légalité du titre de perception contesté :

En ce qui concerne les droits de la défense :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 14 du règlement susvisé (CE) n° 659/1999 : " (...) 3. (...) la récupération s'effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l'État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les États membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire. " ; que la société Saupiquet soutient que le titre de perception litigieux a été émis à l'issue d'une procédure irrégulière, contraire au principe général de droit communautaire relatif au respect des droits de la défense repris à l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que, si la société requérante n'a pas eu connaissance des échanges qui ont débuté à compter du 28 novembre 2000 entre la Commission et les autorités françaises à la suite de la notification à la Commission le 21 juin 2000 des aides litigieuses, il est constant que la décision de la Commission d'engager la procédure formelle d'examen, qui a été adressée à la France le 11 décembre 2001, a été publiée au journal officiel de l'Union européenne le 13 février 2002 ; que, par ailleurs, la décision n° 2005/239/CE du 14 juillet 2004 de la Commission remettant en cause les exonérations de charges sociales consenties aux pêcheurs de France métropolitaine et des départements d'outre-mer pour la période du 15 avril au 15 octobre 2000 a été publiée au journal officiel de l'Union européenne du 19 mars 2005 ; que son article 4 prévoyait expressément le remboursement par leurs bénéficiaires des aides litigieuses jugées incompatibles avec le marché commun ; qu'enfin, la société Saupiquet a elle-même été directement informée le 14 juin 2010, par un courrier du directeur des pêches maritimes et de l'aquaculture qui faisait référence au dialogue personnalisé dont l'intéressée avait bénéficié antérieurement, de la décision de la Commission du 14 juillet 2004 et invitée à prendre contact avec ses agents ou ceux de l'Etablissement national des invalides de la marine (Enim) pour tout renseignement qu'elle aurait jugé utile ; que par suite, la société requérante, qui ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 123-22 du code du commerce, qui ne font nullement obstacle à la conservation de documents et pièces comptables ou de tout autre justificatif au-delà du délai de 10 ans, ni de celles de l'article L. 244-11 du code de la sécurité sociale, qui ne concerne que la prescription des actions civiles, n'est pas fondée à soutenir que le titre de perception litigieux aurait été émis en méconnaissance des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, seules applicables en l'espèce ;

En ce qui concerne l'obligation de motivation :

5. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 81 du décret du 29 décembre 1962 alors applicable : " Tout ordre de recette doit indiquer les bases de la liquidation. " ; que le titre de perception litigieux indique le montant total de la somme due, la désignation de la ligne de recettes concernées et porte en objet : " application de la décision de la Commission européenne 2005/239/CE du 14 juillet 2004 et du règlement (CE) n° 794/2004 du 21 avril 2004 : reversement des aides octroyées par la France aux entreprises de pêches suite au naufrage de l'Erika et à la tempête de décembre 1999 - aides versées entre le 15 avril et le 15 octobre 2000, Entreprise : Saupiquet (...) principal 241 903,87 euros intérêts 136 073,22 euros (...) " ; qu'il précise en outre qu'il est rendu exécutoire en vertu de l'article 85 du décret du 29 décembre 1962 déjà cité ; que par ailleurs, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la décision de la Commission sur laquelle était fondée ce titre de perception, qui comportait toutes les précisions complémentaires utiles à la société Saupiquet, notamment en ce qui concerne les différents types d'aides incompatibles avec le marché commun, et qui renvoyait au règlement (CE) n° 794/2004 de la Commission pour le calcul des intérêts appliqués, lui avait été préalablement adressée ; que, par suite, la société requérante, qui en outre a été en mesure, ainsi qu'il a été dit au point 4, de solliciter toutes informations complémentaires auprès de l'administration, notamment sur le montant des exonérations de charges sociales dont elle avait bénéficié au titre de la période litigieuse dont le montant avait été communiqué au directeur des pêches maritimes et de l'aquaculture par l'Enim, n'est pas fondée à soutenir que le titre de perception émis à son encontre était insuffisamment motivé ;

En ce qui concerne le principe de sécurité juridique et de confiance légitime :

6. Considérant que le principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne, peut être invoqué par tout opérateur économique auprès duquel une autorité nationale a fait naître à l'occasion de la mise en oeuvre du droit de l'Union, des espérances fondées ; que, toutefois, lorsqu'un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l'adoption d'une mesure de nature à affecter ses intérêts, il ne peut invoquer le bénéfice d'un tel principe lorsque cette mesure est finalement adoptée ; que la France a informé le 21 juin 2000 la Commission européenne des mesures déjà adoptées en faveur des pêcheurs et des aquaculteurs ayant subi des dommages à la suite de la pollution par hydrocarbures causée par le naufrage du navire Erika le 12 décembre 1999 et de la violente tempête survenue les 27 et 28 décembre 1999 ; que la Commission a demandé à la France de lui apporter des renseignements complémentaires le 28 novembre 2000, puis les 6 avril et 13 août 2001 puis a informé la France le 11 décembre 2001 qu'elle envisageait d'ouvrir la procédure formelle d'examen prévue à l'article 6 du règlement (CE) n° 659/1999 dès lors qu'elle n'était pas en mesure de vérifier, d'une part, s'il n'y avait pas surcompensation des dommages subis à la suite du naufrage de l'Erika et à la tempête des 26 et 27 décembre 1999 et, d'autre part, si les aides en cause, et notamment celle accordée aux pêcheurs, étaient destinées à compenser le préjudice économique subi par les entreprises du secteur du fait de la dégradation du marché causé par la mauvaise image qu'ont eu les produits de la mer après la pollution due à l'Erika ; que cette décision d'ouverture d'enquête a été publiée au journal officiel de l'Union européenne le 13 février 2002, la France ayant fait connaître ses observations le 5 mars 2002 ; que la Commission a rendu le 14 juillet 2004 une décision par laquelle elle estimait, notamment, que les aides octroyées par la France aux pêcheurs sous forme d'allègements de charges sociales pour la période du 15 avril au 15 octobre 2000 constituaient des aides incompatibles avec le marché commun, et ordonnait à la France de récupérer ces sommes auprès de leurs bénéficiaires ; que, par suite, à compter de la date du 13 février 2002 rappelée ci-dessus, la société Saupiquet ne pouvait ignorer le risque auquel elle était exposée de devoir reverser les aides dont elle avait bénéficié ; que cette société, qui ne justifie d'aucune circonstance exceptionnelle qui aurait pu légitimer sa confiance dans le caractère régulier de l'aide perçue, n'est dès lors pas fondée à soutenir qu'en émettant un titre de perception dix ans après le versement des aides litigieuses aux entreprises de pêche, l'Etat, dont il n'est pas établi qu'il aurait apporté des garanties aux entreprises concernées sur l'absence de reversement des aides litigieuses et qui a, d'ailleurs, été condamné dans le cadre d'un recours en manquement l'obligeant à récupérer les sommes en cause, aurait méconnu les principes de sécurité juridique et de confiance légitime ;

En ce qui concerne la violation de l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

7. Considérant que la société Saupiquet soutient que le fait pour l'administration de procéder à la récupération d'exonérations de charges qu'elle avait elle-même consenties aux entreprises, alors qu'elle a laissé s'écouler le délai de prescription et qu'elle n'a délibérément mis en oeuvre aucune mesure d'exécution de la décision de la Commission mais a attendu sa condamnation par la Cour de justice de l'Union européenne pour se retourner vers les entreprises, constitue une atteinte illégale au respect des biens tel que protégé simultanément par l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que si, à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir la restitution ou la conservation d'une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni ces stipulations ni celles de l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne font obstacle à ce qu'après avoir exonéré une entreprise des charges sociales dont elle devait s'acquitter l'administration réclame la récupération de ces sommes sur injonction de la Commission européenne ; que, par suite, ce moyen doit être écarté ;

En ce qui concerne la validité de la décision de la Commission du 14 juillet 2004 :

8. Considérant que la société Saupiquet, qui n'était pas directement et individuellement mentionnée dans la décision du 14 juillet 2004 de la Commission citée plus haut, conteste, ainsi qu'elle est en droit de le faire par la voie de l'exception, la validité de cette décision et demande à la cour de saisir la CJUE d'une question préjudicielle ;

9. Considérant qu'aux termes de l'article 87 du Traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. 2. Sont compatibles avec le marché intérieur : (...) b) les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d'autres événements extraordinaires (...) " ;

10. Considérant, en premier lieu, que dans sa décision du 14 juillet 2004 la Commission a distingué, d'une part, les aides en faveur des aquaculteurs et, d'autre part, les aides en faveur des pêcheurs en rappelant de manière très précise que certaines aides étaient compatibles avec le marché commun et que d'autres ne l'étaient pas, tout en indiquant pour chacune de ces aides les raisons qui l'ont amenée à ces conclusions ; qu'elle a estimé que ces aides procuraient un avantage à des entreprises exerçant une activité spécifique, les entreprises d'aquaculture ou de pêche, qui étaient ainsi dispensées de certaines charges qu'elles auraient normalement dû supporter ; que la Commission a ajouté que les produits des entreprises bénéficiaires de ces aides étaient vendus sur le marché communautaire et que ces mesures renforçaient leur position tant sur le marché français par rapport aux entreprises des autres Etats membres que sur les marchés des autres Etats membres par rapport aux entreprises actives sur ces marchés et qu'en conséquence ces mesures faussaient ou menaçaient de fausser la concurrence et affectaient les échanges entre les Etats membres ; que dès lors, contrairement à ce que soutient la société Saupiquet, qui ne peut utilement faire valoir qu'elle n'intervenait que dans le secteur du thon tropical et ne pêchait pas dans les eaux communautaires dès lors qu'elle reconnaît elle-même que d'autres entreprises européennes et notamment espagnoles exerçaient la même activité, le moyen tiré de ce que la décision du 14 juillet 2004 de la Commission serait insuffisamment motivée ne peut qu'être écarté ;

11. Considérant, en deuxième lieu, que si la société requérante fait valoir que les entreprises de pêche ne sont pas les bénéficiaires de la part salariale des cotisations sociales ayant fait l'objet d'un allègement, cette circonstance, qui faisait seulement obstacle à ce que l'Etat français récupérât le montant correspondant auprès de ces entreprises mais non, le cas échéant, auprès de leur bénéficiaire effectif, n'est pas de nature à remettre en cause la qualification d'aide incompatible avec le marché commun retenue par la Commission ; qu'en tout état de cause, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie soutient sans être contredit que la somme mise à la charge de la société Saupiquet dans le titre de perception du 23 juin 2010 n'inclut que le montant des allègements de charges patronales qui lui ont été octroyés du 15 avril au 15 octobre 2000 ;

12. Considérant, en troisième lieu, que la société Saupiquet soutient que la décision de la Commission est également contraire à l'article 107 paragraphe 2 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et au règlement (CE) n° 659/1999 dans la mesure où l'aide litigieuse, qui avait un objectif légitime, aurait dû être déclarée compatible et que la Commission ne pouvait donc pas enjoindre à la France de procéder à sa récupération ; qu'il est toutefois constant que, dans sa première décision du 11 décembre 2001, la Commission a estimé que les aides accordées aux aquaculteurs des départements du Finistère, du Morbihan, de la Loire-Atlantique, de la Vendée, de la Charente-Maritime et de la Gironde consistant en la mise en oeuvre du régime des calamités agricoles, en une aide à la reconstitution des matériels et des stocks, et en des avances sur les indemnités du Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL), ainsi que celles accordées aux pêcheurs des mêmes départements, à savoir l'aide pour la reconstitution des navires et matériels de pêche perdus ou endommagés lors de la tempête, les avances sur les indemnités du FIPOL et l'aide forfaitaire pour perte de revenus résultant de dommages subis lors de la tempête, étaient compatibles avec le marché commun ; que par ailleurs, s'il est vrai que la Commission a mentionné certaines informations diffusées par l'Agence France-Presse ou figurant dans la presse écrite selon lesquelles ces allégements de charges sociales avaient en fait pour but de compenser la hausse du carburant, elle a clairement indiqué aux points 77 et suivants de sa décision du 14 juillet 2004 qu'elle s'était fondée sur des données diffusées par l'Office national interprofessionnel des produits de la mer et de l'aquaculture (Ofimer), organisme public placé sous la tutelle du ministère chargé de l'agriculture et de la pêche et dont l'une des fonctions était de suivre au quotidien les évolutions du marché des produits de la mer et de l'aquaculture, en ajoutant que les données officiellement communiquées par la France étaient trop partielles et incomplètes ; que la Commission a même indiqué pour trois produits, la langoustine, la baudroie et l'araignée, qu'il n'y avait pas d'éléments permettant de confirmer une dégradation du marché consécutive soit au naufrage de l'Erika, soit à la tempête de décembre 1999, d'autant que l'aide litigieuse concernait sans aucune distinction tous les pêcheurs de France métropolitaine et des départements d'outre-mer ; que pour ce qui la concerne la société requérante n'apporte pas d'éléments de nature à établir que l'aide dont elle a bénéficié aurait en réalité été compatible avec le marché commun ; que par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté ;

13. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 14 du règlement susvisé n° 659/1999 : " 1. En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l'État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l'aide auprès de son bénéficiaire (ci-après dénommée "décision de récupération"). La Commission n'exige pas la récupération de l'aide si, ce faisant, elle allait à l'encontre d'un principe général de droit communautaire. 2. L'aide à récupérer en vertu d'une décision de récupération comprend des intérêts qui sont calculés sur la base d'un taux approprié fixé par la Commission. Ces intérêts courent à compter de la date à laquelle l'aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu'à celle de sa récupération. (...) " ; que la société Saupiquet soutient que les dispositions précitées font obligation à la Commission, lorsqu'elle prend une décision en matière d'aides d'Etat, de ne pas imposer à l'Etat-membre la récupération lorsque celle-ci irait à l'encontre d'un principe général du droit communautaire ; que toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 6, la société requérante n'est pas fondée à invoquer une violation du principe de sécurité juridique et de confiance légitime ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions rappelées ci-dessus par la Commission européenne ne peut qu'être écarté ;

En ce qui concerne la détermination du montant de la créance de restitution mise à la charge de la société requérante :

14. Considérant qu'aux termes de l'article 3 du règlement (CE) n° 875/2007 de la Commission du 24 juillet 2007 : " 1. Sont considérées comme ne remplissant pas tous les critères de l'article 87, paragraphe 1, du traité et comme non soumises, de ce fait, à l'obligation de notification prévue à l'article 88, paragraphe 3, du traité les aides qui satisfont aux conditions énoncées dans le présent article et dans les articles 4 et 5 du présent règlement. 2. Le montant total des aides de minimis octroyées à une même entreprise ne peut excéder 30 000 EUR sur une période de trois exercices fiscaux. Ce plafond s'applique quels que soient la forme et l'objectif des aides. La période à prendre en considération est déterminée en se référant aux exercices fiscaux de l'État membre concerné. 3. Si le montant total d'une aide excède ce plafond, ce montant ne peut bénéficier du présent règlement, même pour la fraction n'excédant pas ce plafond. En pareil cas, le bénéfice du présent règlement ne peut être invoqué pour cette mesure ni au moment de l'octroi de l'aide, ni ultérieurement. 4. Le montant cumulé d'aide octroyé aux diverses entreprises du secteur de la pêche n'excède pas la valeur par État membre fixée en annexe sur une période de trois exercices fiscaux (...) " ; qu'aux termes de l'article 5 du même règlement : " Le présent règlement s'applique aux aides accordées avant son entrée en vigueur si elles remplissent toutes les conditions fixées aux articles 1er à 3 ( ...) " ; que la société Saupiquet estime que le titre de perception litigieux méconnaît le principe d'égalité dès lors que les autorités françaises ont dispensé de récupération de nombreuses entreprises en faisant une application rétroactive des dispositions précitées du règlement n° 875/2007 et en ne poursuivant pas la récupération auprès d'entreprises bénéficiaires ayant acquis les actifs des entreprises ayant cessé leur activité ; que, toutefois, l'article 3 de ce règlement, qui est d'application immédiate, prévoit expressément que les aides dont le montant n'excède pas le plafond de 30 000 euros sur une période de trois exercices fiscaux ne sont pas soumises à l'obligation de notification préalable à la Commission ; que par suite, et ainsi que le souligne le ministre, de telles aides n'étaient pas illégales, contrairement à celles excédant ce montant qui ont été accordées aux entreprises de pêche, et notamment à la société requérante, laquelle au surplus n'est, selon les termes mêmes du 3. de l'article 3 précité du règlement (CE) n° 875/2007, pas fondée à solliciter la déduction de la somme de 30 000 euros du montant global qui lui est réclamé ; que, par ailleurs, le ministre indique que les autorités françaises ont systématiquement vérifié les conditions de cession des actifs des entreprises bénéficiaires des aides visées afin de s'assurer que le bénéfice de l'aide n'avait pas pu être transféré à l'acquéreur de manière indirecte dans le cadre de la procédure de transfert d'actifs ; que, par suite, la société Saupiquet n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que l'administration aurait méconnu le principe d'égalité en ne demandant pas à certaines entreprises le reversement des aides qu'elles avaient perçues ;

15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu, en l'absence de difficulté sérieuse quant à la validité de la décision de la Commission du 14 juillet 2004, de saisir, sur ce point, la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que la société Saupiquet n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ; que les conclusions de la société requérante tendant au remboursement de la somme de 377 977,09 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de sa réclamation ne peuvent, dans ces conditions, qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la société Saupiquet de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Saupiquet est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Saupiquet, au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement et au ministre des finances et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 19 février 2015, où siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- Mme Specht, premier conseiller,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 mars 2015.

Le rapporteur,

V. GÉLARDLe président,

I. PERROT

Le greffier,

M. A...

La République mande et ordonne au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13NT02183


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 13NT02183
Date de la décision : 12/03/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : C/M/S/ BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-03-12;13nt02183 ?
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