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13/02/2015 | FRANCE | N°14NT00922

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 13 février 2015, 14NT00922


Vu la requête, enregistrée le 8 avril 2014, présentée pour la commune de Bernières-sur-Mer, représentée par son maire en exercice, par Me Vic, avocat au barreau de Nantes ; la commune de Bernières-sur Mer demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 13-959 du 28 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Caen l'a condamnée à verser à M. D... et Mme E... une somme de 82 303,55 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la réception par la commune de leur réclamation préalable du 28 mai 2013 ;

2°) de rejeter la demande indem

nitaire de M. D... et Mme E... ;

3°) de mettre à la charge de ces derniers une so...

Vu la requête, enregistrée le 8 avril 2014, présentée pour la commune de Bernières-sur-Mer, représentée par son maire en exercice, par Me Vic, avocat au barreau de Nantes ; la commune de Bernières-sur Mer demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 13-959 du 28 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Caen l'a condamnée à verser à M. D... et Mme E... une somme de 82 303,55 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la réception par la commune de leur réclamation préalable du 28 mai 2013 ;

2°) de rejeter la demande indemnitaire de M. D... et Mme E... ;

3°) de mettre à la charge de ces derniers une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- la perte de valeur vénale du terrain acquis le 15 décembre 2009 résulte du caractère inondable du terrain et non de l'illégalité des permis de construire des 13 octobre 2009 et 25 novembre 2010 ;

- le maire n'a été informé du caractère inondable du terrain par le préfet que le 18 février 2011 ; les permis de construire des 13 octobre 2009 et 25 novembre 2010 ne sont donc pas entachés d'illégalité fautive ;

- le délai de retrait ouvert au maire pour retirer le permis du 13 octobre 2009 expirait le

13 janvier 2010 et le maire n'a commis aucune faute en délivrant une attestation de non recours assortie de la mention " à sa connaissance " ;

- M. D... et Mme E... ont fait preuve d'une imprudence exonératoire de la responsabilité de la commune en régularisant la vente alors même qu'ils avaient fait de l'obtention d'un permis de construire une condition suspensive ;

- rien ne permet d'établir que le terrain est définitivement inconstructible pour tout projet immobilier ; le préjudice présente donc un caractère incertain ;

- l'attestation notariale produite par M. D... et Mme E... ne procède à aucune évaluation précise de la valeur vénale du terrain ;

- les frais d'acquisition du terrain ne sont pas justifié et leur paiement est sans lien avec les illégalités fautives invoquées ;

- rien n'atteste que M. D... et Mme E... entendaient faire de la construction projetée leur résidence principale et qu'ils ont donc subi un préjudice lié à la nécessité de louer un logement, alors au demeurant qu'ils n'ont pas engagé de dépenses pour la construction d'une maison ;

- le paiement d'intérêts bancaires n'est pas justifié ;

- l'acquittement de la taxe foncière est sans lien avec les illégalités invoquées ;

- il en va de même des frais de géomètres ;

- M. D... et Mme E... n'établissent pas avoir subi un préjudice moral ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense et en appel incident, enregistré le 29 septembre 2014, présenté pour M. D... et Mme E... par Me Labrusse, avocat au barreau de Caen, qui concluent d'une part à la réformation du jugement du 28 février 2014 en ce qu'il n'a que partiellement fait droit à leur demande, demandant que l'indemnité que la commune de Bernières-sur-Mer est condamnée à leur payer soit portée à la somme de 127 563,80 euros, et d'autre part à ce que soit mise en outre à la charge de la commune une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; ils soutiennent que :

- la constructibilité du terrain était une condition essentielle de l'acquisition ;

- en ne mentionnant pas que toute nouvelle construction sur le terrain était de nature à porter atteinte à la sécurité publique, le maire de Bernières-sur-Mer les a induit en erreur ; c'est encore le certificat de non recours erroné établi par le maire qui les a conduit à considérer que le permis était purgé de tout recours et que la condition suspensive de la vente était levée ;

- ils ne pouvaient qu'ignorer que le permis de construire n'était pas encore définitif à la date à laquelle ils ont signé l'acte de vente, le 15 décembre 2009 ; aucune faute exonératoire de la responsabilité de la commune ne leur est imputable ;

- dès lors qu'il est établi que le terrain est inconstructible l'attestation de valeur qu'ils

ont produite justifie de la perte de valeur vénale du terrain qu'ils ont subie ;

- les frais d'actes notariés indûment versés sont justifiés ;

- ils ont acquitté des loyers qu'ils n'auraient pas dû verser ;

- ils ont dû acquitter des taxes foncières et des frais de géomètres indus ;

- ils ont également mobilisé un apport personnel ;

- ils ont subi un préjudice moral et des troubles dans leurs conditions d'existence ;

Vu le mémoire, enregistré le 24 décembre 2014, présenté pour la commune de Bernières-sur-Mer, qui persiste dans les conclusions de sa requête par les même moyens, et en ajoutant que :

- la mobilisation d'un apport personnel pour l'acquisition du terrain n'est pas établie ;

Vu le mémoire enregistré le 16 janvier 2015, présenté pour M. D... et Mme E..., qui persistent dans leurs conclusions précédentes par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 janvier 2015 :

- le rapport de M. Pouget, premier conseiller,

- les conclusions de M. Delesalle, rapporteur public,

- et les observations de Me Vic, avocat de la commune de Nantes ;

1. Considérant que la commune de Bernières-sur-Mer relève appel du jugement du 28 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Caen l'a condamnée à verser à M. D... et Mme E... une indemnité de 82 303,55 euros en principal en réparation des préjudices résultant pour eux de l'illégalité des permis de construire qui leur ont été délivrés par son maire les 13 octobre 2009 et 25 novembre 2010 ; que, par la voie de l'appel incident, M. D... et Mme E... sollicitent la réformation du jugement en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à leur demande indemnitaire ;

Sur la responsabilité de la commune :

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. D... et Mme E... ont

conclu le 24 juin 2009 une promesse d'achat portant sur une parcelle de terrain à bâtir de 401 m² cadastrée AE 26 sur le territoire de la commune de Bernières-sur-Mer, assortie d'une condition suspensive tenant à l'obtention d'un permis de construire définitif ; qu'une autorisation de construire leur a été accordée par un arrêté du maire du 13 octobre 2009 ; que, par un courrier du 15 décembre 2009, le maire de Bernières-sur-Mer a avisé M. D... et Mme E... qu'à sa connaissance le permis de construire n'avait pas fait l'objet d'un recours de tiers dans le délai de deux mois suivant son affichage, et ils ont finalisé le même jour l'acquisition du terrain ; qu'ils s'est néanmoins avéré que le tribunal administratif de Caen avait été saisi le 14 décembre 2009 d'une demande d'annulation du permis de construire du 13 octobre 2009 ; qu'il a été fait droit à cette demande par un jugement du 27 mai 2011 devenu définitif, au motif d'une méconnaissance par le projet des dispositions des articles UC 7 et UC 11 du plan d'occupation des sols de Bernières-sur-Mer ; que le tribunal a par la suite, par un jugement du 23 décembre 2011 également devenu définitif, annulé pour violation de l'article UC 11 du plan local d'urbanisme nouvellement adopté un second permis de construire délivré le 25 novembre 2010 à M. D... et Mme E... ; que, lorsque ces derniers ont présenté une troisième demande de permis de construire, le 28 décembre 2012, le maire de Bernières-sur-Mer a cette fois rejeté leur demande par un arrêté du 20 février 2013 au motif qu'au regard de l'Atlas régional des risques de submersion marine établi le 26 janvier 2011, le projet envisagé présentait un risque pour la sécurité publique, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ;

3. Considérant, d'une part, que le courrier susmentionné du maire de Bernières-sur-Mer du 15 décembre 2009, qui se bornait à informer les bénéficiaires du permis de construire qu'il n'avait personnellement connaissance, à cette date, d'aucun recours contentieux exercé par un tiers contre ce permis, ne saurait être regardé comme ayant comporté une information erronée constitutive d'une faute de la part de cette autorité ; qu'ainsi, et alors au demeurant que M. D... et Mme E... ont pour leur part pris l'initiative de procéder immédiatement à l'acquisition du terrain et de renoncer au bénéfice de la condition suspensive de la promesse de vente sans s'assurer eux-mêmes de l'absence de recours auprès du tribunal et sans attendre que l'autorisation ait acquis de manière certaine un caractère définitif, ils ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité de la commune à raison de ce courrier ;

4. Considérant, d'autre part, qu'en vertu de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, le permis de construire peut être refusé lorsque les constructions projetées sont, du fait notamment de leur situation, de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique ; qu'il résulte de l'instruction que le terrain d'assiette du projet de M. D... et Mme E..., situé dans la bande de 100 mètres en arrière d'une digue de protection contre la mer, est incluse, selon les données cartographiques de l'atlas régional des risques de submersion marine, dans la zone comprise entre 0 et 1 mètres sous le niveau marin centennal soumise à un fort risque d'inondation ; que, dans ces conditions, le maire de de Bernières-sur-Mer n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant le 20 février 2013, sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, de délivrer un nouveau permis de construire aux pétitionnaires, lesquels n'ont d'ailleurs pas contesté la légalité de cette décision ; que, pour autant, il est constant que l'atlas des risques de submersion marine n'a été porté à la connaissance du maire de Bernières-sur-Mer par le préfet du Calvados que le 18 février 2011 ; qu'il ne résulte d'aucun élément de l'instruction que le maire et les services instructeurs de la commune auraient eu connaissance d'un risque avéré d'inondation dès les dates de délivrance des permis de construire des 13 octobre 2009 et 25 novembre 2010, alors notamment que le secteur du terrain d'assiette du projet n'était pas alors répertorié comme zone à risque et qu'il n'avait fait l'objet d'aucun phénomène d'inondation ; que, dans ces conditions, M. D... et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que la commune de Bernières-sur-Mer a commis une faute en leur délivrant les deux autorisations précitées sans opposer à leurs demandes l'existence d'un tel risque ;

5. Considérant, en revanche, que les illégalités tenant à des violations des documents d'urbanisme en vigueur dont étaient entachés les permis de construire des 13 octobres 2009 et 25 novembre 2009, sont constitutives de fautes de nature à ouvrir un droit à réparation au profit de M. D... et Mme E... ;

Sur les préjudices :

6. Considérant que M. D... et Mme E... peuvent seulement prétendre à l'indemnisation des préjudices résultant directement et avec certitude de la délivrance des deux autorisations de construire illégales à raison de la méconnaissance de dispositions du plan d'occupation des sols, puis du plan local d'urbanisme de Bernières-sur-Mer ;

7. Considérant, en premier lieu, que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, eu égard aux conditions dans lesquelles est intervenu l'achat par M. D... et Mme E... de leur terrain, ni la perte de valeur vénale du terrain, ni le coût d'acquisition d'un terrain à bâtir, ni le coût d'immobilisation de la somme affectée à cette acquisition, qui sont la seule conséquence de la situation du terrain en zone inondable, ne présentent un lien direct avec l'illégalité des permis de construire délivrés par le maire de Bernières-sur-Mer les 13 octobre 2009 et 25 novembre 2010 ;

8. Considérant, en deuxième lieu, que si M. D... et Mme E... soutiennent qu'ils ont dû, en conséquence des décisions illégales du maire de Bernières-sur-Mer, louer un logement à Saint-Aubin-sur-Mer, et réclament à ce titre l'indemnisation des loyers acquittés depuis le 1er septembre 2010, date prévue de la fin de la construction initialement projetée, ils ne justifient pas de la réalité du préjudice ainsi invoqué, compte tenu du caractère inconstructible du terrain ;

9. Considérant, en troisième lieu, que le versement par M. D... et Mme E... des taxes foncières afférentes au terrain dont ils sont propriétaires est sans lien direct avec les fautes considérées ;

10. Considérant, en quatrième lieu, que si M. D... et Mme E... sollicitent le remboursement de frais engagés pour le bornage du terrain et l'élaboration de dossiers de parcellisation et de déclaration préalable, la facture d'un montant de 956,80 euros qu'ils produisent, établie le 28 septembre 2009 par un géomètre expert, est libellée au nom des précédents propriétaires du terrain, M. et Mme A... ; que, par conséquent, ils n'établissent pas avoir effectivement supporté la charge de ces frais ;

11. Considérant, enfin, que l'annulation répétée des autorisations de construire délivrées à M. D... et Mme E... a généré pour les intéressés une incertitude et une remise en cause durable de leur projet immobilier ; que c'est par une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existences et du préjudice moral ainsi subis par les intéressés que les premiers juges leur ont alloué une somme de 4 000 euros ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la commune de Bernières-sur-Mer est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a mis à sa charge la somme de 82 303,55 euros en principal, et à en demander la réformation ; que M. D... et Mme E... ne sont pas fondés, en revanche, à solliciter la réformation de ce même jugement en tant qu'il n'a pas intégralement fait droit à leur demande indemnitaire ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce soit mise à la charge de la commune de Bernières-sur-Mer, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, une somme à ce titre ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée sur le fondement des mêmes dispositions par la commune de Bernières-sur-Mer ;

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que la commune de Bernières-sur-Mer a été condamnée par le tribunal administratif de Caen à verser à M. D...et Mme E... est ramenée à 4 000 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 28 février 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la commune de Bernières-sur-Mer et les conclusions présentées en appel par M. D... et Mme E... sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Bernières-sur-Mer, à M. C... D...et à Mme B...E....

Délibéré après l'audience du 20 janvier 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Millet, président,

- Mme Buffet, premier conseiller,

- M. Pouget, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 13 février 2015.

Le rapporteur,

L. POUGET Le président,

JF. MILLET

Le greffier,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14NT00922


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 14NT00922
Date de la décision : 13/02/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. MILLET
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET
Rapporteur public ?: M. DELESALLE
Avocat(s) : SELARL MRV

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-02-13;14nt00922 ?
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