Vu la requête, enregistrée le 4 décembre 2012, présentée pour la SARL Compagnie de la Bélandre, dont le siège est situé 70 rue Jean Doucet - Entreprises du Grand Girac à Saint-Michel (16470) et la SARL Amboise Croisières, dont le siège est situé quai Charles Guinot à Amboise (37400), par Me Vendé, avocat au barreau de Nantes, qui demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1004212 du 2 octobre 2012 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser, en réparation du préjudice subi du fait de l'abaissement saisonnier du niveau des eaux du Cher canalisé, les sommes de 213 239 euros et 20 000 euros ;
2°) de condamner l'Etat à leur payer en réparation à la SARL Compagnie de la Bélandre la somme de 510 747 euros avec intérêts de droit sur la somme de 126 639 euros à compter du 29 juillet 2010 et à la SARL Amboise Croisières la somme de 6 960 euros avec intérêts de droit à compter du 29 juillet 2010 ;
3°) subsidiairement, d'ordonner une expertise ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elles soutiennent que :
- les bateaux de promenade La Bélandre et La Gabare n'ont pu circuler sur le Cher du 1er avril au 30 juin 2008, faute d'un niveau d'eau suffisant en l'absence de remontée des barrages de Civray et Chisseaux en aval et en amont du château de Chenonceau ;
- compte tenu du faible niveau d'eau, il a fallu remplacer le bateau La Gabare par le bateau l'Ambacia ; la société d'exploitation de ce bateau a du cesser de l'exploiter sur la Loire pour permettre de remplir les engagements sur le Cher ;
- le jugement est irrégulier, dès lors qu'il a omis de statuer sur certains des moyens de la demande de première instance, tirés de la responsabilité pour faute de l'Etat, du fait de l'illégalité de la décision du préfet de restreindre la circulation sur la voie navigable en cause et de la faute résultant d'engagements non tenus ; le fondement de la faute a bien été évoqué ;
- la décision du 26 novembre 2007 portant autorisation d'occupation temporaire du domaine public fluvial du Cher canalisé et le refus de relever les barrages avant le 1er juillet 2008 sont illégaux, dès lors que ces décisions reposent sur des faits matériellement inexacts ;
- en effet, la réalité de l'existence de flux migratoires de poissons sur le Cher entre le 15 octobre et le 30 juin n'est pas établie ; toutes les mesures opérées ont conduit à constater l'absence de poissons migratoires ; les espèces protégées ne sont pas observables sur le Cher ;
- cette erreur matérielle et d'appréciation entache également d'illégalité la décision du préfet refusant d'accorder une dérogation au syndicat intercommunal pour l'entretien et l'exploitation du Cher canalisé en Indre-et-Loire pour permettre la navigation des bateaux d'avril à juin 2008 ;
- le préfet et le secrétaire d'Etat chargé de l'artisanat, du commerce, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services se sont engagés à les indemniser ; cet engagement n'a pas été tenu ; il en résulte une faute ;
- la responsabilité sans faute de l'Etat est engagée pour rupture de l'égalité devant les charges publiques ;
- le préjudice présente un caractère anormal et spécial ; les requérantes sont les seules à exercer une activité de navigation commerciale de promenade et de restauration à destination de touristes sur la portion de voie fluviale en cause, c'est-à-dire autour du château de Chenonceau ; les navires qu'elles exploitent nécessitent un tirant d'eau peu conciliable avec celui constaté au printemps en cas d'ouverture des barrages ; cette saison représente plus du tiers du chiffre d'affaires annuel ;
- il n'existe aucune possibilité d'assurer une prestation équivalente en l'absence d'un niveau d'eau suffisant ; il a fallu délocaliser le bateau la Bélandre sur la Charente et Angoulême, dont le rayonnement touristique est toutefois sans rapport avec celui des châteaux de la Loire et notamment celui de Chenonceau ; en outre, il a fallu louer le bateau l'Ambacia, nécessitant un moindre tirant d'eau ; l'activité de navigation sur la Loire à Amboise ne peut plus être exercée depuis mars 2010 ;
- en faisant état d'une acceptation du risque, les premiers juges se sont livrés à une analyse erronée ; une fermeture à la navigation pendant près de 8 mois sur 12 ne saurait constituer un aléa normal ; l'on ne saurait s'appuyer sur des décisions administratives postérieures au 1er avril 2008 pour établir une quelconque acceptation du risque ;
- il n'est pas établi que l'arrêté du 26 novembre 2007 ait été notifié aux sociétés requérantes ; elles n'ont pas été associées à la rédaction de cet arrêté et n'en ont découvert l'existence qu'en mars 2008, alors qu'il était trop tard pour modifier le programme et communiquer sur d'autres prestations ;
- le préjudice de la SARL Compagnie de la Bélandre est constitué par une perte de chiffre d'affaires d'un montant de 510 747 euros ; celui subi par la SARL Amboise Croisières, qui n'a pu exploiter le bateau l'Ambacia en 2010 sur la Loire dès lors qu'il a dû l'être sur le Cher s'établit à 6 960 euros ;
- la cour pourra décider avant-dire droit une expertise aux frais avancés de l'Etat ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2013, présenté par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, qui conclut au rejet de la requête ;
il fait valoir que :
- le moyen tiré de la responsabilité pour faute n'a pas été soulevé devant les premiers juges, dont le jugement n'est par suite pas irrégulier ;
- le moyen tiré de la responsabilité pour faute est nouveau et par suite irrecevable en appel ;
- le droit à réparation des requérantes doit être écarté en raison de ce qu'était, au moment de la réalisation du dommage, leur situation, mais aussi en raison de l'absence d'anormalité du préjudice ;
- les requérantes ont, en connaissance de cause, pris le risque de s'exposer à un dommage prévisible ; elles n'ignoraient pas l'existence de mesures relatives à l'abaissement des eaux et ne peuvent rendre l'Etat responsable d'un risque auquel elles se sont sciemment exposées, acceptant l'éventualité d'une interruption de leur activité ;
- le préjudice subi n'excède pas les aléas et contraintes que comportent nécessairement l'exploitation de leurs bateaux sur le Cher ; la limitation de la navigation entraînée par l'abaissement des eaux pendant 3 mois ne présente pas un caractère excessif ; le préjudice n'est donc pas anormal ;
- la décision du préfet d'Indre-et-Loire de restreindre la navigation dans les biefs du Cher n'est pas illégale ; il suffit que la migration des poissons énumérées par l'arrêté du 1er août 2002 existe potentiellement ;
- l'Etat n'a pas fait de promesse d'indemnisation et n'a, par suite, pas commis de faute en ne tenant pas une telle promesse ;
- le préjudice allégué n'est pas démontré et il présente un caractère exagéré ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 19 juillet 2013, présenté pour la SARL Compagnie de la Bélandre et la SARL Amboise Croisières, qui concluent aux mêmes fins que leur requête, par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu l'arrêté du 1er août 2002 fixant, dans certains cours d'eau classés par décret au titre de l'article L. 432-6 du code de l'environnement, la liste des espèces migratrices de poissons ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 avril 2014 :
- le rapport de M. Durup de Baleine, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Grenier, rapporteur public ;
- et les observations de Me Vendé, avocat de la SARL Compagnie de la Bélandre et de la SARL Amboise Croisières ;
1. Considérant que la SARL Compagnie de la Bélandre exploite sur une portion du Cher canalisé dans le département d'Indre-et-Loire les bateaux à passagers " la Bélandre " et " la Gabare " ; qu'à la suite de l'abaissement des barrages à aiguilles de Civray-de-Touraine, à l'Ouest, et Chisseaux, à l'Est, sur cette portion du Cher, entraînant un abaissement du niveau des eaux incompatible avec le tirant d'eau de ces navires, cette société s'est trouvée dans l'impossibilité de les exploiter entre le 1er avril et le 26 juin 2008 ; qu'elle a ultérieurement, en 2010, loué à la SARL Amboise Croisières, le bateau " l'Ambacia ", qui nécessite un moindre tirant d'eau, que la société Amboise Croisières exploite sur la Loire et qu'elle a ainsi transféré sur le Cher ; que ces deux sociétés ont saisi le préfet d'Indre-et-Loire d'une réclamation tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elles estiment avoir subis du fait de cet abaissement saisonnier du niveau des eaux, réclamation que ce préfet a rejeté par une décision du 8 octobre 2010 ; qu'elles relèvent appel du jugement du 2 octobre 2012 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur payer en réparation diverses sommes ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction, que les sociétés requérantes soutenaient seulement devant les premiers juges que la responsabilité de l'Etat était engagée au titre de la responsabilité sans faute de l'administration du fait de la loi ; qu'il en résulte que le moyen tiré de l'irrégularité du jugement, dès lors que les premiers juges n'ont pas répondu à un moyen tiré de ce que la responsabilité de l'Etat serait engagée en raison de fautes, ne peut qu'être écarté ; qu'en outre, les premiers juges n'ont pas davantage commis d'irrégularité en s'abstenant de répondre à un simple argument, inopérant, tiré de ce que la décision du préfet d'Indre-et-Loire rejetant la réclamation indemnitaire n'était pas suffisamment motivée ;
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne la responsabilité pour faute :
3. Considérant qu'ainsi qu'il vient d'être dit, les sociétés requérantes se prévalaient
seulement en première instance de la responsabilité sans faute de l'Etat à leur égard ; que, si, dans leur requête, elles se prévalent, en outre, de fautes que, selon elles, l'Etat aurait commises, cette prétention, fondée sur une cause juridique distincte de celle soumise aux premiers juges et qui n'est pas d'ordre public, constitue une demande nouvelle qui n'est pas recevable ;
En ce qui concerne la responsabilité sans faute :
4. Considérant que, dans le bassin de la Loire et le département d'Indre-et-Loire, l'annexe II à l'article R. 432-3 du code de l'environnement, applicable jusqu'au 1er janvier 2014, classait le Cher, sur tout son parcours, dans la liste prévue à l'article L. 432-6 de ce code des cours d'eau, partie de cours d'eau et canaux où tout ouvrage doit comporter des dispositifs assurant la circulation des poissons migrateurs et où les ouvrages existants devront être mis en conformité, sans indemnité, dans un délai de cinq ans à compter de la publication d'une liste d'espèces migratrices ; qu'un arrêté interministériel du 1er août 2002 a fixé, notamment, la liste des espèces migratrices de poissons dans le Cher, sur tout son cours à l'aval de sa confluence avec la Queugne ; que, par un arrêté du 26 novembre 2007, le préfet d'Indre-et-Loire a, jusqu'au 31 décembre 2013, accordé au syndicat intercommunal pour l'entretien et l'exploitation du Cher canalisé en Indre-et-Loire une autorisation d'occupation temporaire du domaine public fluvial du Cher canalisé, pour sa partie comprise entre la limite est du département et les barrages à clapets situés à Tours, en vue de la gestion de ce domaine ; qu'à l'effet d'assurer le respect des exigences énoncées par l'article L. 432-6 du code de l'environnement, l'article 5 de cet arrêté impose à cet établissement public de rechercher la gestion des barrages la mieux adaptée pour faciliter la migration des poissons et ajoute que, chaque année, en l'absence de dispositif assurant la transparence migratoire, les barrages à aiguilles resteront couchés sur l'ensemble de la période du 15 octobre au 30 juin, le syndicat pouvant toutefois demander ponctuellement un ajustement de cette période au service de l'Etat gestionnaire du domaine public fluvial ; qu'en exécution de cet article 5, les barrages à aiguilles de Civray-de-Touraine et de Chisseaux sont demeurés abaissés entre le 1er avril et le 26 juin 2008 ;
5. Considérant qu'il résulte des termes mêmes des autorisations successivement délivrées à la société Compagnie de la Bélandre à l'effet de faire de circuler sur une portion du Cher canalisé le bateau-promenade " la Bélandre ", notamment celles du 26 mars 2003 et du 5 mai 2008 produites au dossier, qu'elles ne l'ont été que sous la réserve expresse d'un niveau des eaux suffisant pour permettre la navigation de ce bateau, sans, par suite, donner à l'utilisateur du domaine public fluvial une quelconque garantie à ce titre ; que l'éventualité que ce niveau, tant du fait de la situation naturelle de la rivière que de manoeuvres effectuées par le syndicat intercommunal du Cher canalisé, soit de nature, à certaines périodes, à entraver l'activité de cette société, était, ainsi, au nombre des aléas dont l'exploitant était avisé et auxquels, par suite, il devait normalement s'attendre ; qu'en sollicitant et en acceptant les autorisations qui, sous cette réserve expresse, lui ont été successivement délivrées par le préfet d'Indre-et-Loire, le permissionnaire, qui est en l'espèce un professionnel et qui indique qu'il exploite depuis de nombreuses années une activité de tourisme fluvial sur le Cher canalisé, s'est, en connaissance de cause, exposé à l'éventuelle réalisation de cet aléa et, par suite, a accepté ce risque ;
6. Considérant, en outre, que la société Compagnie la Bélandre ne saurait prétendre n'avoir su que tardivement que l'abaissement des barrages à aiguilles imposé par l'arrêté du 26 novembre 2007 pouvait entraver son activité au printemps 2008, dès lors qu'il résulte de l'instruction que, par lettre du 23 janvier 2008, le président du syndicat intercommunal du Cher canalisé a interrogé le préfet sur la possibilité que, dans l'intérêt de cette société, il soit dérogé pendant deux ou trois ans aux exigences résultant de l'article 5 de cet arrêté et, simultanément, a adressé copie de sa lettre au gérant des sociétés requérantes ; que, de plus, cet arrêté, qui n'avait pas à être notifié à ces sociétés, a été publié au recueil des actes administratifs de la préfecture d'Indre-et-Loire n° 11 de décembre 2007, de sorte que les professionnels intéressés doivent être réputés en avoir eu connaissance dès cette publication ; qu'il en résulte que, dès le mois de décembre 2007, la société Compagnie de la Bélandre, qui précise qu'elle a pu ultérieurement utiliser un autre bateau à la place du bateau-promenade " la Bélandre ", était à même de prendre des dispositions pour faire en sorte que l'abaissement du niveau des eaux du Cher canalisé à laquelle elle devait s'attendre entre avril et juin 2008 ne rende pas impossible l'exercice de son activité ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et 6 précédents, que l'impossibilité temporaire de faire naviguer le bateau " la Bélandre " du fait de l'abaissement du niveau du Cher canalisé au printemps 2008, par suite de manoeuvres des barrages à aiguilles de Civray-de-Touraine et Chisseaux effectuées, dans l'intérêt du domaine public fluvial, par le syndicat intercommunal pour l'entretien et l'exploitation du Cher canalisé en Indre-et-Loire, ne saurait être regardée comme constituant un aléa excédant ceux que comporte nécessairement une telle exploitation conduite sur une portion de ce domaine délimitée par de tels barrages ; que, par suite, les préjudices invoqués par les sociétés requérantes ne revêtent pas un caractère anormal, de nature à engager la responsabilité sans faute de l'Etat à leur égard ;
8. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement d'une somme à ce titre ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Compagnie de la Bélandre et de la SARL Amboise Croisières est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Compagnie de la Bélandre, à la SARL Amboise Croisières et au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
Délibéré après l'audience du 10 avril 2014, à laquelle siégeaient :
- M. Iselin, président de chambre,
- M. Millet, président-assesseur,
- M. Durup de Baleine, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 avril 2014.
Le rapporteur,
A. DURUP de BALEINELe président,
B. ISELIN
Le greffier,
F. PERSEHAYE
La République mande et ordonne au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 12NT03097 2
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