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30/04/2014 | FRANCE | N°12NT01028

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 30 avril 2014, 12NT01028


Vu la requête, enregistrée le 17 avril 2012, présentée pour la société de construction et de promotion Eric Mélois (Socoprem), dont le siège est situé à la Gaudière à Betton (35830), par Me Balat, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; la société Socoprem demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0901929 du 16 février 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à ce que la commune de Saint-Lunaire soit condamnée à lui verser la somme de 770 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis

du fait du retard du maire de la commune à instruire sa demande d'autorisation...

Vu la requête, enregistrée le 17 avril 2012, présentée pour la société de construction et de promotion Eric Mélois (Socoprem), dont le siège est situé à la Gaudière à Betton (35830), par Me Balat, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; la société Socoprem demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0901929 du 16 février 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à ce que la commune de Saint-Lunaire soit condamnée à lui verser la somme de 770 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du retard du maire de la commune à instruire sa demande d'autorisation de lotir ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Lunaire la somme de 770 000 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2008, les intérêts étant eux mêmes capitalisés ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Lunaire une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- le jugement, qui ne respecte par les dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, est irrégulier ;

- le tribunal administratif de Rennes a considéré à tort qu'elle n'établissait pas l'existence des dépenses qu'elle avait du engager pour faire valoir ses droits dans le litige l'opposant à la commune ; elle a demandé 300 000 euros au titre du préjudice commercial, le retard mis par la commune à instruire sa demande l'ayant empêchée de bénéficier d'un marché plus favorable ; elle a également sollicité une indemnisation de 300 000 euros au titre de son préjudice financier, ayant du dépenser d'importantes sommes pour sortir de " l'impasse " dans laquelle elle se trouvait du fait de la non-vente des terrains ; enfin, elle a sollicité 70 000 euros au titre du préjudice moral et 100 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence ; elle avait produit des justificatifs bancaires établissant l'existence du préjudice financier ;

- les premiers juges ont écarté à tort l'indemnisation du préjudice moral en considérant que cette demande avait été faite par le gérant de la société, alors qu'il ressort de sa demande que c'est le préjudice moral de la société dont elle demandait l'indemnisation ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu la mise en demeure adressée le 7 novembre 2012 à Me Collet, avocat de la commune de Saint-Lunaire, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 28 décembre 2012, présenté pour la commune de Saint-Lunaire, représentée par son maire en exercice, par Me Collet, avocat au barreau de Rennes, qui conclut au rejet de la requête et demande en outre que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Socoprem en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- le jugement est régulier ;

- outre que sa responsabilité n'est pas susceptible d'être valablement recherchée, la société Socoprem n'apporte aucun élément de preuve de nature à prouver son impossibilité de commercialiser les 8 lots de son opération de lotissement ; le préjudice commercial n'est pas démontré ; le préjudice financier, évalué globalement, n'est pas davantage établi ; s'agissant du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, la société Socoprem a bien, en première instance, demandé leur réparation au profit de son gérant ; les sommes réclamées sont manifestement exorbitantes ;

- la responsabilité de la commune ne peut, en tout état de cause, être engagée ; l'illégalité de la décision du 11 avril 2007 par laquelle le maire lui a réclamé des pièces complémentaires pour l'instruction de sa demande d'autorisation de lotir n'est pas établie ; cette illégalité ne serait pas constitutive d'une faute dès lors que l'instruction de la demande d'autorisation n'a donné lieu à aucun retard fautif dans la délivrance de l'autorisation sollicitée ; la société Socoprem a déposé des pièces le 10 juillet 2007 nécessaires pour l'instruction du dossier ; l'autorisation de lotir a été délivrée le 4 octobre 2007 ;

- la société Socoprem a commercialisé ses lots à un prix manifestement surévalué ; la société Socoprem conduit, en outre, une politique de commercialisation défaillante ; ces deux éléments sont de nature à exonérer la commune de tout engagement de sa responsabilité ;

Vu l'ordonnance en date du 23 janvier 2014 fixant la clôture d'instruction au 21 février 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire, enregistré le 18 février 2014, présenté pour la société Socoprem qui

conclut par les mêmes moyens aux mêmes fins que sa requête ;

elle soutient que :

- elle justifie de sa perte de marge commerciale ;

- l'indemnisation du préjudice financier ne peut être écartée au motif qu'elle a obtenu l'autorisation de lotir ;

- le juge des référés en première instance a suspendu l'exécution de la demande de pièces complémentaires adressée par le maire de la commune de Saint-Lunaire ;

- le prix de vente des terrains était justifié par la grande qualité des biens proposés ; la politique de promotion défaillante n'est pas de nature à exonérer la commune de la totalité de sa responsabilité ;

Vu le mémoire, enregistré le 20 février 2014, présenté pour la commune de Saint-Lunaire qui conclut par les mêmes moyens au rejet de la requête ;

Vu l'ordonnance en date du 21 février 2014 portant réouverture de l'instruction en application de l'article 613-4 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 avril 2014 :

- le rapport de Mme Allio-Rousseau, premier conseiller ;

- les conclusions de Mme Grenier, rapporteur public ;

- et les observations de Me A..., substituant Me Collet, avocat de la commune de Saint-Lunaire ;

1. Considérant que la société Socoprem est propriétaire des parcelles cadastrées section AX nos 226 et 228 situées lieu-dit " La Croix Mignon ", rue des Ecoles à Saint-Lunaire (Ille-et-Vilaine) ; qu'elle a déposé le 19 mars 2007 une demande d'autorisation de lotir portant sur ce terrain pour la réalisation d'un lotissement composé de huit parcelles ; qu'elle a, par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 avril 2007, mis en demeure le maire de la commune de Saint-Lunaire de procéder à l'instruction de sa demande ; que, par courrier du 11 avril 2007, le maire de Saint-Lunaire a demandé à la société Socoprem de produire un acte authentique portant création d'une servitude de passage sur la propriété communale voisine des réseaux d'eaux usées et d'eaux pluviales appartenant au lotisseur et de compléter ou rectifier la note de présentation, le plan topographique, le règlement, le plan de composition, le programme des travaux et le plan de voirie ; que la société Socoprem a fait parvenir les pièces demandées au maire de la commune de Saint-Lunaire le 10 juillet 2007 ; que, par une ordonnance en date du 13 septembre 2007, le juge des référés du tribunal administratif de rennes a suspendu l'exécution de la mesure du 11 avril 2007 jusqu'à ce qu'il soit statué sur la légalité de cette décision et enjoint au maire d'instruire le dossier de la demande d'autorisation de lotir et de prendre une nouvelle décision dans le délai d'un mois suivant la notification de l'ordonnance ; que, par un arrêté du 4 octobre 2007, le maire de la commune de Saint-Lunaire a délivré à la société Socoprem l'autorisation de lotir sollicitée ; que, par un courrier du 31 décembre 2008, la société Socoprem a sollicité de la commune de Saint-Lunaire le versement d'une somme globale de 770 000 euros en réparation du préjudice qu'elle allègue avoir subi du fait du retard apporté dans l'instruction de sa demande d'autorisation de lotir du fait de la décision, qu'elle estime illégale, du 11 avril 2007 ; que le maire a rejeté cette demande indemnitaire par courrier du 5 février 2009 ; que la société Socoprem relève appel du jugement du 16 février 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Lunaire à lui verser la somme de 770 000 euros en réparation des préjudices subis ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que si l'expédition du jugement du 16 février 2012, adressée à la société Socoprem, ne contient pas l'analyse des moyens soulevés par les parties, la minute du même jugement la contient et a donc été établie conformément aux dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;

Sur la responsabilité de la commune de Saint-Lunaire :

3. Considérant que la société Socoprem a adressé par voie postale sept exemplaires du dossier de sa demande d'autorisation de lotir les parcelles cadastrées section AX nos 226 et 228 situées lieu-dit " La Croix Mignon " que la mairie de Saint-Lunaire a enregistrée le 19 mars 2007 ; que, faute pour le maire d'avoir adressé, en application de l'article R. 315-15 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors en vigueur, à la société Socoprem dans les 15 jours de l'enregistrement de sa demande une lettre lui indiquant sa date d'enregistrement et le délai d'instruction, la société Socoprem a, par courrier avec accusé de réception adressé le 4 avril 2007, reçu le 6, mis le maire en demeure de procéder à l'instruction de sa demande ; que ce dernier, estimant que le dossier d'autorisation de lotir n'était pas complet, a, par lettre du 11 avril 2007, et en application des dispositions de l'article R. 315-16 du même code, dans leur rédaction alors en vigueur, demandé à la société Socoprem de produire des pièces complémentaires, et notamment un acte authentique créant la servitude de passage, sur la propriété communale voisine, des réseaux d'eaux usées et pluviales appartenant au lotisseur, de compléter la note de présentation, le plan topographique, le règlement de lotissement, le plan de composition, le programme de travaux et le plan de voirie et de fournir deux exemplaires supplémentaires du dossier complet ; que si la commune de Saint-Lunaire fait valoir que les dispositions de l'article R. 315-16 du code de l'urbanisme, permettaient au maire de réclamer à la société pétitionnaire des renseignements complémentaires ou des informations afin de lui permettre de mener l'instruction de la demande en cause, ces dispositions n'autorisaient pas l'autorité administrative à différer le délai d'instruction lorsque les pièces ainsi réclamées ne figuraient pas au nombre des pièces limitativement énumérées par les articles R. 315-5 et R. 315-6 du code de l'urbanisme, dans leurs rédactions alors en vigueur, fixant la composition du dossier d'une demande d'autorisation de lotissement ; qu'en l'espèce, l'acte authentique réclamé par le maire de Saint-Lunaire à la société Socoprem n'était au nombre des pièces fixées par ces deux articles, alors qu'il résulte en outre de l'instruction que la société Socoprem avait déjà obtenu un accord de la mairie pour implanter les réseaux d'eaux usées et pluviales sur le terrain communal ; qu'il ne résulte pas davantage de l'instruction que les autres pièces fournies par la société Socoprem lors du dépôt de sa demande, étaient insuffisamment renseignées et empêchaient le maire de la commune de Saint-Lunaire d'instruire en toute connaissance de cause la demande d'autorisation de lotissement, le projet de lotissement ayant déjà fait l'objet d'une autorisation délivrée le 26 décembre 2000, devenue caduque du fait de la non-réalisation de la vente des parcelles ; qu'ainsi, la demande du maire de la commune de Saint-Lunaire du 11 avril 2007, qui constituait une mesure préparatoire à l'autorisation de lotir, ne pouvait avoir pour effet de différer le point de départ du délai d'instruction d'une durée de trois mois de la demande d'autorisation de la société Socoprem, fixé au 6 avril 2007 ; que, dans ces conditions, et alors même que postérieurement à l'expiration du délai d'instruction de la demande de la société requérante, cette dernière a fait parvenir au maire de la commune de Saint-Lunaire les pièces complémentaires, la délivrance tardive de l'autorisation de lotir le 4 octobre 2007 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Saint-Lunaire ;

4. Considérant, toutefois, que la société Socoprem, qui estime sa perte de marge commerciale à 300 000 euros, calculée sur la base de la différence entre le prix de vente moyen du m² du lotissement en 2007 et le prix d'acquisition des parcelles en 2000, ne se prévaut d'aucune donnée probante de nature à établir qu'elle aurait procédé à une vente plus rapide ou à meilleur prix s'il avait été fait droit à sa demande d'autorisation de lotir à l'expiration du délai d'instruction de sa demande et d'ailleurs n'allègue pas qu'elle était en pourparlers avec un éventuel acheteur ; que, s'agissant du préjudice financier constitué selon la société Socoprem par d'importantes dépenses, estimées à 300 000 euros, et exposées " pour sortir de l'impasse dans laquelle elle se trouvait en raison de ses relations avec la commune de Saint-Lunaire et les actions de celle-ci à son encontre ", il résulte de l'instruction qu'elle ne justifie que de l'engagement des frais d'huissiers, à hauteur de 270,34 euros, au cours du mois d'avril 2007, pour l'affichage en mairie de sa demande d'autorisation de lotir, lesquels sont sans lien avec la faute de la commune qu'elle invoque, le délai d'instruction courant à compter de la réception du dossier et non de son affichage ; que les frais de notaire liés à la rédaction d'un acte authentique portant constitution d'une servitude de passage pour les réseaux d'eaux usées et d'eaux pluviales devaient, en tout état de cause, être engagés et ne sont pas en outre justifiés dans leur montant ; qu'enfin, la société Socoprem n'établit pas que le retard de la commune de Saint-Lunaire dans l'instruction de sa demande d'autorisation de lotir aurait été de nature à porter atteinte à sa pérennité et à sa notoriété, ou aurait provoqué des troubles dans ses propres conditions de fonctionnement, alors qu'au surplus la société Socoprem n'établit pas avoir engagé une politique de commercialisation et de promotion des lots au cours de la même période ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Socoprem n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande indemnitaire ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

6. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Saint-Lunaire, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme sollicitée par la société Socoprem au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Socoprem le versement de la somme que la commune de Saint-Lunaire sollicite au même titre ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Socoprem est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Saint-Lunaire tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société de construction et de promotion Eric Mélois (Socoprem) et à la commune de Saint-Lunaire.

Délibéré après l'audience du 10 avril 2014, à laquelle siégeaient :

- M. Iselin, président de chambre,

- M. Millet, président assesseur,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 30 avril 2014.

Le rapporteur,

M-P. ALLIO-ROUSSEAULe président,

B. ISELIN

Le greffier,

F. PERSEHAYE

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N° 12NT01028


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 12NT01028
Date de la décision : 30/04/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. ISELIN
Rapporteur ?: Mme Marie-Paule ALLIO-ROUSSEAU
Rapporteur public ?: Mme GRENIER
Avocat(s) : BALAT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2014-04-30;12nt01028 ?
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