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27/03/2014 | FRANCE | N°12NT03157

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 27 mars 2014, 12NT03157


Vu la requête, enregistrée le 7 décembre 2012, présentée pour M. A... B..., détenu au..., par Me David, avocat au barreau de Paris ; M. B... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 10-5255 du 11 mai 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 11 juin 2010 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Rennes refusant d'autoriser l'acquisition par lui d'un système d'exploitation " Linux " pour son ordinateur ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;

3°)

d'enjoindre à l'administration pénitentiaire de lui accorder l'autorisation d'acqué...

Vu la requête, enregistrée le 7 décembre 2012, présentée pour M. A... B..., détenu au..., par Me David, avocat au barreau de Paris ; M. B... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 10-5255 du 11 mai 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 11 juin 2010 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Rennes refusant d'autoriser l'acquisition par lui d'un système d'exploitation " Linux " pour son ordinateur ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;

3°) d'enjoindre à l'administration pénitentiaire de lui accorder l'autorisation d'acquérir le système d'exploitation " Linux " pour son ordinateur à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de

5 000 euros en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, moyennant la renonciation de celui-ci à percevoir la contribution versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;

il soutient :

- que le jugement attaqué, qui ne précise pas en quoi les effets de la mesure contestée étaient de faible importance, est insuffisamment motivé ; que les premiers juges n'ont manifestement pas pris en compte sa situation particulière au regard de ses faibles ressources, de sa qualité de détenu et de sa réinsertion à venir ;

- qu'en estimant que la décision contestée constituait une mesure d'ordre intérieur le tribunal administratif a commis une erreur de droit ; que l'état actuel du droit réserve la qualité de mesures d'ordre intérieur aux décisions qui, par leur nature non liberticide, leur faible gravité et leur absence de conséquences juridiques sont véritablement subalternes ;

- que le fait de qualifier de mesure d'ordre intérieur le refus qui lui a été opposé porte atteinte au droit au travail et à l'instruction, principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et par les traités et conventions internationaux et notamment par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, les articles 6, 7, 13 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 ratifié par la France le 25 juin 1980, par l'article 2 du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que par la déclaration universelle des droits de l'Homme et la Charte sociale européenne ;

- que si le détenu qui désire étudier l'informatique est contraint dans son apprentissage à ne pas connaître en temps réel les évolutions technologiques il ne pourra être opérationnel pour une entreprise ; qu'en obligeant les détenus à se fournir uniquement dans un magasin agréé par l'administration pénitentiaire, cette dernière les met dans l'impossibilité d'obtenir les pilotes adaptés à leur matériel ; que si le vendeur fait un effort en téléchargeant et gravant les pilotes, il facture cette prestation, qui est gratuite pour tout internaute ; que les logiciels gratuits, utiles pour faire évoluer un logiciel ou corriger un " bug ", ne sont pas accessibles ;

- que le code de procédure pénale et notamment ses articles D. 102, D. 450, D. 453,

D. 457 et D. 458 fixent les conditions de travail en détention et prévoient notamment que l'organisation, les méthodes et les rémunérations du travail doivent se rapprocher autant que possible de celles des activités professionnelles extérieures afin de faciliter la réinsertion des détenus ; que certains détenus ont obtenus ce logiciel ; qu'il ne peut être fait de discrimination entre les établissements pénitentiaires ; que l'administration impose l'acquisition de Windows, ce qui est contraire aux dispositions de l'article L. 121-1 du code de la consommation ;

- que le danger que constitueraient des données informatiques en détention n'est pas démontré ;

- que la décision contestée est entachée d'un doute sérieux quant à la qualité du signataire de l'acte dès lors que sa signature manuscrite est illisible ; qu'en outre, sa délégation n'est pas produite ;

- que cette décision, qui constitue une mesure de police, est insuffisamment motivée ;

- que la loi française doit s'appliquer sur tout le territoire et que l'usager du service public pénitentiaire n'a pas à souffrir des carences de l'administration qui ne disposerait pas des moyens de contrôle du logiciel Linux ;

- qu'en lui refusant l'acquisition de Linux l'administration a commis une erreur de droit

dès lors que la décision contestée se réfère à la circulaire 6.2 du 1er juin 2009 alors qu'elle a été remplacée par la circulaire NOR : JUSK0940021 C du 13 octobre 2009 relative à l'accès informatique aux personnes placées sous main de justice ;

- que, pour les motifs évoqués ci-dessus, la décision contestée est également entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2014, présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice, qui conclut au rejet de la requête ;

il fait valoir :

- que le jugement est suffisamment motivé ;

- que ni par sa nature, ni par ses effets, la mesure contestée n'est susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir et ne met pas en cause les droits et libertés de M. B... ; que le logiciel Linux n'offre pas toutes les garanties en termes de sécurité ; que l'absence de ce logiciel ne rend pas impossible ni même plus difficile l'utilisation de son ordinateur ; que le requérant ne démontre pas que la décision contestée " bouleverse " l'exercice de ses libertés et droits fondamentaux ;

- que les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations des articles 6, 7 et 13 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, de la Charte sociale européenne et de la Déclaration universelle des droits de l'homme doivent être écartés comme inopérants ;

- que la réinsertion ne constitue pas une liberté ou un droit fondamental ;

- à titre subsidiaire, que la décision a été prise par une autorité compétente ;

- qu'elle est suffisamment motivée ;

- que la seule circonstance que cette décision comporte une signature illisible est sans incidence sur sa légalité dès lors que son auteur peut être identifié sans ambiguïté ;

- que la circulaire du 13 octobre 2009 n'a pas abrogé ni apporté de modification substantielle à celle du 13 juin 2009 ; qu'en tout état de cause, il sollicite une substitution de base légale ; que la même décision aurait été prise sur la base de la circulaire du 13 octobre 2009 ;

- que le refus opposé à M. B... est circonscrit au logiciel d'exploitation Linux ;

- que l'intéressé ne rapporte aucun élément de nature à démontrer une perte de chance dans la recherche d'un futur emploi au regard de sa perspective lointaine de libération ;

- que les dispositions du code de la consommation relatives à la vente à distance ne sont pas applicables aux ventes de produits cantinés dans les établissements pénitentiaires ;

Vu la décision du président de la section administrative du bureau d'aide juridictionnelle

près le tribunal de grande instance de Nantes en date du 17 octobre 2012 admettant M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale au titre de cette instance et désignant Me David pour le représenter ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

Vu le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 ratifié par la France le 25 juin 1980 ;

Vu l'article 2 du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la déclaration universelle des droits de l'Homme ;

Vu la Charte sociale européenne ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 février 2014 :

- le rapport de Mme Gélard, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Degommier, rapporteur public ;

1. Considérant que M. B..., qui est incarcéré depuis le 3 avril 2004 pour purger plusieurs peines dont une peine de 30 ans de réclusion criminelle pour assassinat, a été transféré au centre pénitentiaire de Caen le 10 mai 2010 ; qu'il a sollicité auprès du directeur interrégional des services pénitentiaires de Rennes l'autorisation d'acquérir le système d'exploitation Linux pour son ordinateur ; que cette autorisation lui a été refusée par une décision du 11 juin 2010 ; qu'après avoir obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, M. B... a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à l'annulation de cette mesure ; que, par un jugement rendu le 11 mai 2012, le tribunal administratif a rejeté sa demande au motif que la décision contestée constituait une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours pour excès de pouvoir ; que l'intéressé fait appel de ce jugement ;

2. Considérant que pour déterminer si le refus d'accorder une autorisation d'acquérir du matériel informatique et plus particulièrement un système d'exploitation, sollicitée par un détenu constitue un acte administratif susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, il y a lieu d'apprécier sa nature et l'importance de ses effets sur la situation du détenu ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article D. 449-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction alors en vigueur : " Les détenus peuvent acquérir par l'intermédiaire de l'administration et selon les modalités qu'elle détermine des équipements informatiques. / Une instruction générale détermine les caractéristiques auxquelles doivent répondre ces équipements, ainsi que les conditions de leur utilisation. En aucun cas, les détenus ne sont autorisés à conserver des documents, autres que ceux liés à des activités socioculturelles ou d'enseignement ou de formation ou professionnelles, sur un support informatique. / Ces équipements ainsi que les données qu'ils contiennent sont soumis au contrôle de l'administration. Sans préjudice d'une éventuelle saisie par l'autorité judiciaire, tout équipement informatique appartenant à un détenu peut, au surplus, être retenu, pour ne lui être restitué qu'au moment de sa libération, dans les cas suivants : 1° Pour des raisons d'ordre et de sécurité ; 2° En cas d'impossibilité d'accéder aux données informatiques, du fait volontaire du détenu. " ;

4. Considérant que la mesure litigieuse refusant au détenu la faculté d'acquérir un nouveau système d'exploitation informatique ne constitue pas une aggravation des conditions de détention de M. B..., qui jusqu'alors ne disposait pas du système d'exploitation Linux ; que, par ailleurs, l'intéressé, qui ne justifie ni avoir suivi une formation en informatique, ni exercer ou même envisager d'exercer une activité professionnelle utilisant ce système d'exploitation et qui n'est libérable qu'en 2028 conserve la possibilité d'acquérir pour un coût relativement réduit un autre système d'exploitation permettant à la fois des utilisations équivalentes ou relativement proches pour le détenu et un contrôle des données informatiques par l'administration pénitentiaire ; que, dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que la mesure contestée, qui ne met pas en cause, à elle seule, les libertés et droits fondamentaux des détenus, constituait une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours pour excès de pouvoir ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Considérant que le présent arrêt, qui rejette la requête de M. B..., n'appelle aucune mesure d'exécution ; que par suite, les conclusions de l'intéressé tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration pénitentiaire de l'autoriser à acquérir le système d'exploitation Linux pour son ordinateur doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, de la somme que le conseil de M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 27 février 2014, où siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 mars 2014.

Le rapporteur,

V. GÉLARDLe président,

I. PERROT

Le greffier,

A. MAUGENDRE

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 12NT03157


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 12NT03157
Date de la décision : 27/03/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Procédure - Introduction de l'instance - Décisions pouvant ou non faire l'objet d'un recours - Actes ne constituant pas des décisions susceptibles de recours - Mesures d'ordre intérieur.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Services pénitentiaires.


Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. DEGOMMIER
Avocat(s) : DAVID

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2014-03-27;12nt03157 ?
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