Vu la requête, enregistrée le 4 juin 2012, présentée pour M. A... B..., demeurant..., par Me Lagra, avocat au barreau de Thionville ;
M. B... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1007385 du 23 mars 2012 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France confirmant la décision du 7 avril 2010 par laquelle le consul général de France à Johannesburg a rejeté les demandes de visas de long séjour déposées par ses deux filles, Manasse et Ephraïme, et son petit fils, Isaac Jevick, en qualité de membres de la famille d'un étranger ayant obtenu le statut de réfugié ;
2°) d'annuler cette décision ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
il soutient que :
- la décision contestée méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; en effet, ses deux filles et son petit fils ont toujours vécu avec leurs parents et n'ont aucune autre famille stable ; en outre, il leur transfère régulièrement de l'argent et il lui serait impossible d'aller leur rendre visite en Afrique du Sud ou en Angola ;
- la commission de recours a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, dès lors que l'intérêt supérieur de son petit fils doit primer et commande de ne pas le séparer de sa mère, son père n'étant pas présent ;
- la décision contestée méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; en effet, ses filles vivent dans une situation dangereuse en Afrique du Sud et risquent de se faire expulser vers l'Angola ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 20 août 2012, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut au rejet de la requête ;
il fait valoir que :
- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas fondé ; en effet, les deux filles du requérant sont majeures et en âge de constituer leur propre cellule familiale ; en outre, l'intéressé n'apporte aucun élément permettant d'attester une prise en charge financière de celles-ci, ni qu'elles seraient en situation d'isolement et de précarité ; de plus, M. B... ne justifie pas qu'il serait empêché de rendre visite à ses filles en Afrique du Sud ;
- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant ; par ailleurs, il n'est ni établi que les filles de M. B... risqueraient l'expulsion vers l'Angola, ni qu'elles seraient personnellement exposées à des violences dans ce pays ;
Vu la décision du 24 octobre 2012 par laquelle le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Nantes a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 15 janvier 2014, présenté pour M. B..., qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
Vu la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 janvier 2014 :
- le rapport de M. Durup de Baleine, premier conseiller ;
- et les conclusions de Mme Grenier, rapporteur public ;
1. Considérant qu'après avoir admis en 1996 en République sud-africaine au bénéfice du statut de réfugié, M. B..., ressortissant angolais né en 1962, est entré sur le territoire français au cours de l'année 2000 et, après que le préfet de la Moselle lui a, en 2008, délivré un visa régularisant les conditions de cette entrée, a obtenu la reconnaissance de la qualité de réfugié et ce, par une décision de la cour nationale du droit d'asile en date du 21 octobre 2009 ; que, le 5 mars 2010, il a demandé le bénéfice du rapprochement familial de réfugié statutaire, à l'effet que son épouse et ses cinq enfants, demeurés en Républicaine sud-africaine où leur a également été reconnue la qualité de réfugié, puissent résider en France ; que, le 7 avril 2010, le consul général de France à Johannesburg a délivré des visas d'entrée et de long séjour à son épouse et aux trois plus jeunes enfants, nés en 1993, 1996 et 1999 ; qu'en revanche, une telle délivrance a été refusée à sa fille aînée Manasse LeloB..., née le 10 novembre 1986 ainsi qu'à sa fille cadette Ephraïme, née le 30 novembre 1990, toutes deux majeures à la date d'introduction de la demande de rapprochement familial, ainsi qu'à l'enfant Isaac Jevick Lelo, né le 13 novembre 2008 en Afrique du Sud et qui est son petit-fils ; que M. B... relève appel du jugement du 23 mars 2012 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite née du silence initialement gardé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sur le recours formé le 12 mai 2010 par M. B... et dirigé contre la décision du consul général de France à Johannesburg refusant de délivrer des visas d'entrée et de long séjour à ses filles aînées Manasse et Ephraïme ainsi qu'à l'enfant Isaac Jevick Lelo ; que les conclusions de l'intéressé doivent être regardées comme dirigées contre la décision du 21 octobre 2010 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a ensuite expressément rejeté ce recours et qui s'est substitué à cette décision implicite de rejet ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant, en premier lieu, que, si le requérant se prévaut des dispositions de la directive du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, il résulte toutefois de l'article 4 de cette directive que la situation de ses filles Manasse et Ephraïme, toutes deux majeures à la date à laquelle la procédure de regroupement familial a été engagée, et celle de son petit-fils Isaac Jevick Lelo, qui n'est pas au nombre des enfants mineurs de M. B..., ne relèvent pas des prévisions de cette directive dont, par suite et en tout état de cause, le moyen tiré d'une méconnaissance est inopérant ;
3. Considérant, en deuxième lieu, que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être utilement invoqué à l'encontre d'un refus de visa ;
4. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les filles majeures du requérant résident en Afrique du Sud au moins depuis le mois de septembre 1995 et y ont obtenu l'année suivante le statut de réfugié ; que si leur père réside en France depuis le mois de mai 2000 et que leur mère et leurs trois frères mineurs se sont vus délivrer des visas de long séjour le 7 avril 2010, il n'est pas établi qu'elles seraient dépourvues d'attaches personnelles ou d'autres attaches familiales en Afrique du Sud ; qu'en outre, Manasse B...Lelo est la mère d'un enfant né en République sud-africaine en 2008 et y a ainsi constitué une cellule familiale distincte de celle du requérant ; qu'en dépit de la modestie des ressources de M. B..., il n'est pas établi qu'il serait dans l'impossibilité de rendre visite à ses filles majeures, pas davantage qu'il ne ressort des pièces du dossier que ces dernières seraient dans l'impossibilité de lui rendre visite en France ou, le cas échéant, dans tout autre pays où le premier comme les secondes seraient légalement admissibles ; qu'à cet égard, si le requérant se prévaut de la circonstance qu'en 2012, la République sud-africaine a décidé, sur la base des stipulations du C de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951, de mettre fin au statut des réfugiés angolais, cette circonstance est toutefois postérieure à la décision contestée et, par suite, sans incidence sur sa légalité ; que cette décision n'a ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que, comme il indique le faire depuis plusieurs années, M. B... continue de transférer à des tiers en Afrique du Sud des sommes d'argent pour qu'elles puissent être mises à la disposition de ses deux filles majeures ; qu'en outre, il n'est pas soutenu qu'elles seraient à la charge de leur père ; qu'au surplus, les visas n'ont pas été sollicités au motif que ces deux personnes, dont la situation ne relève pas du principe d'unité de la famille applicable aux réfugiés statutaires, seraient des descendants à charge d'un réfugié établi en France ; que, compte tenu de ces divers éléments, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas porté au droit du requérant ou de ses filles majeures au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels sa décision a été prise ; qu'il en résulte que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
6. Considérant, en quatrième lieu, que la décision contestée du 21 octobre 2010 n'a pas non plus pour effet de séparer l'enfant Isaac Jevick Lelo né en 2008 de sa mère Manasse LeloB..., dont il ne ressort pas des pièces du dossier, ni même n'est allégué, qu'elle n'en assumerait pas la garde et la charge effective ; qu'il en résulte que le moyen tiré d'une méconnaissance des stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté ; que la décision contestée ne méconnaît pas davantage les stipulations des articles 9 et 10 de cette convention ;
7. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat,
qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, une somme à ce titre ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2014, à laquelle siégeaient :
- M. Iselin, président de chambre,
- M. Millet, président-assesseur,
- M. Durup de Baleine, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 février 2014.
Le rapporteur,
A. DURUP de BALEINE Le président,
B. ISELIN
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 12NT01436 2
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