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10/01/2014 | FRANCE | N°12NT01594

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 10 janvier 2014, 12NT01594


Vu le recours, enregistré le 13 juin 2012, présenté par le ministre de l'éducation nationale qui demande à la cour d'annuler le jugement n° 09-2247 du 4 avril 2012 par lequel le tribunal administratif de Nantes l'a condamné à verser à M. A... B... la somme de 81 501,05 euros en réparation des préjudices subis par celui-ci du fait des fautes commises par son employeur ;

il soutient :

- qu'il n'existe aucun lien de causalité entre l'aggravation de la surdité de M. B... intervenue entre 1996 et 2001 et les manques à gagner, en traitement et en pension de retraite, inv

oqués par l'intéressé et indemnisés par le tribunal, qui ne résultent que...

Vu le recours, enregistré le 13 juin 2012, présenté par le ministre de l'éducation nationale qui demande à la cour d'annuler le jugement n° 09-2247 du 4 avril 2012 par lequel le tribunal administratif de Nantes l'a condamné à verser à M. A... B... la somme de 81 501,05 euros en réparation des préjudices subis par celui-ci du fait des fautes commises par son employeur ;

il soutient :

- qu'il n'existe aucun lien de causalité entre l'aggravation de la surdité de M. B... intervenue entre 1996 et 2001 et les manques à gagner, en traitement et en pension de retraite, invoqués par l'intéressé et indemnisés par le tribunal, qui ne résultent que de la décision de l'agent de solliciter un congé de fin d'activité (CFA) ; que M. B... n'a, à ce titre, pas sollicité de poste aménagé pour l'année scolaire 2002-2003 ; que c'est à tort que le tribunal administratif l'a condamné à verser la différence entre les traitements que son agent auraient perçus s'il avait été en fonction du 1er septembre 2002 au 31 août 2005 et les traitements effectivement versés durant la période de CFA, ainsi que la différence de pension en résultant ;

- que M. B... ne peut se prévaloir d'aucun préjudice dans la mesure où la perte de revenus, tant en traitement qu'en pension, résulte uniquement du choix de l'intéressé de bénéficier d'un congé de fin d'activité ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2012, présenté pour M. B... par Me Doucet, avocat au barreau de Nantes, qui conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il fait valoir :

- à titre principal, que le recours du ministre est tardif ;

- à titre subsidiaire, que l'administration était informée, dès le mois d'octobre 1996, des risques particuliers auxquels son agent était exposé ; que cependant elle n'a pas mise en oeuvre les mesures adéquates pour le protéger ; qu'ainsi son taux d'incapacité permanente partielle résultant de la surdité d'origine professionnelle s'est aggravé de 20 à 26 % ; que, faute d'avoir obtenu le poste de réadaptation qu'il avait demandé, il a été contraint de solliciter sa mise en congé anticipée dès lors qu'il demeurait exposé au bruit dans le poste auquel il avait été affecté après la reconnaissance de son handicap comme maladie professionnelle ;

- que sa cessation anticipée d'activité est un choix contraint résultant directement de la faute commise par l'administration, et l'a privé de 25 % de son traitement du 1er septembre 2002 au 31 juillet 2005, ainsi que de la part de pension correspondant à ces trois années de cotisation ;

Vu le mémoire, enregistré le 3 octobre 2013, présenté par le ministre de l'éducation nationale qui conclut aux mêmes fins que son recours ; il soutient en outre :

- que son recours enregistré dans le délai expirant le 14 juin 2012, n'est pas tardif ;

- que M. B... n'a sollicité qu'une seule fois son affectation sur un poste de réadaptation, au titre de l'année 1998-1999 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 décembre 2013 :

- le rapport de M. Lemoine, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Degommier, rapporteur public ;

- et les observations de MeC..., substituant Me Doucet, avocat de M. B... ;

1. Considérant que M. B..., professeur de lycée professionnel en poste au lycée de Rezé, enseignait la chaudronnerie dans des ateliers où il était exposé au bruit ; que la surdité partielle dont il a été atteint a été reconnue comme maladie professionnelle à compter du 22 mai 1996 par la commission de réforme départementale de la Loire-Atlantique qui a, d'une part, arrêté au 7 novembre 1996 la date de consolidation de sa maladie et, d'autre part, fixé un taux d'incapacité permanente partielle de 20 % lui ouvrant droit à une allocation temporaire d'invalidité de 20 % ; qu'en raison de cette invalidité d'origine professionnelle, M. B... a été affecté, au sein du même lycée, sur un poste d'adjoint au chef de travaux chargé de superviser les stages des élèves en BEP et BAC pro ; que, dans cette nouvelle affection, M. B..., qui ne se trouvait plus en permanence dans les ateliers, demeurait cependant partiellement exposé à leurs nuisances sonores élevées ; qu'il a sollicité un poste de reclassement pour l'année 1998-1999 qui lui a été refusé le 5 mars 1998 ; que, dans le cadre de la révision quinquennale de l'allocation temporaire d'invalidité, le médecin chargé d'évaluer l'évolution de son invalidité a alors diagnostiqué, en septembre 2001, une aggravation du taux d'IPP fixé à 35 % puis ramené à 26 % par la commission de réforme départementale lors de sa séance du 4 décembre 2003 ; qu'en l'absence de reclassement sur un poste le tenant à l'écart des ateliers, M. B... a sollicité et obtenu le bénéfice d'un congé de fin d'activité (CFA) à compter du 1er septembre 2002, puis a été admis à la retraite à compter du 1er août 2005 ; qu'à la suite du rejet implicite de sa demande d'indemnisation préalable, M. B... a recherché devant le tribunal administratif de Nantes la responsabilité de l'administration aux fins d'obtenir réparation de l'ensemble des conséquences dommageables de son incapacité partielle ; que, par un jugement du 4 avril 2012, cette juridiction a partiellement fait droit à la demande de M. B... en condamnant l'État à indemniser son agent à hauteur de 5 000 euros au titre de ses préjudices personnels et de 76 501,15 euros au titre de ses préjudices de carrière ; que, par le présent recours, le ministre de l'éducation nationale relève appel de ce jugement ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée en défense tirée de la tardiveté du recours ;

Sur la responsabilité de l'État :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ; (...) " ; que ces dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires de l'État victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les intéressés peuvent prétendre, au titre des conséquences patrimoniales de l'atteinte à l'intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions ; qu'elles ne font, en revanche, obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des dommages ne revêtant pas un caractère patrimonial, tels que des souffrances physiques ou morales, un préjudice esthétique ou d'agrément ou des troubles dans les conditions d'existence, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incomberait ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction et n'est pas contesté par le ministre, que la surdité à l'origine d'une incapacité permanente de 26 % dont M. B... reste atteint revêt le caractère d'une maladie professionnelle contractée dans l'exercice de ses fonctions ; que le ministre conteste toutefois le lien de causalité entre cette invalidité professionnelle et les pertes de revenus et de pension qu'il a été condamné à verser à son agent ;

Sur le lien de causalité :

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction, qu'à la suite de la reconnaissance de l'origine professionnelle de la surdité de M. B... à compter du 22 mai 1996 du fait de son exposition au bruit des ateliers du lycée professionnel dans lesquels il enseignait, l'intéressé a été affecté sur un poste d'adjoint au chef de travaux dans lequel il demeurait toutefois partiellement exposé à des nuisances sonores élevées ; qu'il a sollicité un poste de reclassement hors ateliers pour l'année 1998-1999 qui lui a été refusé sans que des mesures de protection particulières lui soient proposées ; que l'aggravation de sa maladie, qui est due à son maintien partiel en atelier dans de telles conditions, a été retenue pour un taux d'IPP fixé à 26 % par la commission de réforme départementale dans sa séance du 4 décembre 2003 ; que le Centre d'Etude Technique (CETE) Apave, saisi par le médecin de prévention, a réalisé une étude sur l'exposition au bruit de M B...qui démontre que l'intéressé est resté exposé à de fortes nuisances sonores plusieurs heures par jour dans son poste d'affectation, de 1996 au 31 août 2002, date à laquelle il a quitté le service à sa demande ; que le médecin de prévention concluait son rapport du 15 octobre 2003 en indiquant que les conditions de travail de M. B... ont aggravé sa surdité en l'absence de toute mesure de protection individuelle ; qu'ainsi, et alors que l'administration a maintenu de façon fautive plusieurs années son agent sans protection dans un poste aggravant son handicap, sans lui proposer un poste de reclassement qu'il avait sollicité, ni démontrer qu'elle était dans l'incapacité de le reclasser, M. B..., qui s'est trouvé dans l'impossibilité de poursuivre son activité dans le poste dans lequel l'administration l'avait maintenu, doit être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant été contraint de demander son départ anticipé pour protéger son intégrité physique, le médecin de prévention chargé de réévaluer son handicap, ayant conclu, dès le mois de septembre 2001, à une aggravation de 15 % de celui-ci ; que la cessation anticipée d'activité à compter du 1er septembre 2002 doit ainsi être regardée comme étant en lien direct et certain avec la faute du service ouvrant droit pour la victime à l'indemnisation intégrale des préjudices en résultant ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'éducation nationale n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes l'a condamné à indemniser M. B... des préjudices subis du fait des fautes commises par l'administration ;

Sur l'évaluation des préjudices :

6. Considérant, en premier lieu, que les premiers juges ont par une exacte appréciation

fixé à la somme de 5 000 euros, qu'il y a lieu de maintenir, les préjudices personnels subis par M. B... ;

7. Considérant, en second lieu, que l'administration ne conteste pas les sommes demandées par M. B... qui résulteraient de la faute commise par l'administration, ni au titre de ses pertes de rémunération durant son congé de fin d'activité, ni au titre de la décote de sa pension de retraite ; que toutefois, le préjudice de M. B... ne saurait être supérieur à la différence entre la somme qu'il aurait dû percevoir s'il était resté en poste et celle qu'il a effectivement perçu durant la période de son congé de fin d'activité, déduction faite des sommes reçues au titre de allocation temporaire d'invalidité, ainsi qu'à la différence du montant de la pension de retraite qu'il aurait perçue s'il était resté en activité jusqu'à la date de son départ en retraite le 1er août 2005 et celle qu'il perçoit effectivement ; qu'il y a lieu, dès lors de renvoyer M. B... devant l'administration pour que soit procédé à la liquidation de cette indemnité correspondant au préjudice patrimonial de l'intéressé selon les modalités décrites ci-dessus ; que le jugement attaqué doit être réformé dans cette mesure ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros, au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : M. B... est renvoyé devant le ministre de l'éducation nationale afin qu'il soit procédé à la liquidation de l'indemnité auquel il a droit au titre de ses pertes de rémunérations de toute nature et de sa perte de pension de retraite, et qui sera calculée ainsi qu'il a été dit au point 7 du présent arrêt.

Article 2 : Le jugement n°09-2247 du 4 avril 2012 du tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus du recours du ministre de l'éducation nationale est rejeté.

Article 4 : Le ministre de l'éducation nationale versera à M. B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'éducation nationale et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2013 à laquelle siégeaient :

- M. Coiffet, président,

- Mme Specht, premier conseiller,

- M. Lemoine, premier conseiller.

Lu en audience publique le 10 janvier 2014.

Le rapporteur,

F. LEMOINE

Le président,

O. COIFFET

Le greffier,

C. GUÉZO

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 12NT01594


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 12NT01594
Date de la décision : 10/01/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: M. François LEMOINE
Rapporteur public ?: M. DEGOMMIER
Avocat(s) : DOUCET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2014-01-10;12nt01594 ?
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