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12/07/2013 | FRANCE | N°13NT00269

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 12 juillet 2013, 13NT00269


Vu le recours, enregistrée le 11 janvier 2013, présentée par le ministre de l'intérieur, qui demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1103309 du 31 octobre 2012 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 14 octobre 2010 par laquelle le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire a rejeté la demande de naturalisation présentée par Mme D... épouse B... ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... épouse B

...devant le tribunal administratif de Nantes ;

Il soutient que :

- le jugemen...

Vu le recours, enregistrée le 11 janvier 2013, présentée par le ministre de l'intérieur, qui demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1103309 du 31 octobre 2012 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 14 octobre 2010 par laquelle le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire a rejeté la demande de naturalisation présentée par Mme D... épouse B... ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... épouse B...devant le tribunal administratif de Nantes ;

Il soutient que :

- le jugement a statué en retenant des moyens qu'il a relevés d'office et qui ne sont pas d'ordre public ; de ce fait, il est irrégulier ;

- les premiers juges ont inexactement apprécié les faits de l'espèce, dès lors qu'il est suffisamment établi que M. B... entretient avec des membres de la diaspora tchétchène des liens propres à mettre en doute son loyalisme envers la France ; l'intéressé demeure particulièrement sensible à la cause indépendantiste tchétchène et, ce faisant, démontre son attachement et sa fidélité non envers la France mais envers une entité extérieure ;

- le jugement a imparfaitement pris en considération le motif tiré de l'insuffisance des ressources du foyer de la postulante ; c'est à tort qu'il n'a pas admis la substitution sollicitée ;

- le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de la convention de Genève est sans incidence sur la solution à donner au litige ;

- la communauté de vie entre les époux est effective depuis plus de 10 ans et, dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du caractère personnel de l'examen d'une demande de naturalisation est sans fondement ;

- la discrimination invoquée n'est pas établie ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 mars 2013, présenté pour Mme D... épouseB..., par Me Piquois, avocat au barreau de Paris, qui conclut au rejet du recours et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il fait valoir que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que ne sont pas établis ses prétendus agissements comme l'éventualité d'une possible atteinte aux intérêts français ou à la sécurité nationale ;

- lui et son épouse ont toujours indiqué n'avoir aucune activité d'aucune sorte au sein de la diaspora tchétchène en France ; les éléments dont fait état le ministre sont insuffisants pour mettre en cause le loyalisme du postulant ;

- l'insuffisance des ressources, qui n'existe plus, n'est invoquée que par voie de substitution ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 26 avril 2013, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut aux mêmes fins que son recours, par les mêmes moyens ;

Vu les nouvelles observations, enregistrées le 3 juin 2013 présentées par le ministre de l'intérieur ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 juin 2013 :

- le rapport de M. Durup de Baleine, premier conseiller ;

- et les conclusions de Mme Grenier, rapporteur public ;

1. Considérant que Mme D..., qui est née en 1977 à Ourous Martan, alors en URSS (République socialiste soviétique autonome des tchétchènes-Ingouches), est ressortissante de la Fédération de Russie ; qu'avec son époux, elle réside depuis la fin de l'année 2002 en France, où lui a été reconnu le bénéfice du statut de réfugié ; qu'en décembre 2006, elle a demandé à acquérir la nationalité française ; que le ministre de l'intérieur relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 14 octobre 2010 par lequel le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire a rejeté cette demande ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé sur le recours gracieux formé par la postulante le 17 janvier 2011 ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que la décision annulée du 14 octobre 2010 était fondée, d'une part, sur des faits imputés à M. B... et la circonstance que, mariée avec lui depuis l'année 2000, Mme D... ne peut ignorer les activités de son époux auxquelles elle adhérait au moins implicitement et, d'autre part, sur la circonstance que les ressources du foyer ne permettent pas de garantir son autonomie matérielle ; qu'au soutien de sa demande de première instance, Mme D... ne soulevait aucun moyen tiré de l'inexactitude du motif tiré de faits imputés à son époux, mais soutenait seulement que cette décision était illégale en raison de l'absence de tout grief personnel soulevé à son encontre et de ce qu'une adhésion implicite aux activités de son époux n'était pas susceptible de justifier légalement cette décision ; que si le recours gracieux présenté par la postulante le 17 janvier 2011 était joint à la demande de première instance, cette dernière, ni ne s'en appropriait les termes, ni ne s'y référait ; qu'il en résulte que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir qu'en estimant, pour faire droit à la demande de Mme D..., que le premier motif de la décision du 14 octobre 2010 n'est pas de nature à la fonder dès lors que les éléments contenus dans la note ministérielle du 30 juillet 2010 ne sauraient suffire à établir une implication de l'un au moins des époux B...au sein de la communauté tchétchène en France susceptible de porter atteinte aux intérêts français ou à la sécurité, les premiers juges ont statué sur un moyen qui n'était pas soulevé et qui n'est pas d'ordre public ; que le jugement est, par suite, irrégulier ;

3. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Nantes et ce, compte tenu des écritures présentées pour l'intéressée tant en première instance qu'en appel ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 21-15 du code civil : " L'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger " ; qu'aux termes de l'article 48 du décret susvisé du 30 décembre 1993 : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions (...) " ; qu'en vertu de ces dispositions, il appartient au ministre de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la nationalité française à l'étranger qui la sollicite ; que, dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant ainsi que son degré d'insertion professionnelle et d'autonomie matérielle ; qu'en outre, lorsque la naturalisation est sollicitée par deux époux et dès lors que la communauté de vie est effective entre ces derniers, des faits, justifiant un refus de naturalisation, imputables à l'un, peuvent légalement fonder une décision de refus opposée à l'autre ;

5. Considérant que, pour rejeter la demande d'acquisition de la nationalité française présentée par Mme D... épouseB..., le ministre chargé des naturalisations s'est fondé, tout d'abord, sur un premier motif tiré de ce que M. B... est fortement impliqué en faveur de la cause indépendantiste tchétchène et a conservé des liens étroits avec la diaspora tchétchène en France ; que ses relations avec des membres de cette mouvance ressortent notamment de son entretien avec les services de police spécialisés le 4 août 2009, lors duquel il a déclaré avoir effectué en 2005 un voyage en Azerbaïdjan, " pays limitrophe de la Tchétchénie ", sans apporter de précisions sur la destination finale de ce déplacement, et par le fait qu'il a, en mai 2009, mis son appartement à la disposition de certains dirigeants de la communauté tchétchène ; que, mariée depuis 2000 avec M. C... et vivant effectivement avec celui-ci depuis cette date, Mme D... ne peut ignorer les activités de son époux, auxquelles elle adhère au moins implicitement ; que le ministre s'est, ensuite, fondé sur un second motif tiré de ce que les ressources du foyer ne permettent pas de garantir son autonomie matérielle ;

6. Considérant, en premier lieu, que le ministre, sans produire aucun autre document, se prévaut de l'avis émis le 30 juillet 2010 par le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques, selon lequel M. B... évolue dans un environnement sujet à caution et manifeste de l'intérêt envers une cause indépendantiste étrangère, dès lors, d'une part, que, lors d'un entretien le 4 août 2009, il a déclaré avoir effectué en 2005 un voyage en Azerbaïdjan pays limitrophe de la Tchétchénie, mais a refusé d'apporter des précisions sur la destination finale de ce déplacement et, d'autre part, qu'en mai 2009 et à la suite de la demande d'un parent, il a mis son appartement parisien à la disposition de certains dirigeants au sein de la communauté tchétchène ; que, toutefois, s'il est constant que M. B... a effectué un déplacement en 2005 en Azerbaïdjan - pays qui n'est d'ailleurs pas limitrophe de la Tchétchénie mais est limitrophe, au Nord, de la Géorgie et, en Russie, du Daghestan -, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce déplacement aurait eu d'autre " destination finale " que l'Azerbaïdjan lui-même, dès lors que Mme B... fait valoir, de manière précise et circonstanciée, que ce voyage de quatre jours de son époux n'avait d'autre propos que de rendre visite au père de ce dernier à Bakou ; qu'en outre, s'il est constant qu'au mois de mai 2009 et à la demande d'un oncle de son épouse, M. B... a reçu à son domicile à Paris plusieurs personnes originaires du Caucase russe, connues pour être des militants de l'indépendance de la Tchétchénie, dont cet oncle, cette seule circonstance, sur le déroulement exact de laquelle l'intéressée apporte des indications précises, et le lien familial de cette dernière avec cette personne ne suffisent pas à établir l'intérêt de M. B... envers une cause indépendantiste étrangère dont fait état la note, insuffisamment circonstanciée, du 30 juillet 2010 ; qu'eu égard à ces éléments, la forte implication de M. B... en faveur de la cause indépendantiste tchétchène et les relations étroites avec des membres de cette mouvance dont fait état la décision du 14 octobre 2010 ne sont pas avérées ; qu'il en résulte que, faute pour les activités ainsi imputées à M. B... d'être établies, le motif tiré de ce que Mme D... ne peut ignorer de telles activités et y adhère au moins implicitement ne pouvait légalement fonder la décision du 14 octobre 2010 rejetant la demande de la postulante ;

7. Considérant, en second lieu, que si, en dépit de l'exercice par M. B... d'une activité professionnelle salariée au moins depuis le mois de janvier 2010, les ressources du foyer qu'il constitue avec son épouse et, à l'époque des décisions contestées, leurs trois enfants, ne permettent pas d'en garantir leur autonomie matérielle, il ne résulte toutefois pas de l'instruction que le ministre aurait pris la même décision rejetant la demande de naturalisation présentée par Mme D... en se fondant initialement sur le seul second motif de la décision du 14 octobre 2010 ;

8. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme D... est fondée à demander l'annulation de cette décision et de celle rejetant son recours gracieux ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros que demande Mme D... à ce titre ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 31 octobre 2012 est annulé.

Article 2 : La décision du 14 octobre 2010 par laquelle le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire a rejeté la demande de naturalisation présentée par Mme D... épouse B...ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux présentée par l'intéressée sont annulées.

Article 3 : L'Etat versera à Mme D... épouse B...la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A... D...épouseB....

Délibéré après l'audience du 21 juin 2013, à laquelle siégeaient :

- M. Iselin, président de chambre,

- M. Millet, président-assesseur,

- M. Durup de Baleine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 juillet 2013.

Le rapporteur,

A. DURUP de BALEINE Le président,

B. ISELIN

Le greffier,

F. PERSEHAYE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13NT00269 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 13NT00269
Date de la décision : 12/07/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. ISELIN
Rapporteur ?: M. Antoine DURUP de BALEINE
Rapporteur public ?: Mme GRENIER
Avocat(s) : PIQUOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2013-07-12;13nt00269 ?
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