Vu la requête, enregistrée le 23 juillet 2012, présentée pour la société coopérative agricole Cooperl Arc Atlantique, dont le siège social est 7, rue de la Jeannaie Maroué zone industrielle à Lamballe (22400) par Me Gouret, avocat au barreau de Rennes ; la société Cooperl Arc Atlantique demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0900902 du 16 mai 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande en tant qu'elle tendait à l'annulation de la décision du 26 septembre 2008 du directeur général de l'agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations de la soumettre à la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et du titre exécutoire émis en vue du recouvrement de la somme de 72 910 euros au titre de ladite contribution spéciale ;
2°) d'annuler lesdits actes ;
3°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le versement d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- la décision du 26 septembre 2008 du directeur général de l'agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations de la soumettre à la contribution spéciale n'est pas suffisamment motivée ;
- cette décision est intervenue en méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense ainsi que des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que, d'une part, la copie du procès-verbal d'infraction du 28 février 2007 ne lui a jamais été communiquée et que, d'autre part, l'administration n'a pas répondu aux observations qu'elle a formulées les 1er juin 2007, 19 mars 2008 et 31 juillet 2008 ;
- ce procès-verbal est irrégulier et entache d'illégalité la décision du 26 septembre 2008 ;
- elle ne peut être regardée comme redevable de la contribution spéciale dès lors qu'elle n'a eu aucunement l'intention délibérée d'embaucher des salariés étrangers démunis d'un titre les autorisant à travailler en France ; l'infraction n'est donc pas caractérisée comme l'a jugé le tribunal correctionnel de Rennes qui le 25 juin 2009 l'a relaxée des poursuites engagées contre elle ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2012, présenté pour l'Office français de l'immigration et de l'intégration par Me Schegin, avocat au barreau de Paris ; il conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Cooperl Arc Atlantique le versement d'une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- aucune disposition n'imposait la communication du procès-verbal établi le 28 février 2007 ;
- la contribution spéciale n'a pas pour objet la seule réparation pécuniaire d'un préjudice appartenant à la matière pénale au sens des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision d'appliquer la contribution spéciale est indépendante des poursuites pénales susceptibles d'être engagées ;
- elle est due dès lors que la matérialité de l'infraction est établie ; la bonne foi de l'employeur ou l'absence d'élément intentionnel sont sans incidence ;
- la décision de relaxe prise par le juge pénal en raison de l'absence d'un tel élément ne s'impose donc pas au juge administratif ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 mai 2013 :
- le rapport de M. Etienvre, premier conseiller ;
- les conclusions de Mlle Wunderlich, rapporteur public ;
- et les observations de Me A..., substituant Me Gouret, avocat de la société Cooperl Arc Atlantique ;
1. Considérant que l'établissement exploité à Monfort-sur-Meu (Ille-et-Vilaine) par la société Cooperl Arc Atlantique a vu, le 28 février 2007, les services de la police aux frontières de Rennes, autorisés à cet effet par le parquet de Rennes dans le cadre d'une enquête préliminaire, procéder au contrôle de l'identité de plusieurs salariés ; que ces services ont constaté à l'issue de ces contrôles, que 26 ressortissants maliens avaient été embauchés par la société alors qu'ils étaient démunis des titres requis ; qu'après avoir été invitée les 21 mai 2007, 17 mars 2008 et 22 juillet 2008 à présenter ses observations, le directeur général de l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations a décidé le 26 septembre 2008 d'infliger à la société la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et a émis un état exécutoire en vue du recouvrement d'une somme de 72 910 euros en raison de l'emploi de 23 ressortissants étrangers en situation irrégulière ; que la société Cooperl Arc Atlantique fait appel du jugement du 16 mai 2012 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et de ce titre exécutoire ;
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 susvisée : "Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) infligent une sanction (...)" ;
3. Considérant que, par la décision contestée du 26 septembre 2008, le directeur de l'agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations a indiqué à la société Cooperl Arc Atlantique qu'elle avait été informée par une lettre de la direction du travail du 22 juillet 2008 de la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail pour l'emploi de 23 travailleurs étrangers en situation irrégulière et lui a communiqué la liste des salariés pour lesquels l'infraction a été établie par procès-verbal ; qu'elle est dès lors suffisamment motivée ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 8253-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : "Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte une contribution spéciale au bénéfice de l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (...)" ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 8251-1 du même code : "Nul ne peut, directement ou par personne interposée, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France" ; qu'aux termes de l'article R. 8253-3 de ce code : "Le directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle ou le fonctionnaire assimilé indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception, que les dispositions de l'article L. 8251-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours";
5. Considérant que la contribution spéciale instituée par les dispositions précitées du code du travail appartient "à la matière pénale" au sens des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que cette sanction, qui est prononcée au terme d'une procédure administrative permettant aux employeurs de faire valoir leurs observations avant son intervention, peut faire l'objet d'un recours de pleine juridiction devant la juridiction administrative, dans des conditions permettant au juge de moduler le montant de la contribution en appliquant, le cas échéant et compte tenu des circonstances de chaque espèce, l'un des trois taux prévus par la réglementation pour en déterminer le montant ; qu'ainsi le régime de ladite sanction ne contredit pas les stipulations de l'article 6-1 susmentionné aux termes duquel : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) équitablement (...) par un tribunal qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)" ;
6. Considérant qu'aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général du droit n'imposaient que l'administration réponde aux observations que la société a présentées les 1er juin 2007, 19 mars 2008 et 31 juillet 2008 et que soit communiqué à la société, avant que n'intervienne la décision contestée, le procès-verbal d'infraction établi le 28 février 2007 par les services de police à la frontière quand bien même ce procès-verbal constituerait un document administratif communicable au sens de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;
7. Considérant, en troisième lieu, que la circonstance que l'administration ait, postérieurement à l'établissement du procès-verbal d'infraction, réduit à 23 le nombre de salariés étrangers en situation irrégulière n'est pas de nature à entacher d'irrégularité ledit procès-verbal ; que,par suite, la société Cooperl Arc Atlantique n'est pas fondée à soutenir que la décision du 26 septembre 2008 est illégale en raison d'une telle irrégularité ;
8. Considérant, en dernier lieu, que si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tiré de ce que les faits reprochés ne sont pas établis, de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité ou de ce qu'ils ne sont pas sanctionnables en l'absence d'élément intentionnel ; qu'il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction ou d'une amende administrative ; que, dès lors, ni la circonstance que la société Cooperl Arc Atlantique aurait été trompée par les intéressés sur le caractère irrégulier de leur séjour en France, ni sa bonne foi, ni sa relaxe prononcée le 25 juin 2009 par le tribunal correctionnel de Rennes, au motif de l'absence d'élément intentionnel, des poursuites engagées à son encontre pour emploi d'étrangers non munis d'une autorisation de travail salarié ne sauraient faire obstacle à ce que le directeur de l'agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations soumît cette société à la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail dès lors que l'infraction qu'elle sanctionne est constituée du seul fait de l'emploi, non contesté en l'espèce, d'un travailleur étranger démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Cooperl Arc Atlantique n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Rennes a rejeté le surplus de sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant, d'une part, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la société Cooperl Arc Atlantique demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
11. Considérant, d'autre part, qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Cooperl Arc Atlantique, la somme que l'Office français de l'immigration et de l'intégration demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête susvisée de la société Cooperl Arc Atlantique est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'Office français de l'immigration et de l'intégration tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cooperl Arc Atlantique et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2013, à laquelle siégeaient :
- M. Piot, président de chambre,
- M. Etienvre, premier conseiller,
- Mme Coiffet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 juin 2013.
Le rapporteur,
F. ETIENVRELe président,
J-M. PIOT
Le greffier,
C. CROIGER
La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 12NT02096