Vu la requête, enregistrée le 22 août 2011, présentée pour Mme C... E... et M. B... D..., demeurant..., par Me Seghier-Leroy, avocat au barreau de Paris ; Mme E... et M. D... demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1005526 du 27 juillet 2011 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme E... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours contre la décision du consul général de France à Moscou du 5 juillet 2010 lui refusant la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France en qualité de conjointe d'un ressortissant français ;
2°) d'annuler la décision du consul général de France à Moscou du 5 juillet 2010 ;
3°) d'ordonner la délivrance du visa sollicité dans un délai d'un mois et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 mars 2013 :
- le rapport de M. Durup de Baleine, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Grenier, rapporteur public ;
- et les observations de M.D... ;
1. Considérant que, par une décision du 5 juillet 2010, le consul général de France à Moscou a refusé à Mme E..., ressortissante russe née en 1979, la délivrance d'un visa de long séjour en qualité de conjointe d'un ressortissant français ; que l'intéressée et M. D..., son époux, relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande dirigée contre la décision implicite de rejet née du silence gardé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sur le recours présenté par Mme E... le 28 juillet 2010 contre cette décision consulaire ; qu'à cette dernière s'étant substituée cette décision implicite de rejet, la requête doit être regardée comme tendant à l'annulation, outre du jugement, de cette dernière décision ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
Sans qu'il besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
2. Considérant qu'aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Outre le cas mentionné au deuxième alinéa, le visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public " ; qu'il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale ; que pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, d'établir que le mariage a été entaché d'une telle fraude, de nature à justifier légalement le refus de visa ; que la seule circonstance que l'intention matrimoniale d'un seul des deux époux ne soit pas contestée ne fait pas obstacle à ce qu'une telle fraude soit établie ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme E..., qui était l'épouse d'un ressortissant russe avec lequel elle a eu une fille née en 1999 mais dont elle a divorcé, avait demandé en 2007 et 2008 la délivrance de visas de long ou de court séjour en vue, accompagnée de sa fille, de séjourner en France auprès de la famille de M. A... ou de ce dernier, avec lequel Mme E...avait une liaison depuis l'été 2007 ; que M. A..., ressortissant français né en 1976, était alors marié depuis 2001 à une ressortissante bulgare dont il aurait divorcé à Sofia (Bulgarie) ; qu'estimant que Mme E... avait le projet de s'installer durablement en France avec sa fille, l'autorité consulaire française à Moscou lui a refusé la délivrance de ces visas, qui avaient été demandés soit en qualité d'étudiante, soit à titre de visiteur ; qu'après son divorce en Russie, Mme E... a demandé et obtenu la délivrance d'un visa d'entrée et de court séjour au France, au bénéfice d'une attestation d'accueil et d'hébergement émanant d'un frère de M. A... ; qu'arrivée sur le territoire français munie de ce visa, Mme E... y est toutefois demeuré après l'échéance, le 4 mars 2010, de sa durée de validité et, le 23 mars 2010, a épousé à Paris M. D..., ressortissant français né en 1934 avec lequel, le 24 février 2010, elle venait de signer un contrat de mariage devant un notaire ; qu'après que l'intéressée eût regagné la Russie le 6 avril 2010, le consul général de France à Moscou a refusé, le 5 juillet 2010, de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité de conjointe de ce ressortissant français, au motif que l'étude de son dossier et des demandes de visa présentées depuis 2007 permettait de conclure à l'absence d'intention matrimoniale ;
4. Considérant, en premier lieu, que la liaison entretenue entre M. A...et Mme E...entre l'été 2007 et la fin de l'année 2009, les demandes de visas présentées au consulat général de France à Moscou en 2007 et ultérieurement, la situation personnelle de MmeE..., originaire d'une région de Russie située environ à 800 km à l'est de Moscou et, à l'âge de 30 ans, divorcée et mère d'une enfant de dix ans, sans qu'il ressorte du dossier qu'elle aurait disposé d'une situation professionnelle stable propre à lui procurer normalement des ressources suffisantes, établissent suffisamment une volonté de Mme E...d'émigrer hors de Russie avec sa fille, en Europe occidentale ; que, toutefois, la mise en évidence de cette volonté, même conjuguée à certaines autres circonstances de fait propres à permettre à l'administration d'avoir des doutes sur la réalité de l'intention matrimoniale de Mme E...et de M.D..., ne saurait suffire à tenir pour établi que le mariage du 23 mars 2010 ne serait intervenu, à tout le moins de la part de l'épouse, que dans le propos de permettre à cette dernière de réaliser son souhait d'émigrer hors de Russie ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'à l'occasion de leur audition le 11 mars 2010, les époux ont, quant à leur projet de vie conjugale, exposé qu'ils souhaitent simplement vivre ensemble sans avoir d'enfants, dans l'appartement que possède M. D...à Paris ; que Mme E... va poursuivre ses études de Français et souhaite que sa fille de 10 ans, alors en Russie, vienne s'installer au domicile de M.D..., dont il est ajouté qu'il dispose d'une pension de retraite suffisamment élevée pour permettre à Mme de suivre des études sans travailler ; que, contrairement à ce que fait valoir le ministre, la description d'un tel projet de vie
conjugale, loin de permettre d'en déduire l'absence d'une intention matrimoniale sincère, est au contraire de nature à l'établir dès lors, d'une part et de façon générale, que le souci de l'un des époux de bénéficier de la sécurité matérielle et financière qu'est en mesure de lui procurer l'autre époux n'a jamais été étranger à l'intention matrimoniale et ne l'est pas davantage en 2010, d'autre part et en l'espèce, que M.D..., pilote de ligne en retraite, jouit d'une situation matérielle et financière aisée et que, né en 1934, il est veuf et déjà père de plusieurs enfants tous majeurs, tandis que, pour sa part, MmeE..., seulement âgée de 30 ans à la date du mariage, est, en dépit de son jeune âge, divorcée comme mère d'une fille née en Russie en 1999 ;
6. Considérant, en troisième lieu, que les époux ont également déclaré s'être rencontrés à Paris au cours de l'été 2007, dans les locaux de l'Alliance française ; qu'en dépit du défaut de précisions circonstanciées quant aux conditions dans lesquelles ils ont ainsi fait connaissance et si ne ressort pas du dossier la réalité d'une relation suivie qu'aurait entretenue Mme E...et M. D...entre l'été 2007 et le mois de décembre 2009 - relation suivie qui n'est, en tout état de cause, pas alléguée -, il est, contrairement à ce que fait valoir le ministre, suffisamment établi par les pièces du dossier que Mme E...a, à compter de la fin du mois de décembre 2009, résidé à Paris au domicile de M.D..., et par suite avec lui et ce, jusqu'au 6 avril 2010, date du départ de l'intéressée en Russie ; qu'il existe ainsi, de façon matérielle et quotidienne, une communauté de vie antérieure au mariage ainsi que pendant une brève période consécutive à ce mariage ; que, si M. D...n'a pas accompagné Mme E...en Russie au mois d'avril 2010, le retour de l'intéressée dans ce pays, où était restée sa fille de 10 ans, avait en fait pour propos essentiel, outre d'y retrouver son enfant, de demander et obtenir un visa de long séjour auprès du consulat général de France à Moscou, à l'effet de pouvoir rapidement regagner la France et y rejoindre M. D...à Paris, cette fois avec la fille de la requérante ; que le refus de l'autorité consulaire de délivrer ce visa a fait obstacle à un tel retour à brève échéance en France ; que, toutefois, cet éloignement entre les conjoints n'a pas fait obstacle à ce que, entre le mois d'avril 2010 et février 2011, M.D..., au moyen d'un compte bancaire dont il est titulaire et d'une carte bancaire attachée à ce compte, mette à disposition de son épouse des sommes d'argent importantes, cette dernière ayant utilisé de façon substantielle les moyens financiers ainsi procurés par son époux ; que ces circonstances sont également de nature à établir le défaut d'insincérité du mariage contracté le 23 mars 2010 ; qu'enfin, Mme E...est, avec sa fille, revenue en France au mois de février 2011 ; qu'il est établi que, depuis, elle vit avec M.D..., dans leur domicile parisien, sa fille étant pour sa part scolarisée dans un collège à Paris ; que, si cette communauté de vie d'une durée de plus de deux ans à la date du présent arrêt est postérieure à la décision contestée, elle ne saurait, toutefois, être ignorée par le juge de l'excès de pouvoir, dès lors qu'elle est, d'ailleurs manifestement dans les circonstances de l'espèce, propre à établir la réalité de l'intention matrimoniale à la date du mariage le 23 mars 2010 et ce, alors même que Mme E...a cru pouvoir revenir en 2011 sur le territoire français en l'absence du visa dont elle conteste précisément le refus de le lui délivrer ;
7. Considérant, ainsi, qu'il résulte de ce qui a été exposé au points 3 à 6, que le ministre de l'intérieur, qui ne conteste au demeurant pas la sincérité de l'intention matrimoniale de M.D..., n'établit pas davantage le défaut d'intention matrimoniale de la part de MmeE... ; qu'il en résulte qu'il n'établit pas que le mariage contracté le 23 mars 2010 à Paris n'aurait été inspiré que par le souci de permettre à l'épouse d'émigrer en France et, par suite, aurait été entaché d'une fraude ; qu'en l'absence d'une telle fraude ou d'une menace pour l'ordre public, c'est en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de faire droit au recours présenté devant elle par MmeE... ; que sa décision doit être annulée ;
8. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme E...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté les conclusions de sa demande dirigée contre la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours contre la décision du consul général de France à Moscou en date du 5 juillet 2010 ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé " ;
10. Considérant que le ministre de l'intérieur ne fait pas valoir d'autres motifs qui seraient propres à justifier légalement le refus de délivrer à Mme E...un visa de long séjour en sa qualité de conjointe d'un ressortissant français ; que, dès lors, l'annulation de la décision contestée implique nécessairement que le ministre lui délivre ce visa ; qu'il y a lieu d'ordonner au ministre de procéder à cette délivrance dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros que demande Mme E...à ce titre ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 juillet 2011 et la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours présenté par Mme E...contre la décision du consul général de France à Moscou du 5 juillet 2010 sont annulés.
Article 2 : Il est ordonné au ministre de l'intérieur de délivrer à MmeE..., épouseD..., un visa de long séjour en qualité de conjointe d'un ressortissant français et ce, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat paiera à MmeE..., épouseD..., la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E... épouseD..., à M. B... D... et au ministre de l'intérieur.
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N° 11NT02392 2
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