Vu la requête, enregistrée le 2 mai 2011, présentée pour M. Gilles X, demeurant ..., par Me Pinet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; M. X demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 08-840 du 31 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de France Télécom à lui verser la somme de 173 163 euros en réparation du préjudice subi en raison du blocage de sa carrière ;
2°) de condamner solidairement France Télécom et l'Etat à lui verser la somme de
173 163 euros en réparation de ses préjudices avec intérêt au taux légal à compter de sa demande préalable ;
3°) d'enjoindre à l'Etat et à France Télécom de reconstituer sa carrière ;
4°) de mettre à la charge solidaire de France Télécom et de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
.....................................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'Etat ;
Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom ;
Vu la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 relative à l'entreprise nationale France Télécom ;
Vu le décret n° 58-777 du 25 août 1958 portant règlement d'administration pour la fixation du statut particulier du corps des inspecteurs des postes, télégraphes et téléphones ;
Vu le décret n° 91-103 du 25 janvier 1991relatif au statut particulier du corps des inspecteurs de La Poste et du corps des inspecteurs de France Télécom ;
Vu les décrets nos 93-514 à 93-519 du 25 mars 1993, modifiés ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 février 2012 :
- le rapport de M. Pouget, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Degommier, rapporteur public ;
- et les observations de M. X ;
Considérant que M. X, fonctionnaire de France Télécom depuis le 2 mai 1979, titularisé le 2 mai 1980 dans le grade d'agent technique de 1ère classe (AT1) puis promu le 19 décembre 1989 dans le grade de conducteur de travaux du service des lignes (CDTXL) a refusé, lors du changement de statut de son employeur, d'intégrer les corps dits de "reclassification" et a opté en faveur de la conservation de son grade ; que, par un courrier du 9 octobre 2007, il a demandé à France Télécom et à l'Etat la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait du blocage de sa carrière depuis 1993 ; qu'il relève appel du jugement du 31 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de France Télécom et de l'Etat à lui verser la somme de 173 163 euros en réparation de ses préjudices ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué ;
Sur la responsabilité de France Télécom et de l'Etat :
Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom : " Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...)" ; qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : "En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) / Chaque statut particulier peut prévoir l'application des deux modalités ci-dessus, sous réserve qu'elles bénéficient à des agents placés dans des situations différentes" ; qu'aux termes de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 1996 : "1. Au 31 décembre 1996, les corps de fonctionnaires de France Télécom sont rattachés à l'entreprise nationale France Télécom et placés sous l'autorité de son président qui dispose des pouvoirs de nomination et de gestion à leur égard. Les personnels fonctionnaires de l'entreprise nationale France Télécom demeurent soumis aux articles 29 et 30 de la présente loi. / L'entreprise nationale France Télécom peut procéder jusqu'au 1er janvier 2002 à des recrutements externes de fonctionnaires pour servir auprès d'elle en position d'activité (...)" et qu'aux termes de l'article 34 : "Le ministre chargé des postes et télécommunications veille, dans le cadre de ses attributions générales sur le secteur des postes et télécommunications, au respect des lois et règlements applicables au service public des postes et télécommunications et aux autres missions qui sont confiées par la présente loi aux exploitants publics (...)" ;
Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de "reclassement" de France Télécom de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de "reclassification" créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de "reclassification", ne dispensait pas le président de France Télécom, avant le 1er janvier 2002, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de "reclassement" ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par France Télécom de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires "reclassés" comme aux fonctionnaires "reclassifiés" de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;
Considérant, d'autre part, que le législateur, en décidant par les dispositions précitées de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, résultant de la loi du 26 juillet 1996, que les recrutements externes de fonctionnaires par France Télécom cesseraient au plus tard le 1er janvier 2002, n'a pas entendu priver d'effet, après cette date, les dispositions de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires "reclassés" ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de "reclassement", en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires "reclassés" de toute possibilité de promotion interne, sont devenus illégaux à compter de la cessation des recrutements externes le 1er janvier 2002 ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires "reclassés" après cette date, le président de France Télécom a, de même, commis une illégalité fautive engageant la responsabilité de cette société ; que des promotions internes pour les fonctionnaires "reclassés" non liées aux recrutements externes ne sont redevenues possibles, au sein de France Télécom, que par l'effet du décret du 26 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Télécom ; qu'ainsi l'Etat a également commis une faute en attendant le 26 novembre 2004 pour édicter les dispositions organisant les possibilités de promotion interne pour les fonctionnaires des corps de reclassement ; que ces fautes sont de nature à entraîner la responsabilité de l'Etat et de France Télécom, mais n'ouvrent droit à réparation au profit de M. X qu'à la condition qu'elles soient à l'origine d'un préjudice personnel, direct et certain subi par lui ;
Sur le préjudice :
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction, en particulier des éléments versés au dossier lesquels ne permettent pas d'apprécier ses états de service, son aptitude et ses mérites comparés à ceux de ses collègues, que M. X aurait eu, comme il le soutient, alors même qu'il remplissait les conditions statutaires pour être promu, une chance sérieuse d'être nommé dans le grade supérieur des inspecteurs (IN) eu égard à la nature des fonctions susceptibles de lui être confiées si des promotions avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires "reclassés" après 1993 ; que, par suite, les conclusions de M. X tendant à ce qu'une indemnité lui soit versée tant au titre de son préjudice professionnel que financier ne peuvent qu'être rejetées ;
Considérant, toutefois, que M. X a subi, du fait de l'atteinte portée à ses droits statutaires à raison des illégalités fautives relevées ci-dessus, des troubles dans ses conditions d'existence et un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en les évaluant à la somme globale de 5 000 euros, tous intérêts confondus au jour du présent arrêt, laquelle sera supportée solidairement par l'Etat et par France Télécom ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative :
"Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution" ;
Considérant que le présent arrêt, qui statue sur les conclusions indemnitaires de M. X tendant à la condamnation de l'Etat et de France Télécom à réparer son préjudice, n'implique pas la reconstitution de sa carrière ; que, dès lors, de telles conclusions doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de France Télécom et de l'Etat le versement à M. X de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que les conclusions présentées sur le fondement des mêmes dispositions par France Télécom, partie perdante dans la présente instance, doivent être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 08-840 du tribunal administratif de Rennes en date du 31 décembre 2010 est annulé.
Article 2 : France Télécom et l'Etat sont condamnés à verser solidairement à M. X la somme de 5 000 euros (cinq mille euros), y compris tous intérêts échus au jour du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande et de la requête de M. X est rejeté.
Article 4 : France Télécom et l'Etat verseront solidairement à M. X la somme de 1 000 euros (mille euros) au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par France Télécom sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. Gilles X, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à France Télécom.
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N° 11NT01293 2
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