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12/05/2011 | FRANCE | N°09NT01118

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 12 mai 2011, 09NT01118


Vu la requête, enregistrée le 30 avril 2009, présentée pour Mme Marie-Gladys X et M. Gilbert X, demeurant ..., par Me Casadei-Jung, avocat au barreau d'Orléans ; Mme et M. X demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 06-2932 du 26 février 2009 par lequel le tribunal administratif d'Orléans n'a que partiellement fait droit à leurs demandes en condamnant le centre hospitalier régional (CHR) d'Orléans à verser, respectivement à Mme X et à son époux, les sommes de 112 462 euros et 2 666 euros, lesdites sommes portant intérêts à compter du 8 décembre 2004 ;
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Vu la requête, enregistrée le 30 avril 2009, présentée pour Mme Marie-Gladys X et M. Gilbert X, demeurant ..., par Me Casadei-Jung, avocat au barreau d'Orléans ; Mme et M. X demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 06-2932 du 26 février 2009 par lequel le tribunal administratif d'Orléans n'a que partiellement fait droit à leurs demandes en condamnant le centre hospitalier régional (CHR) d'Orléans à verser, respectivement à Mme X et à son époux, les sommes de 112 462 euros et 2 666 euros, lesdites sommes portant intérêts à compter du 8 décembre 2004 ;

2°) de condamner le CHR d'Orléans à verser à Mme X la somme de 166 073 euros en réparation de ses préjudices à caractère patrimonial, et une rente annuelle indexée de 13 314 euros ou une somme de 278 378 euros en réparation de ses préjudices à caractère non patrimonial, sommes portant intérêts à compter du 8 décembre 2004, lesdits intérêts étant eux-mêmes capitalisés ;

3°) de condamner le CHR d'Orléans à verser à M. X la somme de 23 905,66 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 8 décembre 2004, les intérêts étant eux mêmes capitalisés ;

4°) de mettre à la charge du CHR d'Orléans la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 avril 2011 :

- le rapport de M. Hervouet, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Geffray, rapporteur public ;

Considérant qu'après avoir subi des soins dentaires au cours des mois de juin et juillet 2002, Mme X, qui ressentait de violentes douleurs au niveau des maxillaires droites associées à des céphalées, a été examinée par son chirurgien-dentiste, lequel a, le 23 octobre 2002, effectué une radiographie et prescrit un traitement ; que, le 25 octobre 2002, son état général s'altérant, Mme X a consulté son médecin traitant, le docteur Y, qui lui a prescrit un nouveau traitement et fait réaliser une radiographie des sinus ; que cette radiographie, effectuée le 28 octobre 2002, a révélé un épaississement en cadre de la muqueuse du sinus maxillaire droit et la présence de matériel dentaire à la partie interne et moyenne inférieure du sinus maxillaire droit ; qu'à nouveau consulté le jour même, le docteur Y constatait qu'elle présentait un tableau clinique associant nausées, diplopie évidente et gênante, douleurs intenses et persistantes résistant aux antalgiques habituels, et préconisait une consultation auprès d'un stomatologue, lequel a prescrit un nouveau traitement ; qu'elle a été admise au service des urgences du centre hospitalier régional (CHR) d'Orléans le 30 octobre 2002, en raison de l'aggravation de son état neurologique, caractérisé par des troubles de la conscience, une exophtalmie et des inflammations du palais ainsi qu'une acidocétose diabétique ; que le 1er novembre 2002, Mme X a fait l'objet de nouveaux examens qui ont révélé une lésion cérébrale d'aspect ischémique ; que, bien qu'une thrombose du sinus caverneux ait été suspectée, Mme X n'a pas été examinée par un otorhino-laryngologue ; que son état de santé s'est de nouveau aggravé dans les jours suivants, caractérisé par une plaie buccale, un oedème et une ophtalmoplégie complète, une paralysie faciale droite, une hémiplégie gauche, et une nécrose du palais et du plancher narinaire ; qu'une biopsie réalisée le 8 novembre 2002 a révélé une nécrose de l'hémi-palais droit révélatrice d'une mucor mycose ; que, transférée le 14 novembre 2002 dans le service ORL de l'hôpital Lariboisière, Mme X a été opérée le 15 novembre 2002, puis à nouveau le 20 décembre 2002 ; qu'elle demeure atteinte de séquelles caractérisées par une hémiplégie, des préjudices esthétiques et fonctionnels et une vision monoculaire ; que, saisis par l'intéressée, le tribunal de grande instance d'Orléans puis le tribunal administratif ont désigné le docteur Z en qualité d'expert ; que, parallèlement, Mme X a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) des accidents médicaux, qui a diligenté une expertise menée par le professeur A ; que, le 8 décembre 2004, les époux X ont présenté une réclamation indemnitaire auprès du CHR d'Orléans, qui l'a implicitement rejetée ; que M. et Mme X font appel du jugement en date du 26 février 2009 par lequel le tribunal administratif d'Orléans n'a fait que partiellement droit à leurs demandes en condamnant le CHR à verser, respectivement à Mme X et à son époux, les sommes de 112 462 euros et 2 666 euros, lesdites sommes portant intérêts à compter du 8 décembre 2004 ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : Hors les cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise diligentés tant par le tribunal administratif que par la CRCI du Centre, que Mme X a présenté une complication rare, mais classique chez une personne diabétique mal équilibrée en décompensation acidocétosique, constituée par une mucor mycose sinusienne invasive ; que, selon les experts, cette infection grave, liée à un champignon microscopique, doit être détectée précocement en vue d'une prise en charge chirurgicale rapide conditionnant l'importance de la résection et des séquelles, et la survie ; que tel n'a cependant pas été le cas ; qu'en effet, alors que Mme X présentait à son arrivée au centre hospitalier le 30 octobre 2002 une lésion inflammatoire de l'hémi-palais droit et une obstruction de la fosse nasale droite, l'équipe médicale, qui a correctement procédé à la réanimation qui s'imposait, n'a cependant effectué aucun prélèvement, telle une biopsie, aux fins d'analyse étiologique, s'abstenant dès lors de rechercher la cause des atteintes constatées ; que ce n'est que le 8 novembre 2002 que la pathologie de la requérante a été diagnostiquée ; que Mme X et M. Gilbert X sont, par suite, fondés à soutenir que le retard pris par l'équipe médicale du CHR d'Orléans pour procéder à un diagnostic pertinent constitue une faute de nature à engager la responsabilité de cet établissement ; que, toutefois, il résulte également de l'instruction que le docteur Y, médecin traitant de Mme X, a commis une erreur en orientant l'intéressée vers un stomatologue en ville alors que le tableau clinique justifiait une hospitalisation en urgence, circonstance participant ainsi aux retards de diagnostic et de prise en charge et contribuant à sa mesure à la réalisation du dommage ; que, compte tenu des fautes respectives commises par les praticiens consultés par Mme X et par les services du CHR d'Orléans, il sera fait une juste appréciation de la responsabilité dudit centre en lui imputant la moitié des conséquences dommageables subies par Mme X et son époux ; que le jugement attaqué doit, dès lors, être réformé sur ce point ;

Sur les préjudices indemnisables :

Considérant que, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; que, compte tenu du caractère rare de la pathologie affectant Mme X et de l'existence de facteurs de risque propres à l'intéressée, rappelés plus haut, il convient, ainsi que les premiers juges l'ont justement estimé, de fixer cette fraction aux deux tiers du préjudice subi ;

En ce qui concerne les préjudices de Mme X :

S'agissant des préjudices à caractère patrimonial :

Considérant que Mme X justifie devoir supporter définitivement le paiement d'une somme de 763,89 euros correspondant à la part restée à sa charge après acquisition d'une chaise de douche ; que les frais d'appareillage et autres dépenses de santé exposés par Mme X et laissés à sa charge doivent, par suite, être portés de 2 106 à 2 880 euros ;

Considérant que la requérante justifie avoir procédé dans son logement, pour un montant de 9 687 euros, à des réaménagements nécessaires à son handicap, et établit par la production de devis que les travaux restant à réaliser portent sur la somme de 12 821 euros ; qu'il n'est pas contesté qu'elle a également dû procéder, pour un coût total de 25 000 euros, à l'aménagement de son véhicule ; que, par suite, ces préjudices seront fixés à la somme totale de 47 508 euros ;

Considérant que, s'agissant des frais d'assistance par une tierce personne, Mme X justifie avoir exposé la somme de 54 947 euros pour la période correspondant aux années 2005 à 2009 ; qu'il résulte par ailleurs de l'instruction que son état de santé justifie, pour la période postérieure, l'aide d'une tierce personne à raison de trois heures par jour, en sus des prestations qui lui sont octroyées par le Conseil général, pour un montant annuel de 17 754 euros ; qu'il sera fait une exacte appréciation de la capitalisation des frais relatifs à cette assistance, compte tenu de l'âge et de l'état de santé de Mme X, en la fixant à la somme de 315 000 euros ; qu'il s'ensuit que la somme globale à laquelle peut prétendre Mme X au titre des frais relatifs à l'assistance par une tierce personne s'élève à 369 947 euros ;

S'agissant des préjudices à caractère personnel :

Considérant que l'incapacité permanente dont Mme X demeure atteinte peut être évalué à 85 % ; que son préjudice esthétique peut être fixé à 6 sur une échelle de 7 ; que les souffrances endurées ont atteint le niveau 6 sur une échelle de 7 ; que, selon les experts, l'intéressée subit un préjudice d'agrément important ; qu'il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence de la requérante en les arrêtant à la somme de 260 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préjudice global de Mme X doit être fixé à la somme de 680 335 euros ; que, compte tenu du partage de responsabilité ci-dessus retenu et de l'ampleur de la chance perdue par Mme X d'éviter la survenance des différents dommages, la requérante peut prétendre à l'octroi d'une somme globale de 226 778 euros ;

En ce qui concerne les préjudices de M. Gilbert X :

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence de M. X, aujourd'hui décédé, générés par les séquelles dont demeure atteinte sa femme en lui octroyant une somme de 10 000 euros ; que les frais de déplacements qu'il a exposés pour se rendre au chevet de son épouse peuvent être évalués à la somme de 2 000 euros ; que, compte tenu du partage de responsabilité ci-dessus effectué et de l'ampleur de la chance perdue par Mme X d'éviter la survenance des dommages, la somme à laquelle M. X pouvait prétendre doit être fixée à 4 000 euros ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant, d'une part, que Mme et M. X ont droit aux intérêts des sommes

ci-dessus retenues de 226 778 euros et 4 000 euros à compter du 8 décembre 2004, date d'enregistrement de leur demande au CHR d'Orléans ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. ; que, pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que M. et Mme X ont demandé la capitalisation des intérêts dans un mémoire enregistré au greffe du tribunal le 12 novembre 2008, date à laquelle il était dû au moins une année d'intérêts ; qu'il y a lieu d'accorder la capitalisation des intérêts à compter de cette date ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de condamner le CHR d'Orléans à verser à Mme et M. X une somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le CHR d'Orléans versera la somme de 226 778 euros (deux cent vingt-six mille sept cent soixante-dix-huit euros) à Mme X. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2004. Les intérêts échus à la date du 12 novembre 2008 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 2 : Le CHR d'Orléans versera une somme de 4 000 euros (quatre mille euros) aux ayants droit de M. X. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2004. Les intérêts échus à la date du 12 novembre 2008 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : Les articles 1er et 2 du jugement du 26 février 2009 du tribunal administratif d'Orléans sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme X est rejeté.

Article 5 : Le CHR d'Orléans versera à Mme X et aux ayants droit de M. Gilbert X la somme globale de 2 000 euros (deux mille euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Marie-Gladys X, à Mlle Marie Martine X, à Mlle Marie Jessica X, à Mlle Ingrid X, à M. Medhy X, à Mme Michèle X, épouse B, à M. Patrick X, à Mlle Prisca X, à Mlle Sabrina X, au centre hospitalier régional d'Orléans, à la mutuelle nationale des hospitaliers et des personnels de santé, à la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux.

Une copie sera transmise au professeur Bertrand Z, expert.

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N° 09NT01118 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 09NT01118
Date de la décision : 12/05/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: M. Christophe HERVOUET
Rapporteur public ?: M. GEFFRAY
Avocat(s) : CASADEI-JUNG

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2011-05-12;09nt01118 ?
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