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10/07/2025 | FRANCE | N°24NC00516

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 5ème chambre, 10 juillet 2025, 24NC00516


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 12 décembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éloignement et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.



Par un jugement n° 2400007 du 2 février 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal ad

ministratif de Strasbourg a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 12 décembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éloignement et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2400007 du 2 février 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 mars 2024, M. C..., représenté par Me Airiau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler l'arrêté du 12 décembre 2023 ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans les quinze jours de la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :

- la préfète n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation et n'a pas pris en compte les éléments relatifs à sa situation personnelle en se contentant de tenir compte du seul rejet de sa demande d'asile et en considérant que ses deux enfants sont mineurs ;

- la préfète n'a pas tenu compte de sa demande de séjour ;

- la décision est entachée d'erreur de fait ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :

- l'annulation de cette décision s'impose comme la conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;

S'agissant de la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français :

- l'annulation de cette décision s'impose comme conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

La procédure a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin qui n'a pas produit de défense.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Peton a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant russe né en 1975, déclare être entré en France le 29 juillet 2019. Sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 11 octobre 2019, puis la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 2 septembre 2020. La demande de réexamen de sa demande d'asile a été placée en procédure accélérée et rejetée par l'OFPRA le 13 mars 2023 dont la décision a été confirmée par la CNDA le 30 août 2023. Par arrêté du 12 décembre 2023, la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. C... relève appel du jugement du 2 février 2024, par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, il ressort des mentions de l'arrêté contesté que la préfète du Bas-Rhin, après avoir rappelé le rejet de la demande d'asile présentée par M. C... par l'OFPRA et la CNDA et la fin de son droit au maintien sur le territoire, a examiné l'ensemble de sa situation personnelle et familiale et a vérifié, au vu des éléments dont elle avait connaissance, qu'aucune circonstance ne faisait obstacle à une mesure d'éloignement fondée sur les dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Les termes mêmes de cet arrêté, quand bien même ils mentionnent que les deux enfants de l'intéressé sont mineurs et ne mentionnent pas que l'ainé des enfants aurait obtenu la qualité de réfugié, établissent ainsi que la préfète a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. C.... Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) / 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° (...) ".

4. Contrairement à ce que soutient M. C..., le seul dépôt d'une demande de titre de séjour ne s'oppose pas à ce que l'autorité administrative décide de prendre une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger qui se trouve dans les cas mentionnés au 4° ou au 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ne saurait en aller autrement que lorsque la loi prescrit l'attribution de plein droit d'un titre de séjour à l'intéressé, cette circonstance faisant alors obstacle à ce qu'il puisse légalement faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Il appartient ainsi au préfet qui entend, en application de ces dispositions, obliger un étranger à quitter le territoire, de procéder à un examen particulier de sa situation et de s'assurer, au vu de l'ensemble des éléments dont il a connaissance, qu'aucune circonstance ne fait obstacle à une mesure d'éloignement. S'il ressort des pièces du dossier que M. C... a déposé une demande de titre de séjour, sur le fondement notamment de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le 17 octobre 2023, ce texte ne prescrit pas la délivrance de plein droit de ce titre de séjour. Dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que la préfète aurait commis une erreur de droit en prononçant à son encontre une obligation de quitter le territoire français alors qu'il avait déposé une demande de titre de séjour.

5. En troisième lieu, si la préfète a commis des erreurs sur la situation personnelle et celle du fils majeur du requérant, de telles inexactitudes sont sans incidence sur le sens de l'arrêté litigieux.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant : " 1./ Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

7. M. C... se prévaut de la durée de sa présence en France avec ses enfants. Toutefois, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie privée et familiale. En l'espèce, le requérant déclare être entré en France en 2019 et s'est maintenu sur le territoire français durant le temps nécessaire à l'instruction de sa demande d'asile puis de sa demande de réexamen, sans jamais être titulaire d'un titre de séjour. Les certificats de scolarité de ses enfants et les attestations de participation à des activités associatives ne permettent pas, à eux seuls, d'établir la réalité de son intégration dans la société française ou l'intensité de ses attaches en France, qui se limitent à ses enfants, qui ont la même nationalité. Sa fille mineure, A..., née en 2007 en Russie, peut accompagner son père dans leur pays d'origine, où M. C... a vécu jusqu'à l'âge de 43 ans et où la cellule familiale pourra se reconstituer. Si son fils, B..., né en 2004, a obtenu le statut de réfugié, il doit être regardé, eu égard à son âge et malgré sa scolarité, comme ayant constitué sa propre cellule familiale. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la durée et aux conditions de séjour en France du requérant, et compte tenu des effets d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, la préfète du Bas-Rhin n'a pas, en prenant la décision attaquée, porté une atteinte disproportionnée au droit de M. C... au respect de sa vie privée et familiale. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ainsi que le moyen tiré de la violation des stipulations du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant, et pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement critiquée sur la situation personnelle du requérant.

8. En cinquième lieu, il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi ainsi que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français doivent être annulées en conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

9. En sixième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par la décision portant interdiction de retour sur le territoire français doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 7.

10. Il résulte de tout ce qui précède que C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Airiau.

Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Durup de Baleine, président,

- M. Barlerin, premier conseiller,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juillet 2025.

La rapporteure,

Signé : N. PetonLe président,

Signé : A. Durup de Baleine

Le greffier,

Signé : A. Betti

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

A. Betti

2

N° 24NC00516


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NC00516
Date de la décision : 10/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DURUP DE BALEINE
Rapporteur ?: Mme Nolwenn PETON
Rapporteur public ?: Mme BOURGUET
Avocat(s) : AIRIAU

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-10;24nc00516 ?
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