Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du président D... portant rejet de sa demande indemnitaire préalable et de condamner l'université de Lorraine à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.
Par un jugement n° 2001022 du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 décembre 2022 et 24 février 2025, M. B..., représenté par Me Tadic, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet par laquelle le président D... a rejeté sa demande préalable indemnitaire ;
3°) de condamner l'université de Lorraine à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices subis ;
4°) de mettre à la charge D... la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la responsabilité D... est engagée du fait de l'illégalité de la décision refusant de renouveler ses vacations et de la décision le suspendant de ses fonctions ;
- la décision refusant de renouveler ses vacations a été prise par une autorité incompétente et il n'y a aucune certitude que l'autorité compétente aurait pris la même décision ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision prononçant la suspension de ses fonctions présente le caractère d'une sanction, est intervenue au terme d'une procédure irrégulière et repose sur des faits qui ne sont pas établis.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 mai 2024, l'université de Lorraine, représentée par Me Zoubeidi-Defert, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le décret n°87-889 du 29 octobre 1987 ;
- l'arrêté du 10 février 2012 portant délégation de pouvoirs en matière de recrutement et de gestion de certains personnels enseignants des établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Peton,
- les conclusions de Mme Bourguet, rapporteure publique,
- et les observations de Me Tadic, avocate de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... était doctorant en psychologie au sein D... et assurait dans le même temps des enseignements au sein du département de psychologie du site de Nancy de cette université. En 2018, il a présenté sa candidature afin d'assurer les fonctions d'enseignant vacataire en licence pendant l'année 2018/2019. Sa candidature n'a pas été retenue par la commission ad hoc du département de psychologie dont la décision lui a été notifiée par un courriel du directeur de ce département du 27 juin 2018. Souhaitant ultérieurement exercer des fonctions au Royaume Uni, M. B... a, en décembre 2019, demandé au directeur de l'unité de formation et de recherche (UFR) sciences humaines et sociales (SHS) de Nancy de renseigner un formulaire d'information rédigé en langue anglaise. Ce dernier a refusé en considérant que M. B... avait produit des faux. Dans le même temps, le directeur de l'UFR a suspendu M. B... de ses fonctions le 8 décembre 2019 avant de l'autoriser à reprendre ses fonctions le 16 décembre suivant. Par un courrier du 16 décembre 2019, M. B... a saisi le président D... d'une demande indemnitaire préalable visant à l'indemniser des préjudices qu'il a subis du fait de ces deux décisions. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. M. B... relève appel du jugement du 10 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à ce que l'Université de Lorraine soit condamnée à lui verser en réparation la somme 20 000 euros.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le refus de recruter M. B... en qualité d'enseignant vacataire :
2. Aux termes de l'article L. 952-1 du code de l'éducation, dans sa rédaction applicable au litige : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 951-2, le personnel enseignant comprend des enseignants-chercheurs appartenant à l'enseignement supérieur, d'autres enseignants ayant également la qualité de fonctionnaires, des enseignants associés ou invités (...) et des chargés d'enseignement. (...) Les chargés d'enseignement apportent aux étudiants la contribution de leur expérience. Cette expérience peut être constituée par une fonction élective locale. Les chargés d'enseignement doivent exercer une activité professionnelle principale en dehors de leur activité d'enseignement ou une fonction exécutive locale. Ils sont nommés pour une durée limitée par le président de l'université, sur proposition de l'unité intéressée, ou le directeur de l'établissement. En cas de perte d'emploi, les chargés d'enseignement désignés précédemment peuvent voir leurs fonctions d'enseignement reconduites pour une durée maximale d'un an. / Le recrutement de chercheurs pour des tâches d'enseignement est organisé dans des conditions fixées par décret. ".
3. D'une part, aux termes de l'article 1 du décret n°87-889 du 29 octobre 1987 relatif aux conditions de recrutement et d'emploi de vacataires pour l'enseignement supérieur : " Les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministre de l'éducation nationale peuvent faire appel pour des fonctions d'enseignement, dans les disciplines autres que médicales et odontologiques, à des chargés d'enseignement vacataires et, dans toutes les disciplines, à des agents temporaires vacataires, dans les conditions définies par le présent décret ". L'article 4 de ce décret dispose : " Dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l'enseignement supérieur, les personnels régis par le présent décret sont engagés pour effectuer un nombre limité de vacations. Ils sont recrutés par le président ou le directeur de l'établissement après avis du conseil académique ou de l'organe compétent pour exercer les attributions mentionnées au IV de l'article L. 712-6-1 du code de l'éducation, siégeant en formation restreinte aux enseignants-chercheurs et personnels assimilés et, le cas échéant, sur proposition du directeur de l'unité de formation et de recherche. / Les vacations attribuées pour chaque engagement en application du présent décret ne peuvent excéder l'année universitaire. (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 6.5.2 du règlement intérieur du département de psychologie D... (site de Nancy) : " La commission ad hoc chargée de recruter les doctorants et les autres chargés d'enseignement est présidée par le Directeur du Département. Elle est composée des membres du Bureau du Département, des responsables de diplôme, des responsables d'années, des responsables des parcours-types de Master et des responsables d'UE dans lesquelles des enseignements sont vacants. / Elle se réunit une première fois pour examiner les candidatures des doctorants (en référence à l'article 6.3), elle prend en compte les avis et les classements des responsables d'UE, et décide du recrutement ou non. Elle se réunit une seconde fois pour examiner les candidatures des autres chargés d'enseignement (en référence à l'article 6.4), elle prend en compte les avis et classements des responsables d'UE, et décide du recrutement ou non ".
5. En principe, l'autorité administrative compétente pour modifier, abroger ou retirer un acte administratif est celle qui, à la date de la modification, de l'abrogation ou du retrait, est compétente pour prendre cet acte. En revanche et à moins qu'il en soit disposé autrement, la circonstance qu'une autorité administrative soit investie de la compétence pour prendre un acte ne fait pas obstacle à ce qu'une autre autorité soit investie de la compétence pour refuser de prendre cet acte.
6. Il résulte de ce qui vient d'être dit que, dès lors que l'article 4 du décret du 29 octobre 1987 a donné compétence au président ou directeur de l'établissement pour recruter les personnels régis par ce décret, les dispositions du deuxième alinéa de l'article 6.5.2 citées au point 4 n'ont pu valablement donner compétence à la commission ad hoc de recrutement pour décider de recruter des doctorants ou d'autres chargés d'enseignement. En revanche, ni cet article 4, ni aucun autre texte ou aucun principe ne faisaient obstacle à ce que ces dispositions investissent cette commission de la compétence pour décider de ne pas recruter de tels enseignants et, ainsi, pour refuser de faire droit à des candidatures de doctorants ou d'autres chargés d'enseignement. Il en résulte que, contrairement à ce que soutient M. B..., la commission ad hoc, par la décision dont le courriel du directeur de département du 27 juin 2018 constitue la notification, était compétente pour refuser de faire droit à sa candidature en vue d'assurer des enseignements en licence au cours de l'année 2018/2019.
7. Il ressort des termes de ce courriel que, pour prendre cette décision, la commission ad hoc, après avoir relevé que M. B... avait effectué les années précédentes une quantité très importante d'enseignements et avait ainsi pu faire l'expérience d'enseignement prescrite au sein du département de psychologie pour les doctorants, a constaté que sa nouvelle candidature était associée à un cumul de défauts observés dans la réalisation de ses missions passées de chargé d'enseignement vacataire. De tels motifs ne sont pas étrangers à l'intérêt du service et, si M. B... se prévaut d'une attestation d'une professeure émérite qui était sa directrice de thèse et d'une attestation d'une professeure D..., il ne ressort pas du dossier que, dans l'appréciation de l'intérêt du service, la commission ad hoc du département de psychologie, qui a décidé à l'unanimité et qui est composée du directeur du département, des membres du bureau du département, des responsables de diplôme, des responsables d'années, des responsables des parcours-types de master et des responsables d'unités d'enseignement dans lesquelles des enseignements sont vacants, aurait commis une erreur manifeste. Dès lors, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'en refusant de le recruter comme chargé d'enseignement vacataire pour assurer des enseignements en licence au cours de l'année 2018/2019, cette commission a pris une décision illégale, constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité D... à son égard.
En ce qui concerne la décision de suspension du 8 décembre 2019 :
8. Aux termes de l'article L. 951-3 du code de l'éducation : " Le ministre chargé de l'enseignement supérieur peut déléguer par arrêté aux présidents des universités et aux présidents ou directeurs des autres établissements publics d'enseignement supérieur, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, tout ou partie de ses pouvoirs en matière de recrutement et de gestion des personnels titulaires, stagiaires et non titulaires de l'Etat qui relèvent de son autorité, dans la limite des emplois inscrits dans la loi de finances et attribués à l'établissement ". Par un arrêté du 10 février 2012, le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a délégué ses pouvoirs en matière de recrutement et de gestion de certains personnels enseignants des établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche. Aux termes de l'article L. 951-4 du code de l'éducation : " Le ministre chargé de l'enseignement supérieur peut prononcer la suspension d'un membre du personnel de l'enseignement supérieur pour un temps qui n'excède pas un an, sans privation de traitement. ". Aux termes de l'article L. 712-1 du même code : " Le président de l'université par ses décisions, le conseil d'administration par ses délibérations et le conseil académique, par ses délibérations et avis, assurent l'administration de l'université ". Aux termes de l'article L. 712-2 de ce code : " (...) Le président assure la direction de l'université. A ce titre : / (...) / 4° Il a autorité sur l'ensemble des personnels de l'université. / (...) / Le président peut déléguer sa signature à des agents placés sous son autorité. Il peut déléguer une partie de ses pouvoirs aux agents placés sous son autorité désignés pour exercer des fonctions de responsabilité administrative, scientifique ou pédagogique au sein de l'établissement, d'une composante ou d'une unité de recherche. Ces agents peuvent déléguer leur signature à des agents placés sous leur autorité (...) ". Aux termes de l'article R. 712-4 du même code : " L'autorité responsable désignée à l'article R. 712-1 peut déléguer les pouvoirs qui lui sont attribués pour le maintien de l'ordre dans des enceintes et locaux, distincts ou non du siège de l'établissement, soit à un vice-président non étudiant, soit à un directeur d'unité de formation et de recherche (...) ".
9. La mesure de suspension d'un membre du personnel de l'enseignement supérieur, prise sur le fondement de ces dispositions, revêt un caractère conservatoire et vise à préserver l'intérêt du service public universitaire. Elle ne peut être prononcée que lorsque les faits imputés à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et que la poursuite des activités de l'intéressé au sein de l'établissement universitaire où il exerce ses fonctions présente des inconvénients suffisamment sérieux pour le service ou pour le déroulement des procédures en cours. Cette mesure conservatoire, sans caractère disciplinaire, a pour objet d'écarter l'agent du service pendant la durée nécessaire à l'administration pour tirer les conséquences de ce dont il est fait grief à l'agent.
10. En l'espèce, la décision du 8 décembre 2019 prononçant la suspension provisoire de M. B... a été prise par M. A..., directeur de l'unité de formation et de recherche " sciences humaines et sociales " D.... L'Université de Lorraine ne justifie toutefois pas que ce directeur bénéficiait d'une délégation, de fonctions ou de signature, lui donnant compétence pour prendre ou signer une telle décision. Par suite, la décision du 8 décembre 2019 émane d'une autorité incompétente.
11. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative entachée d'incompétence, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente. Dans le cas où il juge qu'une même décision aurait été prise par l'autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice d'incompétence qui entachait la décision administrative illégale.
12. Le directeur de l'UFR SHS de Nancy a suspendu provisoirement M. B... de ses fonctions d'enseignement en Master au motif que ce dernier avait falsifié un relevé de notes émanant de la scolarité en y apposant une fausse signature de la responsable de la scolarité de l'UFR SHS et un faux tampon de cet UFR.
13. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., après avoir renseigné un formulaire d'information le concernant destiné à être remis à une autorité britannique, a, au moyen d'un scan effectué depuis un précédent document en sa possession, apposé sur ce formulaire les mentions selon lesquelles il était " Fait à Nancy, le 27 novembre 2019 Le Responsable de scolarité ", ainsi qu'un tampon de l'UFR, les prénom et nom de la responsable de scolarité et sa signature. Toutefois, en dépit du caractère particulièrement maladroit d'un tel procédé, il résulte de l'instruction que M. B... avait lui-même transmis au service de la scolarité de cette UFR le formulaire ainsi complété par ses soins en vue de le faire " valider ", ou non, par ce service, de sorte que l'université a eu connaissance des faits à l'initiative même de l'intéressé. Il en résulte également que ce formulaire n'a pas été transmis à un tiers, notamment pas cette autorité britannique, et que M. B... n'en a, en fait, fait aucun usage. Les circonstances particulières de l'espèce ne révèlent ainsi pas une intention frauduleuse de la part de M. B... d'établir un faux document administratif et d'en user. La mesure de suspension décidée par le directeur de l'UFR le 8 décembre 2019 a, d'ailleurs, été levée dès le 16 décembre suivant, aucune procédure disciplinaire n'ayant été engagée. Dans ces conditions et au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties sur ces faits, il ne résulte pas de l'instruction que la même décision de suspension aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente.
14. Il en résulte que la décision de suspension du 8 décembre 2019 constitue une faute de nature à engager la responsabilité D... à l'égard de M. B....
15. Compte tenu tant de la publicité donnée par le directeur de l'UFR sciences humaines et sociales à la mesure de suspension du 8 décembre 2019, par un courriel du même jour ne se bornant pas à faire état de cette suspension mais précisant que M. B... aurait falsifié un relevé de notes et aurait produit une fausse signature et un taux tampon et faisant état de " faits très graves ", comme de la circonstance que cette mesure conservatoire a été abrogée dès le 16 décembre 2019, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral causé à M. B... en condamnant l'Université de Lorraine à lui verser en réparation la somme de 500 euros.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qu'il y a lieu de réformer, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Sur les frais de l'instance :
17. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : L'université de Lorraine est condamnée à verser à M. B... une somme de 500 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nancy n° 2001022 du 10 novembre 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à l'Université de Lorraine.
Délibéré après l'audience du 24 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Durup de Baleine, président,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juillet 2025.
La rapporteure,
Signé : N. PetonLe président,
Signé : A. Durup de Baleine
Le greffier,
Signé : A. Betti
La République mande et ordonne à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
N° 22NC03206 2