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03/07/2025 | FRANCE | N°24NC03056

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 03 juillet 2025, 24NC03056


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) sur la demande qu'il lui a adressée le 19 mai 2021 et tendant au retrait de la décision du 17 mai 2021 par laquelle le directeur territorial de Metz lui a refusé le bénéfice des conditions matérielles d'accueil.



Par un jugement n° 21072

72 du 15 octobre 2024, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision.





P...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) sur la demande qu'il lui a adressée le 19 mai 2021 et tendant au retrait de la décision du 17 mai 2021 par laquelle le directeur territorial de Metz lui a refusé le bénéfice des conditions matérielles d'accueil.

Par un jugement n° 2107272 du 15 octobre 2024, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 décembre 2024 et le 17 février 2025, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par la SCP Poupet et Kacenelenbogen, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2107272 du 15 octobre 2024 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. A....

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il est insuffisamment motivé en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative et que les premiers juges ont à tort considéré que le recours gracieux du requérant était un recours administratif préalable obligatoire dont le rejet implicite se serait substitué à la décision initiale ;

- contrairement à ce que les premiers juges ont retenu, l'Office français de l'immigration et de l'intégration pouvait refuser le bénéfice des conditions matérielles d'accueil à M. A..., qui n'avait pas présenté sa demande d'asile dans le délai de quatre-vingt-dix jours à compter de son entrée en France, sur le fondement du 4° de l'article L. 551-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 janvier 2025, M. A..., représenté par Me Chebbale, conclut à l'annulation de la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé contre la décision du 19 mai 2021, à ce qu'il soit enjoint à l'OFII de lui accorder le bénéfice des conditions matérielles d'accueil à compter du 1er mai 2021, sous astreinte de 200 euros par jour à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, de mettre à la charge de l'OFII la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Lusset a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant de la Sierra Leone né le 21 novembre 1995, a présenté une demande d'asile qui a été enregistrée en procédure Dublin le 24 février 2020. Il a bénéficié, à compter de cette date, des conditions matérielles d'accueil. Le 9 octobre 2020, M. A... a été transféré vers l'Allemagne. Il n'est pas contesté qu'il est revenu en France le 3 janvier 2021. Le 29 avril 2021, le préfet de la Moselle lui a délivré une attestation de demande d'asile en procédure accélérée et il a, à cette occasion, sollicité le bénéfice des conditions matérielles d'accueil. Par une décision du 17 mai 2021, la directrice territoriale de Metz a refusé de faire droit à sa demande. Le requérant a formé le 21 mai 2021 auprès du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) un recours gracieux, qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. L'OFII relève appel du jugement du 15 octobre 2024 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision implicite de rejet du recours gracieux.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l'encontre d'une décision administrative un recours gracieux devant l'auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s'il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d'interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale.

3. En annulant la décision implicite née du silence conservé par le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration sur la demande présentée par M. A... le 21 mai 2021, qui constituait en réalité un recours gracieux et non un recours administratif préalable obligatoire, alors que, ainsi qu'il vient d'être dit, il appartenait au tribunal d'interpréter les conclusions qui lui avaient été soumises dans le délai de recours contentieux comme étant aussi dirigées contre la décision du 17 mai 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a méconnu son office.

4. Il y a lieu, par suite, d'annuler le jugement attaqué du fait de cette irrégularité et de statuer immédiatement sur le litige par la voie de l'évocation.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

5. En premier lieu, il résulte de ce qui a été énoncé au point 2 que M. A... ne peut utilement se prévaloir des vices propres de la décision implicite de rejet.

6. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient M. A..., il ressort des pièces du dossier qu'avant de se voir refuser le bénéfice des conditions matérielles d'accueil il a bénéficié, le 29 avril 2021, d'un entretien personnel destiné à évaluer sa vulnérabilité.

7. En troisième lieu, la décision du 21 mai 2021 en litige, vise les textes dont elle fait application et mentionne que le bénéfice des conditions matérielles d'accueil est refusé à M. A... au motif qu'il a présenté, sans motif légitime, sa demande d'asile plus de quatre-vingt-dix jours après son entrée en France. Alors qu'aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe n'imposait à l'OFII de motiver sa décision au sujet de la vulnérabilité du requérant, celui-ci n'est pas fondé à soutenir que cette décision ne comporte pas les éléments de fait sur lesquels elle est fondée et qu'elle serait, par suite, insuffisamment motivée. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 551-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les conditions matérielles d'accueil peuvent être refusées, totalement ou partiellement, au demandeur dans les cas suivants : (...) / 4° Il n'a pas sollicité l'asile, sans motif légitime, dans le délai prévu au 3° de l'article L. 531-27. / La décision de refus des conditions matérielles d'accueil prise en application du présent article est écrite et motivée. Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur ". Aux termes de l'article L. 531-27 de ce code : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides statue en procédure accélérée à la demande de l'autorité administrative chargée de l'enregistrement de la demande d'asile dans les cas suivants : (...) ; 3° Sans motif légitime, le demandeur qui est entré irrégulièrement en France ou s'y est maintenu irrégulièrement n'a pas présenté sa demande d'asile dans le délai de quatre-vingt-dix jours à compter de son entrée en France (...) ".

9. Il est constant que le transfert effectif de M. A... vers l'Allemagne le 9 octobre 2020 a mis fin à l'examen de la demande d'asile de l'intéressé par la France ainsi qu'à sa responsabilité afférente à l'octroi des conditions minimales d'accueil. Le requérant, qui déclare être ensuite revenu en France le 3 janvier 2021, a déposé une nouvelle demande d'asile le 29 avril 2021, soit plus de quatre-vingt-dix jours après son arrivée sur le territoire. La circonstance que l'Allemagne n'aurait pas examiné la demande d'asile du requérant et que la France a ensuite décidé d'examiner cette nouvelle demande en procédure accélérée ne faisait pas, par elle-même, obstacle à ce que l'administration oppose à M. A... le délai auquel renvoient les dispositions précitées du 4° de l'article L. 551-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par ailleurs, le requérant ne fait état d'aucun motif légitime justifiant la tardiveté du dépôt de sa nouvelle demande d'asile. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'OFII ne pouvait légalement lui opposer la tardiveté de sa demande d'asile doit être écarté.

10. En cinquième lieu, si M. A... fait valoir qu'il est accompagné d'un enfant en bas-âge né en 2020, il ressort de son entretien de vulnérabilité qu'ils étaient alors hébergés chez des tiers. Par suite, et en l'absence de tout autre élément, le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'a pas entaché la décision en litige d'une erreur de droit au regard du 4° de l'article L. 551-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui a repris les dispositions du 2° de l'article L. 744-8 du même code, ni d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la vulnérabilité de M. A....

11. En sixième lieu, le requérant ne peut utilement se prévaloir de l'incompatibilité des dispositions des articles L. 744-7 et L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avec les dispositions de l'article 20 de la directive du 26 juin 2013 au motif qu'en cas de refus ou de suspension des conditions matérielles d'accueil, elles le placeraient dans l'impossibilité d'assumer ses besoins les plus élémentaires dès lors qu'à la date de la décision en litige, ces dispositions étaient abrogées. En outre, la décision en litige doit être regardée comme un refus initial des conditions matérielles d'accueil faisant suite au dépôt d'une nouvelle demande d'asile, prise, eu égard à la date de cette nouvelle demande, sur le fondement de l'article L. 551-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ont repris les dispositions équivalentes du 2° de l'article L. 744-8. Or, les dispositions de la directive du 26 juin 2013, et notamment son article 20, ne prévoient pas systématiquement la possibilité pour un demandeur d'asile de solliciter le rétablissement des conditions matérielles d'accueil en particulier lorsque, comme en l'espèce, le refus initial est fondé sur le non-respect du délai imparti à l'intéressé pour solliciter l'asile après son arrivée en France. En outre, il résulte des dispositions de l'article D. 551-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la décision de refus des conditions matérielles d'accueil tient compte de la situation particulière et de la vulnérabilité de l'intéressé. Par suite, et en tout état de cause, le moyen tiré de l'incompatibilité du refus des conditions matérielles d'accueil avec l'article 20 de la directive du 26 juin 2013 doit être écarté.

12. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

13. Si M. A... soutient qu'il est susceptible d'être exposé à des risques de traitements contraires à ces stipulations en raison de sa situation précaire, il résulte de ce qui a été dit au point 7 du présent arrêt qu'il n'établit pas être dans une situation de vulnérabilité telle qu'en lui refusant le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, l'OFII l'exposerait à un risque de traitements inhumains ou dégradants ou à des conditions de vie ne respectant pas la dignité humaine. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision de la directrice territoriale de Metz du 17 mai 2021, ni de la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre cette dernière. Il s'ensuit que, par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par l'intéressé ainsi que celles présentées au titre des frais d'instance doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2107272 du 15 octobre 2024 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 2 : La demande de première instance de M. A... et les conclusions présentées par ce dernier sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B..., à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et à Me Chebbale.

Délibéré après l'audience du 17 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Barteaux, président,

- M. Lusset, premier conseiller,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2025.

Le rapporteur,

Signé : A. LussetLe président,

Signé : S. Barteaux

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

2

N° 24NC03056


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NC03056
Date de la décision : 03/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BARTEAUX
Rapporteur ?: M. Arnaud LUSSET
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : CHEBBALE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-03;24nc03056 ?
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