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30/06/2025 | FRANCE | N°22NC01760

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 30 juin 2025, 22NC01760


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, par une première demande enregistrée sous le n° 2005767, de condamner le conseil national des activités privées de sécurité à lui verser la somme de 67 000 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2020 et la capitalisation de ces intérêts à compter du 18 septembre 2020, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 5 avril 2016 de

rejet de son recours préalable obligatoire formé contre la décision du 15 décembre 2015 portan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, par une première demande enregistrée sous le n° 2005767, de condamner le conseil national des activités privées de sécurité à lui verser la somme de 67 000 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2020 et la capitalisation de ces intérêts à compter du 18 septembre 2020, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 5 avril 2016 de rejet de son recours préalable obligatoire formé contre la décision du 15 décembre 2015 portant retrait de sa carte professionnelle en qualité d'agent privé de sécurité et par une seconde demande, enregistrée sous le numéro 2101102, devant le juge des référés du tribunal, de condamner le conseil national des activités privées de sécurité à lui verser à titre de provision la somme de 57 000 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2020 et la capitalisation de ces intérêts à compter du 18 septembre 2020, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement nos 2005767, 2101102 du 1er février 2022, le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur le versement d'une provision, a condamné le conseil national des activités privées de sécurité à verser à M. B... une somme de 5 000 (cinq mille) euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2020 et a dit que les intérêts échus le 18 septembre 2021 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 4 juillet 2022 et 4 septembre 2023, M. B..., représenté par Me Boukara, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 1er février 2022 du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il lui a seulement alloué la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice ;

2°) de condamner le conseil national des activités privées de sécurité à lui verser la somme de 37 000 euros au titre de son préjudice financier et la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2020, date de réception de sa demande préalable d'indemnisation, avec capitalisation par anatocisme suivant les dispositions de l'article 1154 du code civil ;

3°) de mettre à la charge du conseil national des activités privées de sécurité une somme de 1 500 euros TTC à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et une somme de 1 000 euros TTC à verser à son conseil, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la contribution de l'Etat.

Il soutient que :

- l'illégalité de la décision portant retrait de sa carte professionnelle en qualité d'agent privé de sécurité, confirmée par le tribunal administratif et la cour administrative d'appel pour un motif de fond, constitue une faute de nature à engager la responsabilité du conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) ;

- les préjudices qui résultent de cette illégalité fautive doivent être évalués à la somme totale de 67 000 euros, correspondant aux sommes de 37 000 euros au titre du préjudice financier et de 30 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions de son existence :

. sur le préjudice financier :

. en ce qui concerne la période de retrait de sa carte professionnelle (décembre 2015-2016-2017) :

. il a subi une perte de revenus durant la période de retrait de sa carte professionnelle ;

. le caractère certain du préjudice est établi ;

. son indemnisation ne saurait être minorée au motif qu'il aurait pu occuper un autre emploi ;

. il est fondé à solliciter une somme globale de 22 000 euros qui correspond au différentiel entre les allocations chômage perçues durant la période considérée et le revenu qu'il aurait pu tirer de son activité dans la sécurité ainsi que la perte de ses droits à la retraite ;

. en ce qui concerne la période postérieure à la restitution de sa carte professionnelle (janvier 2018 à décembre 2019) :

. le retrait de sa carte professionnelle a entrainé une perte de crédibilité vis-à-vis des employeurs ;

. il est fondé à solliciter une somme globale de 15 000 euros ;

- sur le préjudice moral et les troubles dans ses conditions d'existence :

- cette situation a eu de graves répercussions sur sa santé, sa situation privée et familiale de sorte qu'il est fondé à solliciter une somme de 30 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 mai 2023, le conseil national des activités privées de sécurité représenté par Centaure avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. B... une somme de 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.

Par une dernière ordonnance du 4 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 20 septembre 2023 à midi

M. B... a été admis à l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 25 % par une décision du 26 avril 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Roussaux,

- les conclusions de M. Denizot, rapporteur public,

- et les observations de Me Ali Mohamad, substituant Me Boukara et représentant M. B..., ainsi que celles de Me Barbier-Renard, représentant le CNAPS.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 15 décembre 2015, la commission locale d'agrément et de contrôle Est du conseil national des activités privées de sécurité a procédé au retrait de la carte professionnelle d'agent de sécurité de M. B.... L'intéressé a formé le 4 janvier 2016 un recours administratif préalable obligatoire devant la commission nationale d'agrément et de contrôle du conseil national des activités privées de sécurité qui a été rejeté le 5 avril 2016. Par un jugement rendu le 7 décembre 2016, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 28 décembre 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision. M. B... s'est vu restituer sa carte professionnelle le 9 janvier 2018. Par un courrier du 30 avril 2020, M. B... a adressé au conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) une demande préalable d'indemnisation tendant au versement d'une somme de 67 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait du retrait illégal de sa carte professionnelle d'agent privé de sécurité. Sa demande a été rejetée par une décision du 13 juillet 2020. M. B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg la condamnation du CNAPS à lui verser la somme de 67 000 euros en réparation des préjudices financier, moral et de troubles dans les conditions de son existence qu'il estime avoir subis. M. B... relève appel du jugement nos 2005767, 2101102 du 1er février 2022 du tribunal administratif de Strasbourg en tant que celui-ci n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation du CNAPS à lui verser la somme de 67 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision du 15 avril 2016 rejetant son recours préalable obligatoire contre la décision du 15 décembre 2015 portant retrait de sa carte professionnelle d'agent privé de sécurité.

Sur la responsabilité du conseil national des activités privées de sécurité :

2. Par un jugement du 7 décembre 2016 du tribunal administratif de Strasbourg, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy rendu le 28 décembre 2017, devenu définitif, la décision du 5 avril 2016 par laquelle la commission nationale d'agrément et de contrôle a rejeté le recours administratif préalable obligatoire formé par M. B... contre la décision de la commission locale d'agrément et de contrôle Est du 15 décembre 2015 qui lui a retiré la carte professionnelle l'autorisant à exercer l'activité privée d'agent de sécurité, a été annulée en raison notamment de ce que la matérialité des faits n'était pas établie.

3. Par suite, M. B... est en droit d'obtenir réparation du préjudice direct et certain résultant de l'application de cette décision illégale.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S'agissant de la perte de chance de retrouver un emploi dans le secteur des activités privées de sécurité à compter du 15 décembre 2015 jusqu'au 9 janvier 2018 :

4. En premier lieu, la décision du 15 décembre 2015 a privé le requérant de la possibilité de travailler en qualité d'agent privé de sécurité. La réparation de ce dommage doit être évaluée, compte tenu de l'âge de l'intéressé, de son expérience professionnelle, du secteur d'activité et de la différence entre les sommes qu'il a effectivement perçues entre le 15 décembre 2015 et le 9 janvier 2018, en particulier de la part des organismes sociaux, et celles qu'il aurait eu des chances de percevoir en exerçant dans le secteur des activités privées de sécurité.

5. Il résulte de l'instruction que pour établir le préjudice subi, le requérant produit l'ensemble des missions effectuées depuis 2010 en qualité d'agent privé de sécurité auprès de diverses sociétés et copie de ses déclarations d'impôts au titre des revenus de 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018. Alors que le " total des salaires et assimilés " tels qu'il ressort des avis d'imposition était de 14 111 euros au titre des revenus de 2014, de 13 488 euros au titre des revenus de 2015, ce total n'est plus que de 9 485 euros au titre des revenus de 2016 et de 5 190 euros au titre des revenus 2017, lesquels sont au demeurant composés essentiellement de versements effectués de la part des organismes sociaux. A la date de la décision du 15 décembre 2015, le requérant, âgé de 35 ans, était régulièrement employé en tant qu'agent de sécurité pour de nombreuses missions ponctuelles en qualité d'agent privé de sécurité et il est constant que le secteur des activités privées de sécurité connaissait une certaine expansion, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges. Par suite, il sera fait une juste appréciation du préjudice financier subi par M. B... résultant de la perte de chance de trouver un emploi dans le secteur des activités privées de sécurité en condamnant le conseil national des activités privées de sécurité à lui verser une indemnité de 7 000 euros, laquelle comprend l'indemnisation du préjudice de minoration de ses droits à la retraite.

S'agissant de la période postérieure à la restitution de sa carte professionnelle :

6. Il résulte de l'instruction que l'avis d'imposition du requérant au titre des revenus de 2018 est de 12 326 euros, au titre des revenus de 2019 est de 18 472 euros et au titre des revenus de 2020 est de 19 203 euros. Dans ces conditions et alors que dès l'année 2018 les revenus du requérant ont été supérieurs à ceux de 2014 et 2015, ce dernier n'établit pas, par les pièces produites, qu'il aurait subi un préjudice financier après le 9 janvier 2018 du fait de difficultés qu'il aurait rencontrées pour retrouver un emploi dans le secteur des activités prives de sécurité. M. B... n'est ainsi pas fondé à demander une indemnisation à ce titre.

Sur le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :

7. Il résulte de l'instruction, et notamment des certificats médicaux produits attestant d'un syndrome anxiodépressif à compter de mars 2016, que le retrait d'agrément a entraîné pour le requérant un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant à 3 000 euros l'indemnité correspondante.

8. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a seulement condamné le CNAPS à lui verser la somme de 5 000 euros au titre des préjudices subis. Le montant total de l'indemnité que le CNAPS doit allouer à M. B... doit être porté à la somme de 10 000 euros.

Sur les intérêts :

9. M. B... a droit aux intérêts au taux légal pour la somme supplémentaire de 5 000 euros allouée en appel, à compter de la date de réception de sa demande indemnitaire par le CNAPS, soit le 11 mai 2020.

Sur la capitalisation des intérêts :

10. Aux termes de l'article 1343-2 du code civil : " Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise. ". La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière.

11. En l'espèce, la capitalisation des intérêts a été demandée le 18 septembre 2020. À cette date, il n'était pas dû une année entière d'intérêts. Par suite, il y a seulement lieu de faire droit à cette demande pour la somme supplémentaire de 5 000 euros allouée en appel, à compter du 11 mai 2021, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais d'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que le CNAPS demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

13. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 25 % par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 26 avril 2022. Il n'allègue pas avoir engagé d'autres frais que ceux partiellement pris en charge à ce titre. Son avocate a demandé que lui soit versée par le CNAPS la somme correspondant aux frais exposés qu'elle aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait pas bénéficié de l'aide juridictionnelle. Dans ces conditions, il y a lieu, sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle de mettre à la charge du CNAPS le versement à Me Boukara de la somme de 1 000 euros TTC, à condition que cette dernière renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 5 000 euros que le CNAPS a été condamné à verser à M. B... par le jugement du 1er février 2022 du tribunal administratif de Strasbourg est portée à la somme de 10 000 euros.

Article 2 : Le CNAPS est condamné à verser à M. B..., pour la somme supplémentaire de 5 000 euros allouée en appel, les intérêts légaux à compter du 11 mai 2020. Les intérêts sur cette somme échus le 11 mai 2021 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : Le jugement nos 2005767, 2101102 du 1er février 2022 du tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le CNAPS versera à Me Boukara la somme de 1 000 euros toutes taxes comprises en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le surplus des conclusions est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au conseil national des activités privées de sécurité et à Me Boukara.

Délibéré après l'audience du 17 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Rousselle, présidente,

- M. Barteaux, président assesseur,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2025.

La rapporteure,

Signé : S. Roussaux La présidente,

Signé : P. Rousselle

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

2

N° 22NC01760


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01760
Date de la décision : 30/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme ROUSSELLE
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. DENIZOT
Avocat(s) : BOUKARA

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-30;22nc01760 ?
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