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24/06/2025 | FRANCE | N°23NC03433

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 5ème chambre, 24 juin 2025, 23NC03433


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 12 octobre 2023 par lequel le préfet des Ardennes l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pendant un an.



Par une ordonnance n° 2302613 du 22 novembre 2023, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.



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Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 23 novembre 2023, M. A..., représenté p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 12 octobre 2023 par lequel le préfet des Ardennes l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pendant un an.

Par une ordonnance n° 2302613 du 22 novembre 2023, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 novembre 2023, M. A..., représenté par Me Mainnevret, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) d'annuler l'arrêté du 12 octobre 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet des Ardennes de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- sa demande d'annulation présentée devant le tribunal était recevable ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée, méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ne tenant pas compte de la durée de sa présence en France.

La procédure a été communiquée au préfet des Ardennes qui n'a pas produit de défense.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Peton a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant ivoirien né le 2 octobre 2001, déclare être entré en France en 2015. Par un arrêté du 12 octobre 2023, le préfet des Ardennes l'a obligé à quitter le territoire sur le fondement du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans lui accorder de délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être renvoyé et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée d'un an. M. A... relève appel de l'ordonnance du 22 novembre 2023, par laquellele président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté comme manifestement irrecevable, sur le fondement des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quarante-huit heures suivant la notification de la mesure. / Il est statué sur ce recours selon la procédure et dans les délais prévus, selon le fondement de la décision portant obligation de quitter le territoire français, aux articles L. 614-4 ou L. 614-5. ". Aux termes du II de l'article R. 776-2 du code de justice administrative : " Conformément aux dispositions du II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification par voie administrative d'une obligation de quitter sans délai le territoire français fait courir un délai de quarante-huit heures pour contester cette obligation et les décisions relatives au séjour, à la suppression du délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour ou à l'interdiction de circulation notifiées simultanément ". Il résulte de ces dispositions que les décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire peuvent faire l'objet d'un recours devant la juridiction administrative dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification par voie administrative.

3. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 12 octobre 2023 a été notifié à M. A... non par voie administrative mais par un pli recommandé avec accusé de réception le 3 novembre 2023. Ces modalités de notification font obstacle à ce que cette notification, alors même qu'elle comportait l'indication des voies et délai de recours, fasse courir le délai de quarante-huit heures imparti pour contester les décisions contenues dans cet arrêté. Par suite, en jugeant que la requête de M. A... était tardive dès lors que le délai de quarante-huit heures commence à courir suivant la notification de la mesure, qu'elle ait été effectuée par voie postale ou par voie administrative, et que la notification par voie postale faisait courir le délai de recours contentieux de quarante-huit heures fixé par les dispositions précitées de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le premier juge a méconnu ces dispositions. Il en résulte que M. A... est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

5. Il ressort de l'arrêté attaqué qu'il comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait constituant le fondement de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Dès lors, cette décision est régulièrement motivée.

6. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. M. A... se prévaut de la durée de sa présence en France, de son investissement scolaire et notamment de l'obtention d'un certificat d'aptitude professionnelle " électricien ", de sa participation au tournage d'un film et de son insertion au sein du centre d'hébergement et de réinsertion sociale de Charleville-Mézières. Il ressort des pièces du dossier que, si M. A... était présent en France depuis huit ans à la date de la décision contestée, il avait déjà fait l'objet d'une première obligation de quitter le territoire français en 2022, il est célibataire, n'a personne à sa charge et il est entré irrégulièrement sur le territoire français. Il n'établit pas avoir tissé sur le territoire français des liens d'une ancienneté ou d'une intensité particulières. Il ne justifie pas en quoi il ne pourrait poursuivre sa vie personnelle dans le pays dont il indique être le ressortissant. Si l'intéressé se prévaut de son investissement dans ses études, lui ayant permis d'obtenir un certificat d'aptitude professionnelle et de suivre des formations en langue française, ces circonstances ne suffisent pas à considérer que la décision attaquée aurait porté une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale disproportionnée au regard des buts dans lesquels a été prise la décision portant obligation de quitter le territoire français. En conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté, ainsi que celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dont serait entachée la décision en litige.

8. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour (...), l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".

9. M. A... pouvant poursuivre sa vie privée et familiale ailleurs qu'en France et dans l'espace de Schengen, notamment dans le pays dont il est le ressortissant, une interdiction de retour d'une durée d'un an ne porte pas au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts dans lesquels a été prise cette mesure de police, l'intéressé ayant méconnu une première obligation de quitter le territoire français dont il a fait préalablement l'objet. Dès lors, cette interdiction de retour ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet des Ardennes en date du 12 octobre 2023. Par suite, sa demande devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit être rejetée en toutes ses conclusions, de même que les conclusions en appel au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

D E C I D E :

Article 1er : L'ordonnance n° 2302613 du 22 novembre 2023 du président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Mainnevret.

Copie en sera adressée au préfet des Ardennes.

Délibéré après l'audience du 3 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Durup de Baleine, président,

- M. Barlerin, premier conseiller,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 juin 2025.

La rapporteure,

Signé : N. PetonLe président,

Signé : A. Durup de Baleine

Le greffier,

Signé : A. Betti

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

A. Betti

2

N° 23NC03433


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03433
Date de la décision : 24/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DURUP DE BALEINE
Rapporteur ?: Mme Nolwenn PETON
Rapporteur public ?: Mme BOURGUET
Avocat(s) : MAINNEVRET - MALBLANC

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-24;23nc03433 ?
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