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24/06/2025 | FRANCE | N°23NC03268

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 5ème chambre, 24 juin 2025, 23NC03268


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 1er août 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.



Par un jugement n° 2305788 du 29 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal ad

ministratif de Strasbourg a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une req...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 1er août 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2305788 du 29 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 novembre 2023, Mme B..., représentée par Me Airiau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler l'arrêté du 1er août 2023 ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- la décision a été prise en méconnaissance de son droit d'être entendue ;

S'agissant de la décision fixant le pays de destination :

- l'annulation de cette décision s'impose comme la conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;

- la décision méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- l'annulation de cette décision s'impose comme la conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'une erreur de fait s'agissant de la durée de sa présence en France et concernant les précédentes mesures d'éloignement ;

- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

La procédure a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin qui n'a pas produit de défense.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-383/13 du 10 septembre 2013 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Peton a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante géorgienne née en 2002, est entrée en France le 28 mars 2018. Alors qu'elle était mineure, elle a sollicité une première fois l'asile avec ses parents, cette demande ayant été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Le 22 janvier 2020, elle a déposé une demande de réexamen de sa demande d'asile. Cette demande a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 25 novembre 2020. Le 28 janvier 2021, elle a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Le 1er août 2023, Mme B... a déposé une nouvelle demande de réexamen de sa demande d'asile. Par un arrêté du même jour, la préfète du Bas-Rhin l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Mme B... relève appel du jugement du 29 septembre 2023, par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, le droit d'être entendu, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Ce droit ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

3. Dans le cas prévu au 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision portant obligation de quitter le territoire français est prise, notamment, après que la qualité de réfugié a été définitivement refusée à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Or, celui-ci est conduit, à l'occasion du dépôt de sa demande d'asile, à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit reconnu la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, laquelle doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles et il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir toute observation complémentaire, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux notamment au regard de sa situation dans son pays d'origine ou de sa situation personnelle et familiale.

4. Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.

5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a pu présenter sur sa situation les observations qu'elle estimait utiles dans le cadre de l'examen de sa demande d'asile. Alors qu'elle ne pouvait ignorer qu'en cas de rejet de sa demande, elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement, elle n'allègue pas avoir sollicité en vain un entretien auprès des services préfectoraux, ni même avoir été empêchée de présenter d'autres observations avant que ne soit pris l'arrêté en litige alors même que cet arrêté a été pris le même jour que le dépôt d'une nouvelle demande de réexamen. En tout état de cause, le récit produit par Mme B... à l'appui de ses prétentions n'est pas daté et comporte de nombreuses incohérences et par suite, l'intéressée ne se prévaut d'aucun élément pertinent qu'elle aurait été empêchée de faire valoir et qui aurait pu influer sur le contenu de la décision prise à son encontre Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.

6. En deuxième lieu, il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination et la décision portant interdiction de retour sur le territoire français sont illégales en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

8. Si Mme B... soutient qu'elle a subi dans son pays des persécutions liées à son orientation sexuelle et qu'elle n'a jamais pu en faire état auparavant devant l'OFPRA, elle n'apporte pas suffisamment d'éléments probants au soutien de ses allégations. Par suite, ce moyen doit être écarté.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour (...), l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ". En outre, l'article L. 613-2 de ce code dispose : " (...) les décisions d'interdiction de retour (...) sont motivées. ".

10. L'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. L'autorité compétente doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

11. L'arrêté du 1er août 2023 comporte l'indication des considérations de droit et de fait fondant, tant en son principe qu'en sa durée, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Cette motivation, qui permet à Mme B... à sa seule lecture de comprendre les motifs de cette interdiction, atteste de la prise en compte de l'ensemble des critères prévus par l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il en résulte que la décision portant interdiction de retour est régulièrement motivée.

12. En cinquième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète du Bas-Rhin, qui, pour prendre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français, a examiné la situation particulière de Mme B..., aurait commis une erreur d'appréciation en décidant de prononcer une telle mesure pour une durée d'un an et ce, alors même que Mme B... ne se serait pas, selon elle, maintenue irrégulièrement sur le territoire français pendant cinq ans et que la préfète ne vise pas les précédentes mesures d'éloignement. Mme B... pouvant poursuivre sa vie privée et familiale ailleurs qu'en France et dans l'espace de Schengen, notamment dans le pays dont elle est la ressortissante, une interdiction d'une telle durée ne porte pas au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts dans lesquels a été prise cette mesure de police. Cette dernière, dès lors, ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle n'est pas non plus entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme B..., dont la situation, notamment l'orientation sexuelle, ne caractérise pas des circonstances humanitaires exceptionnelles.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Airiau.

Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 3 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Durup de Baleine, président,

- M. Barlerin, premier conseiller,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 juin 2025.

La rapporteure,

Signé : N. PetonLe président,

Signé : A. Durup de Baleine

Le greffier,

Signé : A. Betti

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

A. Betti

2

N° 23NC03268


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03268
Date de la décision : 24/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DURUP DE BALEINE
Rapporteur ?: Mme Nolwenn PETON
Rapporteur public ?: Mme BOURGUET
Avocat(s) : AIRIAU

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-24;23nc03268 ?
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