Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 7 novembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a maintenu en rétention.
Par un jugement no 2308003 du 22 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg, après avoir admis M. A... à l'aide juridictionnelle provisoire, a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 février 2024, M. A..., représenté par Me Thalinger du cabinet L'Ill Légal, demande à la cour :
1) d'annuler l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 22 novembre 2023 ;
2) d'annuler l'arrêté du 7 novembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a maintenu en rétention ;
3) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement litigieux est entaché d'un défaut d'examen sérieux de sa requête et n'est pas suffisamment motivé ; il ne répond pas au moyen tiré de la violation des dispositions de l'article L. 754-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'absence de caractère dilatoire de sa demande d'asile introduite en rétention, résultant de l'élément nouveau que constitue la suspicion de transmission d'éléments sensibles par l'administration française, dans le cadre de l'exécution de la mesure d'éloignement, aux autorités russes de nature à lui faire encourir des risques de traitements inhumains et dégradants ;
- l'arrêté du 7 novembre 2023 est entaché d'incompétence de l'auteur de l'acte ;
- il méconnait les dispositions de l'article L. 754-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :
. aucun élément relevé par l'administration au sein de la décision contestée n'est de nature à caractériser le caractère dilatoire de la demande d'asile déposée en rétention ;
. sa nouvelle demande d'asile se fonde principalement sur les risques d'enrôlement forcé au sein de l'armée russe afin de rejoindre le front ukrainien en cas de retour sur le territoire russe ;
. il craint des traitements inhumains en cas de retour en Russie en raison de sa demande d'asile et de la protection qu'il a obtenu pendant plus de quinze ans ;
. la circonstance qu'il constituerait une menace à l'ordre public est sans incidence sur l'appréciation du caractère dilatoire de sa nouvelle demande d'asile ; au surplus, il n'a jamais été poursuivi pénalement ;
- sa nouvelle demande d'asile présente un caractère sérieux.
La procédure a été communiquée au préfet du Bas-Rhin, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une ordonnance du 23 avril 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 24 mai 2024 à midi.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Roussaux a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant russe né le 22 août 1980, est entré en France le 15 novembre 2007 et a obtenu le statut de réfugié par une décision du 2 juillet 2010 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). En date du 11 décembre 2019, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a prononcé à son encontre une décision de fin de protection, en raison du rétablissement d'un lien d'allégeance entre l'intéressé et son pays d'origine, décision qui a été confirmée par la CNDA le 19 octobre 2021. Le requérant a fait l'objet d'un arrêté ministériel d'expulsion du territoire français, ainsi que d'une décision fixant le pays de renvoi, en date du 23 octobre 2023. L'intéressé a été placé en rétention le 3 novembre 2023 et a fait valoir son droit à présenter une demande d'asile le 7 novembre 2023. Par une décision du 7 novembre 2023, la préfète du Bas-Rhin l'a maintenu en rétention. M. A... relève appel du jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 22 novembre 2023 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 7 novembre 2023.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des écritures de première instance que le requérant avait soulevé le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 754-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'absence de caractère dilatoire de sa demande d'asile introduite en rétention en se prévalant notamment d'un élément nouveau, à savoir la suspicion de transmission d'éléments sensibles par l'administration française, dans le cadre de l'exécution de la mesure d'éloignement, aux autorités russes de nature à lui faire encourir des risques de traitements inhumains et dégradants.
3. En se bornant à écarter ce moyen sans répondre à cet argument, lequel faisait l'objet d'un long développement dans les écritures de première instance du requérant, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a insuffisamment motivé son jugement.
4. Il y a lieu d'annuler l'article 2 du jugement rejetant la demande de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 novembre 2023 et de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur les conclusions de la demande de première instance de l'intéressé.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté préfectoral du 7 novembre 2023 :
5. En premier lieu, par un arrêté du 7 juillet 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le même jour, la préfète du Bas-Rhin a donné délégation à Mme Myriam Leheilleix, secrétaire générale adjointe et sous-préfète de permanence, à l'effet de signer toute mesure ou décision nécessitée par l'urgence notamment en matière d'éloignement des étrangers. Il n'est pas établi ni allégué que Mme B... n'assurait pas la permanence à la date d'édiction de la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré de ce que Mme B..., signataire de cette décision, ne disposait pas d'une délégation de signature régulièrement publiée doit être écarté comme manquant en fait.
6. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de l'arrêté contesté que celui-ci mentionne l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de cet arrêté doit être écarté.
7. En troisième lieu, il ne ressort ni des termes de la décision attaquée ni des pièces du dossier que la préfète du Bas-Rhin n'aurait pas procédé à l'examen de la situation particulière de l'intéressé avant de prendre à son encontre la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré d'un défaut d'examen de sa situation doit être écarté.
8. En quatrième lieu, les conditions de notification d'une décision sont sans incidence sur sa légalité.
9. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 754-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la France est l'État responsable de l'examen de la demande d'asile et si l'autorité administrative estime, sur le fondement de critères objectifs, que cette demande est présentée dans le seul but de faire échec à l'exécution de la décision d'éloignement, elle peut prendre une décision de maintien en rétention de l'étranger pendant le temps strictement nécessaire à l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, en cas de décision de rejet ou d'irrecevabilité de celle-ci, dans l'attente de son départ. (...) ".
10. M. A... soutient que sa demande d'asile du 7 novembre 2023 ne présente pas un caractère dilatoire, au motif que son intention d'introduire une telle demande est antérieure à son placement en rétention intervenu le 3 novembre 2023 et qu'il justifie d'éléments de faits et de droit nouveaux intervenus postérieurement à la décision rendue par la Cour nationale du droit d'asile du 19 octobre 2021.
11. D'une part, il se prévaut à cet égard de la circonstance qu'il a reçu en mai 2023 une convocation de recrutement pour le service militaire dans son pays d'origine, dans le cadre du conflit russo-ukrainien, et qu'il a fait traduire ce document le 25 septembre 2023. Toutefois, ces éléments ne sont pas suffisants pour démontrer que l'intéressé s'apprêtait à déposer une demande de réexamen de sa demande d'asile. Surtout, le requérant ne fait valoir aucun élément probant de nature à établir qu'il aurait été empêché de saisir l'OFPRA depuis le mois de mai 2023 et la raison pour laquelle il a laissé s'écouler un délai de presque six mois pour solliciter l'asile. D'autre part, si le requérant fait valoir qu'il encourt des risques en raison de la transmission d'éléments par les autorités françaises aux autorités russes dans le cadre de l'exécution de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet, il ressort des écritures de première instance de la préfète du Bas-Rhin, lesquelles ne sont pas utilement contestées, que lorsque les autorités russes sont saisies d'une demande de reconnaissance de l'un de leurs ressortissants, elle ne sont jamais informées des motifs pour lesquels les autorités françaises sollicitent le laissez-passer consulaire. La mesure d'éloignement ne leur est pas communiquée, pas plus que les décisions de l'OFPRA et de la CNDA. La saisine des autorités russes se fait par le biais d'un formulaire type, produit au dossier, et il n'en ressort pas qu'il contiendrait des informations de nature à faire courir un risque à l'intéressé en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, la préfète du Bas-Rhin a pu, à bon droit, estimer que la demande d'asile formulée par l'intéressé n'avait d'autre objet que de faire échec à l'exécution de la mesure d'éloignement formée à son encontre, et n'a pas fait une inexacte appréciation des dispositions de l'article L. 754-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en décidant son maintien en rétention. Les moyens tirés de la méconnaissance de l'erreur de droit et de l'erreur d'appréciation doivent par suite être écartés.
12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par M. A... tendant à l'annulation de la décision du 7 novembre 2023 doivent être rejetées. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2308003 du 22 novembre 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Strasbourg tendant à l'annulation de la décision du 7 novembre 2023 de la préfète du Bas-Rhin portant maintien en rétention sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Thalinger du cabinet d'avocats L'Ill Légal.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 27 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Barteaux, président,
- M. Lusset, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juin 2025.
La rapporteure,
Signé : S. RoussauxLe président,
Signé : S. Barteaux
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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No 24NC00426