La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/06/2025 | FRANCE | N°24NC00736

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 05 juin 2025, 24NC00736


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'une part, d'annuler l'arrêté du 20 novembre 2023 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an et, d'autre part, d'annuler l'arrêté du préfet de la Moselle du 25 novembre 2023 portant maintien en rétention administrative.



Par un jugement no 2303369, 2303396 du 15 décembre 2023, la magistrate désignée par le préside...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'une part, d'annuler l'arrêté du 20 novembre 2023 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an et, d'autre part, d'annuler l'arrêté du préfet de la Moselle du 25 novembre 2023 portant maintien en rétention administrative.

Par un jugement no 2303369, 2303396 du 15 décembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a, d'une part, admis Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et a, d'autre part, rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 mars 2024, Mme A..., représentée par Me Kohler, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 novembre 2023 ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est entachée d'incompétence de son signataire ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation du caractère dilatoire de sa demande d'asile ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation au regard de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et méconnaît le principe constitutionnel du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3 de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

S'agissant du refus de lui accorder un délai de départ volontaire :

- la décision en litige est illégale compte tenu de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

S'agissant de la décision fixant le pays de destination :

- la décision en litige est illégale compte tenu de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation des risques qu'elle court en cas de retour dans son pays d'origine, en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

S'agissant de l'interdiction de retour sur le territoire français :

- la décision en litige est illégale compte tenu de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation des circonstances humanitaires qu'elle présente au regard de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la durée de la mesure est disproportionnée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 août 2024, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 21 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptée à New York le 10 décembre 1984 et le décret n° 87-916 du 9 novembre 1987 en portant publication ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Brodier a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante camerounaise née en 1986, est entrée sur le territoire français au mois de mars 2023 selon ses déclarations. Par un arrêté du 20 novembre 2023, le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. L'intéressée a, en application d'un autre arrêté du même jour, été placée en rétention administrative. Le 23 novembre 2023, elle a manifesté son intention de pouvoir déposer une demande d'asile. Le préfet de la Moselle a, le 25 novembre 2023, pris à son encontre un arrêté portant maintien en rétention administrative pendant la durée de l'examen de sa demande par l'OFPRA. Mme A... a demandé l'annulation des deux arrêtés du 20 novembre et du 25 novembre 2023 au tribunal administratif de Nancy. Par un jugement du 15 décembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal a, après l'avoir admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, rejeté ses demandes. Mme A... relève appel de ce jugement du 15 décembre 2023 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 novembre 2023.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté en litige par les mêmes motifs que ceux retenus à juste titre par la première juge.

3. En deuxième lieu, il ressort de la décision en litige qu'elle a été adoptée sur le fondement des dispositions du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'elle est motivée par la circonstance que Mme A... ne justifie pas être entrée régulièrement sur le territoire français en mars 2023 comme elle l'a indiqué tandis qu'elle s'y est maintenue sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. La requérante ne critique pas ce motif de la décision en litige. Si Mme A... soutient que le préfet de la Moselle a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 754-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en considérant que sa demande d'asile, présentée en rétention, était dilatoire, elle ne saurait toutefois utilement exciper de l'illégalité de l'arrêté du 25 novembre 2023 prononçant son maintien en rétention administrative pendant l'examen de sa demande d'asile pour contester la légalité de la mesure d'éloignement en litige. Par suite, le moyen tiré de ce que sa demande d'asile n'était pas dilatoire doit être écarté comme étant inopérant.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente qui enregistre sa demande (...) ". Aux termes de l'article L. 521-7 du même code : " Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 541-1 : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français ".

5. Ces dispositions ont pour effet d'obliger l'autorité de police à transmettre au préfet, et ce dernier à enregistrer, une demande d'admission au séjour lorsqu'un étranger, à l'occasion de son interpellation, formule une demande d'asile. Par voie de conséquence, elles font également obstacle à ce que le préfet fasse usage des pouvoirs que lui confère le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en matière d'éloignement des étrangers en situation irrégulière avant d'avoir statué sur cette demande d'admission au séjour déposée au titre de l'asile.

6. Mme A... soutient que ses déclarations lors de son audition le 20 novembre 2023 caractérisaient une demande d'asile, impliquant que le préfet de la Moselle lui délivre une attestation de demande d'asile. Il ressort toutefois du procès-verbal de son audition, qu'interrogée sur les raisons pour lesquelles elle avait quitté son pays, elle a seulement mentionné que les Camerounais du nord-ouest du pays étaient harcelés et menacés de mort par le gouvernement en place et qu'elle avait préféré se mettre en sécurité, puis qu'ayant été informée qu'elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement à destination de son pays d'origine, elle s'est bornée à indiquer ne pas souhaiter retourner au Cameroun, souhaiter rester en France et voir avec l'association qui l'héberge pour faires des démarches en ce sens. Il ne ressort pas des déclarations faites par Mme A..., qui ne s'est prévalue d'aucun risque personnel dans son pays d'origine, qu'elle aurait manifesté son intention de demander l'asile. Par suite, c'est sans entacher sa décision d'erreur d'appréciation, ni méconnaître en tout état de cause le principe constitutionnel du droit d'asile, que le préfet de la Moselle a prononcé à son encontre une mesure d'éloignement.

7. En dernier lieu, Mme A... ne saurait utilement se prévaloir, pour contester la mesure d'éloignement prise à son encontre, des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles de l'article 3 de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Sur la légalité du refus de délai de départ volontaire :

8. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision lui refusant un délai de départ volontaire serait illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

9. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision lui refusant un délai de départ volontaire serait illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 3 de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants : " 1. Aucun Etat partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture. / 2. Pour déterminer s'il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l'existence, dans l'Etat intéressé, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ".

11. D'une part, si la requérante invoque la situation sécuritaire préoccupante dans la région de l'Extrême-Nord du Cameroun, elle ne produit aucun élément de nature à établir la nature du risque qu'elle courrait en cas de retour dans son pays d'origine.

12. D'autre part, elle indique avoir été victime de violences conjugales au Cameroun, corroborées par les blessures constatées par certificat médical du 24 novembre 2023, et de traite des êtres humains au cours de son parcours migratoire après son départ en 2018. Elle fait également valoir les nombreuses atteintes aux droits de l'homme que subissent les personnes homosexuelles et les chrétiens au Cameroun. Toutefois, les seules réponses qu'elle a apportées aux questions posées lors de son entretien devant l'OFPRA le 4 décembre 2023 ne permettent pas d'établir qu'elle courrait des risques actuels et personnels de subir des traitements contraires à ceux proscrits par les stipulations des conventions précitées. L'OFPRA a d'ailleurs rejeté sa demande d'asile par une décision du 5 décembre 2023. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants doit être écarté.

Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :

13. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français serait illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

14. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

15. D'une part, si la requérante se prévaut des conditions sécuritaires préoccupantes au Cameroun et des atteintes portées aux droits des personnes homosexuelles et chrétiennes, il ne ressort pas de sa situation personnelle qu'elle caractériserait des circonstances humanitaires justifiant qu'une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français ne soit pas prononcée à son encontre.

16. D'autre part, pour fixer la durée de la mesure d'interdiction de retour sur le territoire français à un an, le préfet de la Moselle a tenu compte de ce que, bien que n'ayant pas déjà fait l'objet d'une précédente obligation de quitter le territoire français et alors que son comportement ne présentait pas à ce jour une menace pour l'ordre public, elle avait déclaré être entrée en France en mars 2023 seulement et ne justifiait pas de liens intenses et stables sur le territoire français. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la durée de cette mesure serait disproportionnée.

17. Par suite, les moyens tirés des erreurs d'appréciation que le préfet de la Moselle aurait commis au regard des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précités ne peuvent qu'être écartés.

18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 novembre 2023. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Kohler et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.

Délibéré après l'audience du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Martinez, président,

- M. Agnel, président-assesseur,

- Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2025.

La rapporteure,

Signé : H. BrodierLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

No 24NC00736


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NC00736
Date de la décision : 05/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : KOHLER

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-05;24nc00736 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award