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15/05/2025 | FRANCE | N°24NC00328

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 15 mai 2025, 24NC00328


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 14 décembre 2021 par laquelle l'inspectrice du travail de la 11ème section de l'unité de contrôle n° 2 de la Moselle a autorisé la société par actions simplifiée (SAS) Hyd et Au Fluid à la licencier pour faute.



Par un jugement n° 2200792 du 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.



Procédur

e devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 14 février 2024, Mme A..., représentée par Me Herrmann...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 14 décembre 2021 par laquelle l'inspectrice du travail de la 11ème section de l'unité de contrôle n° 2 de la Moselle a autorisé la société par actions simplifiée (SAS) Hyd et Au Fluid à la licencier pour faute.

Par un jugement n° 2200792 du 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 février 2024, Mme A..., représentée par Me Herrmann, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision en litige est entachée d'incompétence territoriale de son auteur ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation, la modification qui lui a été imposée de son lieu de travail caractérisant une modification de son contrat de travail qu'elle pouvait refuser ;

- elle est entachée d'erreur de droit, son licenciement devant intervenir pour motif économique et non pour faute et son employeur devant mettre en œuvre les dispositions de l'article L. 1222-6 du code du travail

- elle est entachée d'erreur d'appréciation de la faute commise.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er août 2024, la SAS Hyd et Au Fluid, représentée Me Trunzer, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

La procédure a été communiquée au ministre en charge du travail, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brodier,

- les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Sous contrat à durée indéterminée avec reprise d'ancienneté au 1er mars 1996, Mme A... exerçait des fonctions d'" assistance service " au sein de la société HydetAu Fluid. Elle avait par ailleurs la qualité de salariée protégée au titre de son mandat de membre du comité social et économique depuis son élection en décembre 2019. La société HydetAu Fluid, dont le siège social se trouve à Vayres en Gironde et qui disposait de douze agences en France, a engagé, au courant de l'été 2020, un projet de réorganisation afin de sauvegarder sa compétitivité. Le DIRECCTE Nouvelle-Aquitaine a homologué le document unilatéral portant sur le projet de licenciement économique collectif donnant lieu à la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi. S'agissant des salariés de l'agence de Metz, en dehors de la suppression de trois postes, les autres postes étaient transférés vers l'agence HydretAu Verins de Creutzwald, cinq dans le cadre d'un changement de rattachement administratif et trois dans le cadre d'une modification de leur lieu de travail, tel celui d'assistance service occupé par Mme A.... Le déménagement de l'agence ayant pris effet au 6 avril 2021, l'intéressée s'y est présentée à cette date avant d'être placée en congé de maladie à compter du 8 avril suivant. Puis, elle a présenté une demande de résolution judiciaire de son contrat de travail auprès du greffe du conseil de prud'hommes de Metz le 25 mai 2021. Par une lettre recommandée avec accusé de réception du 6 septembre 2021, la société Hyd et Au Fluid a formalisé auprès de Mme A... l'information relative à cette modification de ses conditions de travail et lui a demandé, compte tenu de sa qualité de salarié protégée, de manifester clairement son accord. Mme A... a répondu, par l'intermédiaire de son avocat, par courrier du 14 septembre 2021. Estimant qu'un refus avait été exprimé, la société a convoqué la salariée à un entretien préalable à licenciement pour le 8 octobre 2021. Le comité social et économique a émis son avis le 14 octobre 2021 puis, la société a, le 22 octobre 2021, sollicité l'autorisation de la licencier pour motif disciplinaire. Par une décision du 14 décembre 2021, l'inspectrice du travail a fait droit à cette demande. Mme A... relève appel du jugement du 19 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la légalité externe de la décision de l'inspectrice du travail :

2. Aux termes de l'article R. 2421-10 du code du travail : " La demande d'autorisation de licenciement d'un membre de la délégation du personnel au comité social et économique ou d'un représentant de proximité est adressée à l'inspecteur du travail dans les conditions définies à l'article L. 2421-3. / (...) ". Aux termes de l'article L. 2421-3 du même code, dans sa version complétée par l'article 1er de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 : " La demande d'autorisation de licenciement est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement dans lequel le salarié est employé. Si la demande d'autorisation de licenciement repose sur un motif personnel, l'établissement s'entend comme le lieu de travail principal du salarié. (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté qu'à la suite de la réorganisation des agences de la société HydretAu Fluid initiée à l'été 2020, et compte tenu de la réaffectation des agents de l'agence de Metz sur le site de Creutzwald, le lieu de travail de Mme A... était situé dans cette commune, et ce à compter du 6 avril 2021. La salariée s'y est d'ailleurs rendue les 6 et 7 avril 2021 avant de faire l'objet d'un arrêt de travail. Par suite, l'inspectrice du travail affectée à la 11ème section de l'unité de contrôle n° 2 de la Moselle, dont relève la commune de Creutzwald, était compétente pour se prononcer sur la demande d'autorisation de licenciement de Mme A....

Sur la légalité interne de la décision de l'inspectrice du travail :

4. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

5. Le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute. En cas d'un tel refus, l'employeur, s'il ne peut directement imposer au salarié ledit changement, doit, sauf à y renoncer, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement à raison de la faute qui résulterait de ce refus. Après s'être assuré que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l'intéressé, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en œuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié, que des conditions d'exercice de son mandat. En tout état de cause, le changement des conditions de travail ne peut avoir pour objet de porter atteinte à l'exercice de ses fonctions représentatives.

6. En premier lieu, en l'absence de mention contractuelle du lieu de travail d'un salarié, la modification de ce lieu de travail constitue un simple changement des conditions de travail, dont le refus par le salarié est susceptible de caractériser une faute de nature à justifier son licenciement, lorsque le nouveau lieu de travail demeure à l'intérieur d'un même secteur géographique, lequel s'apprécie, eu égard à la nature de l'emploi de l'intéressé, de façon objective, en fonction de la distance entre l'ancien et le nouveau lieu de travail ainsi que des moyens de transport disponibles. En revanche, sous réserve de la mention au contrat de travail d'une clause de mobilité, tout déplacement du lieu de travail dans un secteur géographique différent du secteur initial constitue une modification du contrat de travail.

7. Il ressort de la décision en litige que l'inspectrice du travail a estimé que l'ancien lieu de travail de Mme A..., situé à Metz Actipôle, et le nouveau site à Creutzwald, dont l'employeur soutient, sans être contredit, qu'il se trouve à une distance de 39 kilomètres, appartenaient au même secteur géographique. La salariée, qui reconnaît que le trajet entre les deux lieux de travail, d'une demi-heure, se fait par autoroute, ne conteste pas l'existence de ce même secteur géographique. Elle ne saurait à cet égard utilement se prévaloir des conséquences que l'affectation dans le nouveau lieu emporte pour sa situation personnelle. Dans ces conditions, et alors que le lieu de travail ne constitue pas, selon le contrat qu'elle a signé le 28 août 1996, un élément essentiel dudit contrat, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le changement de son lieu d'affectation caractérise une modification de son contrat de travail.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1222-6 du code du travail : " Lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L. 1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception ".

9. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le lieu de travail ne constituait pas, selon les termes mêmes du contrat signé par Mme A... le 28 août 1996, un élément essentiel de sa relation de travail avec son employeur. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 1222-6 du code du travail est inopérant. De même, la requérante ne saurait utilement soutenir que l'inspectrice du travail, qui est tenue par la demande formée par l'employeur, a entaché sa décision d'erreur de droit en autorisant son licenciement pour motif disciplinaire et non pour motif économique.

10. En dernier lieu, Mme A..., qui réside à Sainte-Marie-aux-Chênes, à l'ouest de Metz, soutient que les conséquences de sa nouvelle affectation à Creutzwald, situé à l'est de Metz et à 75 kilomètres de son domicile, sont disproportionnées par rapport à sa situation personnelle. Il ne peut être contesté que son temps de trajet augmente pour passer d'environ une demi-heure à presque une heure. En revanche, il ressort des pièces du dossier que son employeur lui a proposé, lors d'échanges oraux puis par un courriel du 9 avril 2021 et par courrier du 6 septembre 2021, de prendre en charge ses frais supplémentaires, à savoir l'intégralité de ses frais de péages ainsi que de ses frais de carburant en lui mettant à disposition une carte essence. En l'absence d'autres effets invoqués sur la situation personnelle de Mme A..., et alors qu'il n'est pas allégué que son nouveau lieu d'affectation affecterait les conditions d'exercice de son mandat représentatif, le refus de la requérante d'accepter le seul changement de son lieu de travail doit être regardé comme présentant un caractère de gravité suffisant pour justifier son licenciement. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'inspectrice du travail a, en autorisant son licenciement pour faute suffisamment grave, entaché sa décision d'erreur d'appréciation.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société Hyd et Au Fluid tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... épouse A..., à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et à la société par actions simplifiée Hyd et Au Fluid.

Délibéré après l'audience du 24 avril 2025, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mai 2025.

La rapporteure,

Signé : H. Brodier Le président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 24NC00328


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NC00328
Date de la décision : 15/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : TRUNZER

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-15;24nc00328 ?
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