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15/05/2025 | FRANCE | N°23NC00076

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 15 mai 2025, 23NC00076


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée (SAS) Elpev a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et majorations, des suppléments d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignés au titre des années 2015 et 2016.



Par un jugement n° 2004117 du 7 novembre 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enre

gistrée le 6 janvier 2023 et des mémoires enregistrés les 21 juin, 2 novembre et 24 novembre 2023, ce dernier n'étant pas commu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Elpev a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et majorations, des suppléments d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignés au titre des années 2015 et 2016.

Par un jugement n° 2004117 du 7 novembre 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 janvier 2023 et des mémoires enregistrés les 21 juin, 2 novembre et 24 novembre 2023, ce dernier n'étant pas communiqué, la société ELPEV, représentée par Me Hubler, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et majorations, des impositions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration, qui ne remet pas en cause la réalité des prestations, ne rapporte pas la preuve du caractère excessif de la rémunération des prestations de services fournies par ses deux fournisseurs et de son caractère étranger à une gestion commerciale normale, en se fondant exclusivement sur le critère de la marge chez les prestataires et non pas sur la normalité de l'acte de gestion chez le preneur tout en ayant recours à une analyse d'une prétendue évasion fiscale viciée dans son principe ; ainsi la circonstance que le prix facturé est supérieur au coût de revient de la prestation chez le prestataire ne saurait avoir pour effet d'établir le caractère anormal du prix chez le preneur ; au demeurant l'étude de marge réalisée par le service manque de rigueur et de méthode et n'apporte pas la preuve du caractère anormal de la marge pratiquée par ses deux fournisseurs.

Par des mémoires en défense enregistrés les 17 avril et 8 novembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens invoqués par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Agnel ;

- les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Hubler, représentant la société Elpev.

Une note en délibéré, enregistrée le 24 avril 2025, a été présentée pour la société Elpev.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Elpev a une activité d'agence de communication exerçant dans le domaine de la grande distribution. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité ayant concerné la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016. Par une proposition de rectification du 17 juillet 2018, notifiée dans le cadre de la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, le service a porté à sa connaissance qu'il envisageait des rehaussements de ses bénéfices imposables à l'impôt sur les sociétés. En réponse aux observations de la société, le service a confirmé ces rectifications par lettre du 26 novembre 2018. A la suite d'une entrevue avec le supérieur hiérarchique ayant donné lieu à un compte-rendu du 21 août 2019, l'administration a toutefois admis partiellement les observations de la société Elpev et a réduit les rehaussements de ses bénéfices. Les suppléments d'impôt sur les sociétés ont été mis en recouvrement sur ces dernières bases au cours de l'année 2019 et la réclamation préalable de la société a été rejetée le 14 mai 2020. La SAS Elpev relève appel du jugement du 7 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires.

2. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts rendu applicable en matière d'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. /2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés ". Aux termes de l'article 39 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment :/ 1° Les frais généraux de toute nature ".

3. Il résulte de ces dispositions que si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

4. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis. La seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense. Le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.

5. Il résulte de ces mêmes dispositions des articles 38 et 39 que le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il appartient, en règle générale, à l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal.

6. Il résulte de l'instruction que la société Elpev a été créée en 1996 par deux associés fondateurs qui en sont ses dirigeants non rémunérés. Ces deux associés ont cédé leurs actions le 24 juin 2015 à deux sociétés à responsabilité limitée créées en 1996, dont ils étaient également les dirigeants et fondateurs, lesquelles se sont ainsi retrouvées associées à 50 % de la société Elpev. Par des conventions de prestations de services conclues le 5 février 2013, ces deux sociétés se sont engagées à fournir à la société Elpev d'une part, des prestations en matière administrative, informatique, comptable et de gestion, d'autre part, des prestations de démarchage commercial destinées à lui obtenir de nouveaux marchés publicitaires. Alors qu'initialement le prix de ces prestations avait été fixé par cette convention à 360 000 euros hors taxes (HT) annuel, la rémunération des deux sociétés prestataires a, par avenants du 3 juin 2013, été fixée à 360 000 euros HT annuel outre, s'agissant des prestations de nature commerciale, une somme égale à 3 % de la marge brute réalisée par la société Elpev sur son chiffre d'affaires. Il résulte de l'instruction qu'en exécution de ces conventions la société requérante a comptabilisé en charges les sommes de 653 692 euros HT en 2015 et 624 086 euros HT en 2016 au titre des honoraires versés à chacune de ces deux sociétés pour un total de 1 307 384 euros HT en 2015 et 1 248 172 euros HT en 2016. Ces écritures de charges étaient appuyées des conventions précitées et de factures régulières. L'administration, sans remettre en cause la réalité des prestations fournies, n'a admis dans un premier temps ces honoraires en déduction des bénéfices de chacune des deux années litigieuses qu'à hauteur de 720 000 euros HT, correspondant à la rémunération prévue par la convention initiale, en estimant que le surplus, 587 384 euros HT en 2015 et 528 172 euros HT en 2016, constituait une rémunération excessive des deux sociétés prestataires par rapport aux services rendus. A la suite de l'entrevue avec le supérieur hiérarchique, l'administration a accepté d'admettre en déduction les honoraires facturés dans la mesure d'un taux de marge de 38 % des deux sociétés prestataires, taux correspondant aux entreprises du secteur des services aux entreprises du 3° quartile de l'Insee de moins de neuf salariés, ramenant ainsi les rehaussements à 518 384 euros en 2015 et 276 238 euros en 2016.

7. Afin de rapporter la preuve du caractère excessif de ces honoraires pour la société preneuse eu égard aux services rendus, l'administration a relevé que les deux sociétés prestataires, chacune n'ayant pour salariés que leurs dirigeants, qui assurent les prestations fournies à la société Elpev, et une assistante, présentaient un taux de marge (défini par l'Insee comme étant égal à la valeur ajoutée aux coûts des facteurs/l'excédent brut d'exploitation) élevé de 63 et 67 % en 2015 et 52 et 51 % en 2016, respectivement, alors que le taux de marge dans le secteur du service aux entreprises n'était que de 22 % en 2015 et de 38 % en 2016 pour les entreprises du 3° quartile de moins de neuf salariés, cet écart significatif établissant, selon le service, le caractère disproportionné du prix facturé par rapport aux charges supportées par les deux prestataires. Le service a également estimé que la société Elpev n'avait pas justifié les raisons pour lesquelles une nouvelle rémunération des prestations avait été stipulée par l'avenant du 3 juin 2013, quelques mois seulement après la signature de la convention initiale, alors que les conditions d'exploitation n'avaient pas évolué et pas davantage le contenu des prestations. Il a, en outre, noté que les modalités de calcul de cette rémunération n'avaient pas été justifiées. Le service a relevé à cet égard que les factures présentées ne comportaient pas le détail des prestations fournies, comme par exemple le temps passé par chaque intervenant ou encore l'identité des clients apportés à la société Elpev. L'administration estime également que sa démonstration du caractère excessif de ces honoraires est corroborée par les modalités d'évaluation du prix unitaire des actions de la société Elpev, à l'occasion de la cession du 24 juin 2015, laquelle évaluation repose sur un retraitement du résultat courant de l'entreprise par la substitution d'un salaire des deux dirigeants au montant des honoraires versés aux deux sociétés qu'ils dirigent.

8. Si la circonstance qu'un prestataire de services facture ses services à un prix très largement supérieur à leur coût de revient ne saurait établir le caractère excessif de la rémunération de ces prestations par rapport au service rendu chez le preneur, il y a lieu en l'espèce de considérer que l'administration a établi que le prix facturé à la société Elpev par les deux sociétés pour leurs services excédait de beaucoup celui habituellement pratiqué par les entreprises les plus rentables du secteur d'activité. Il résulte en effet de l'instruction que ces prestations ont été en l'espèce réalisées au nom des deux fournisseurs par les propres dirigeants non rémunérés de la société Elpev. Il ressort également des factures produites qu'elles ne comportent pas le détail des prestations fournies. En conséquence, alors que les motifs de la modification de la rémunération initiale n'ont pas été justifiés et pas davantage les modalités de détermination de la nouvelle rémunération comportant une part fixe et une part variable, l'administration doit être regardée comme ayant apporté la preuve que la rémunération versée par la société Elpev à ses deux sociétés mères, en contreparties des prestations qu'elles lui ont fournies, était excessive par rapport aux services rendus dans la mesure qu'elle a déterminée en dernier lieu. A l'inverse, les circonstances invoquées par la société Elpev, que le montant total des honoraires représente seulement 3,6 % de son chiffre d'affaires, que l'existence des prestations n'a pas été remise en cause par l'administration, qu'elles lui ont permis de développer son activité dans un contexte économique rendu difficile par la perte de son client historique et que sa rentabilité n'aurait pas été affectée par le paiement de ces honoraires, ne sont pas de nature à remettre en cause les éléments de preuve réunis par l'administration établissant la disproportion du prix payé à la contrepartie reçue. Si la société requérante soutient que l'administration n'a pas justifié des termes de comparaison lui ayant permis de déterminer le taux de marge admis en dernier lieu, il résulte de l'instruction que ce taux de marge de 38 % correspond au dernier quartile des entreprises du secteur des services aux entreprises tandis que le taux de marge du secteur de la publicité et de la communication s'établit à 32 % en moyenne selon les statistiques de l'Insee. Dans ces conditions, c'est à juste titre, en application des règles ci-dessus rappelées, que l'administration a partiellement remis en cause la déduction des honoraires litigieux des bénéfices imposables de la société Elpev au titre des années 2015 et 2016.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Elpev n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS Elpev est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Elpev et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 24 avril 2025, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mai 2025.

Le rapporteur,

Signé : M. AgnelLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N° 23NC00076 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00076
Date de la décision : 15/05/2025
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : HUBLER

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-15;23nc00076 ?
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